The Hunt, Craig Zobel (2020)

Quelques individus échangent sur un chat. Ils parlent du Manoir et de la chasse à l’homme (aux déplorables, plutôt) qu’ils s’apprêtent à s’offrir. On dit que le Manoir se trouve dans le Vermont, qu’il appartient à Athena, cette même Athena qui vient de s’offrir aux enchères trois bouteilles de champagne Heidseick à 250 000 dollars pièce.

Quelques mois plus tard, douze citoyens américains sont enlevées et drogués, embarqués de force dans un jet privé. Celui qui a le malheur de se réveiller trop tôt connaît un funeste sort. La chasse n’a pas encore commencé, mais cela ne saurait tarder. Et elle n’aura pas lieu dans le Vermont, peut-être dans l’Arkansas, peut-être ailleurs, dans un pays où on ne parle même pas américain (imaginez l’angoisse)…

La première chose à écrire au sujet de The Hunt de Craig Zobel c’est que le film n’est pas ce qu’il semble être (ce n’est pas un remake des Chasses du comte Zaroff, même si l’habituel inversion des rôles chasseurs / proies a bien lieu). En fait moins on en sait, mieux à mon sens on est susceptible de l’apprécier. Avant de le regarder, je me souvenais juste que ça avait fait scandale aux USA, que la sortie avait été repoussée (menacée d’être annulée, je crois), que le sujet du film avait ulcéré certains hommes politiques, etc.

(Arrêtez votre lecture ici, si vous ne souhaitez pas être spoliés).

The Hunt est donc a priori une comédie trash avec des chasseurs friqués et des proies majoritairement white trash. Une boule puante comme Eli Roth en a filmées. On pense à Cabin Fever, Hostel et The Green Inferno avec ses écolos crétins (ça tombe bien, j’aime les trois), il y a au moins un clin d’œil appuyé au revival Grindhouse de Tarantino/Rodriguez et une des confrontations (la meilleure scène du film) en rappelle une autre, vue dans Kill Bill. Mais The Hunt est surtout (si on y réfléchit bien) un film politique, car en dessous de sa panoplie de comédie gore au mauvais-goût assumé, il y a une vraie réflexion politique sur ce qu’on pourrait appeler le tribunal médiatique. Le nombre de chassés, douze, renvoie bien évidemment au nombre de jurés d’un tribunal (12 hommes en colère). Et le film met le doigt là où ça fait particulièrement mal de nos jours : cette capacité que s’octroient certaines personnes à condamner alors que la justice n’est pas passée, ni même parfois saisie. Condamnations parfois likées, partagées et viralisées. On oublie (trop) vite qu’une mise en examen n’est pas une condamnation, qu’une condamnation n’est pas définitive tant que tous les recours légaux de l’accusé(e) n’ont pas été menés à leur terme, que le délit de dénonciation calomnieuse peut être « puni de cinq ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende ». Etc. Tout ceci renvoie à certaines dérives du mouvement Me Too (dérives certes compréhensibles car fort majoritairement cathartiques, mais aussi condamnables sur le plan judiciaire) et à l’ouvrage d’Emmanuel Pierrat Nouvelles morales, nouvelles censures (Gallimard). Ceci renvoie aussi aux lenteurs de la justice qui évidemment amplifient l’écho du tribunal médiatique qui lui est « dans l’instant ». Un monde qui va trop vite court à sa perte, un monde qui va trop lentement se fait déborder. L’équilibre est un art difficile.

Mais revenons à The Hunt. Du moins pour conclure.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas autant ri.

Par conséquent, je vous conseille le sanglant spectacle, avec la réserve habituelle : « personnes sensibles s’abstenir ».

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