Des bêtes fabuleuses, Priya Sharma (UHL HS-2022)


Eliza est herpétologiste, c’est à dire qu’elle est une spécialiste des serpents, qu’elle manipule avec une facilité déconcertante, surnaturelle diront certains. Elle vit en couple avec Georgia, une photographe réputée. L’une est laide, l’autre est belle.

Eliza, bien qu’élève douée, n’a pas eu la vie facile. Si elle ferme les yeux et pense à son enfance, elle se souvient qu’à l’époque ses petits camarades se moquaient de sa laideur. Que sa mère Kath n’était pas la plus affectueuse au monde et que son oncle Kenny avait été condamné à dix-huit de prison pour meurtre et vol.

Eliza a ses secrets… Ils sont sombres, nombreux, perturbants.

Heureusement, elle peut compter sur le réconfort des serpents.

« Des bêtes fabuleuses » est une fabuleuse nouvelle d’horreur, fabuleusement illustrée par Anouck Faure, fabuleusement traduite en français par Anne-Sylvie Homassel qui continue à impressionner, surtout dans ce registre. C’est une nouvelle, d’une cinquantaine de pages, qui m’a rappelé les textes les plus vénéneux de Lucius Shepard, mais avec une approche beaucoup plus féminine et sans doute moins baroque, en tout cas sur le plan stylistique. C’est un texte facile à lire, qui glisse tout seul, mais perturbant… qui hante longtemps.

Cette nouvelle se trouve au sommaire du HS 2022 de la collection Une Heure Lumière du Bélial’ (vous trouverez la démarche à suivre pour en faire l’acquisition sur le site de l’éditeur).

(Très) cher cinéma français, Eric Neuhoff (Albin Michel)

chercinéma

//

(Disclaimer : je n’ai pas reçu ce livre en service de presse, je ne l’ai pas acheté non plus, travaillant chez Albin Michel, je suis allé au magasin et j’en ai demandé un exemplaire).

°

Ma passion pour le cinéma français étant à peu près équivalente à celle pour le gratin de chou-fleur, saloperie de légume auquel je suis violemment allergique, et dont l’odeur seule me pousse à la nausée, je n’ai pas résisté longtemps et je me suis jeté sur ce petit pamphlet (ça se lit en une heure, deux si vous savourez certains passages).

L’entame est brillante :

« HS. Kaputt. Finito. Arrêtons les frais. Le cinéma français agonise sous nos yeux. Il est à peine l’ombre de lui-même. Bientôt, on punira les enfants qui n’ont pas fini leurs devoirs en les obligeant à regarder les nouveautés. C’est ainsi, le plaisir est devenu une corvée. Si tu n’es pas sage, tu iras voir le dernier Ozon. »

Neuhoff a deux têtes de turc (choisies bien sûr au hasard) : François Ozon et Isabelle Huppert. Le passage sur Huppert est un festival pyrotechnique. Neuhoff dit des choses tellement vraies sur le cinéma américain des années soixante-dix où un chef d’œuvre sortait par semaine, sur le sens des œuvres, le rôle de la critique, sur l’ambition artistique, etc.

Si le fonds (c’était mieux avant) semble assez inattaquable, le réquisitoire prend des détours nostalgiques parfois un peu étranges, un peu contre-productifs, mais bon Neuhoff a choisi d’enfoncer le doigt dans une cervelle pourrie et ce n’est pas chose facile.

Le livre a aussi des vertus inattendues, on a soudain envie de le défendre ce putain de cinéma français. Tel un Indiana Jones fatigué et poussiéreux on fouille dans sa mémoire, à la recherche de films français récents qu’on a aimés, ou qui vous ont transportés : j’en ai trouvés quelques uns, pas toujours (très) récents.

  • La Sentinelle d’Arnaud Desplechin (1992)
  • Trouble every day de Claire Denis (2001)
  • L’adversaire de Nicole Garcia (2002)
  • Le Bossu de Philippe de Broca (1997)
  • Vinyan de Fabrice du Welz (2008)
  • L’ennemi public n°1 / L’Instinct de mort de Jean-François Richet (2008)
  • Grave de Julia Ducournau (2016)

Évidemment, c’est beaucoup plus facile si on remonte aux Valseuses, à Melville, etc. Comme on pouvait le craindre, Neuhoff a raison.

Et je me suis aussi aperçu que j’étais infoutu de me souvenir… quel est le dernier film français que j’ai vu en salles. Sans doute Valerian de Luc Besson, que j’ai proprement détesté. Était-ce un film français ? Je crois qu’on s’en fout, c’était surtout un film raté.

 

 

Genocidal organ, Project Itoh

genocidal

Genocidal organ qu’il faudrait sans doute traduire en français par La grammaire du génocide est le premier roman de Project Itoh, il a été publié en 2007 par Hayakawa (l’auteur avait 23 ans), puis édité aux USA en 2012, sous une traduction d’Edwin Hawkes.

Dans ce roman, un attentat nucléaire « artisanal » a lieu à Sarajevo et un chercheur en linguistique y perd sa femme et sa fille, au moment où lui-même fait des galipettes avec une très mignonne étudiante tchèque. Cette éradication de sa famille, couplée à sa culpabilité, rend fou John Paul et le pousse au bout de ses recherches sur les liens entre langage et génocide. Dans le même temps, les sociétés occidentales, déjà bien échaudées par le 11 septembre, mettent en place un système de contrôle continu des populations par vidéosurveillance et un contrôle rétinien en flux tendu (ce qui évoque le vaste programme chinois de reconnaissance faciale qui n’appartient plus au domaine de la science-fiction). Le terrorisme (islamiste, surtout) se déplace alors dans des pays plus fragiles comme l’Inde, le Pakistan, la Géorgie (c’est la théorie de la « moindre résistance »). Quand on assiste à une flambée de génocides locaux, le gouvernement américain y voit la main (ou plutôt la voix de John Paul). Un duo d’agents est alors envoyé en République tchèque pour traquer John Paul en utilisant sa dernière conquête féminine connue : la professeure de tchèque Lucia.

Genocidal organ n’est pas un roman totalement réussi, on peut rire ici et là de certaines descriptions que l’auteur fait des occidentaux (les Américains surtout), de l’Europe, etc. Par contre, il est totalement fascinant au niveau des idées : hypothèse de Sapir-Whorf, futur du soldat (drogues utilisées pour le rendre totalement imperméable à l’hésitation), futur de l’armement militaire et j’en passe. Toute la partie sur la société de surveillance rappelle le récent Gnomon de Nick Harkaway,  écrit dix ans plus tard (mais Gnomon est très au-dessus, du moins sur le plan littéraire). Certains concepts, certains gadgets sont très eganiens (de l’auteur australien Greg Egan). Les scènes de combats sont hallucinantes de brutalité, genre « John Rambo au Myanmar et à la mitrailleuse lourde ».

Genocidal organ existe en film d’animation (pour adultes), là aussi c’est une demi-réussite : le début est brouillon (l’absence d’une voix off, ou d’une contextualisation succincte se fait cruellement sentir), rebutant, mais les scènes de massacre, de fusillades et de génocide sont rendues avec une brutalité suffocante. Et les idées demeurent malgré une certaine simplification inévitable.

A une époque, Park Chan-wook (old Boy) voulait réaliser une adaptation de Genocidal Organ ; on frémit rien qu’à l’idée de ce qu’il nous y aurait montré.

 

Never let me go, Mark Romanek (2010)

Never-Let-Me-Go

Enfants, ils ont grandi dans le pensionnat de Hailsham où ils ont découvert l’horrible vérité : ils ne sont pas des êtres humains à part entière, mais des réserves d’organes condamnées à mourir après un troisième ou quatrième don, condamnés à la « complétion » – le don ultime des organes qu’il leur reste. Comment vivre dans ces conditions-là ? Et ont-ils droit à l’amour puisqu’ils n’ont pas le droit de vivre ?

Never let me go / Auprès de moi, toujours est l’adaptation du roman éponyme de Kazuo Ishiguro. Je n’ai pas lu le roman, mais le film m’a donné envie de hurler à peu près tous les cinq minutes (enfin quoi, c’est en Angleterre que les Sex Pistols ont vu le jour… et la nuit). On ne croit jamais à cette uchronie médicale où, à partir de 1952, les progrès de la médecine ont été tels que l’espérance de vie dépasse les cent ans (à condition toutefois de changer régulièrement quelques pièces détachées). Ces jeunes clones (à défaut d’un autre terme) acceptent leur condition, ne se rebellent jamais, ne la remettent quasiment jamais en question, ou alors du bout des lèvres. J’ai attendu un sursaut de Keira Knightley, de Carey Mulligan et d’Andrew Garfield jusqu’au bout du film… attendu, attendu. Même cette histoire de triangle amoureux (puisque visiblement c’est ce qui intéressait l’auteur avant tout) aurait pu être plus intéressante, plus intense, plus bouleversante. Kazuo Ishiguro a inventé le concept de « dystopie polie ».

Utiliser une idée de science-fiction terrifiante pour ne rien en faire d’autre qu’un drame (vaguement) romantique mais assurément dépressif, avec de belles vues de la campagne et des plages anglaises, c’est soit criminel soit rageant, voir les deux.

Il existe un contre-Never let me go, une œuvre pleine de foutre et d’hormones, qui déborde de partout, où tous ces gentils clones-réserves-d’organes foutent un boxon pas possible, ça s’appelle Outrage et rébellion de Catherine Dufour et c’est autrement plus intéressant.

Daemone, dans les lectures de Xapur

daemone500

 » Le roman est la version revue, corrigée et approfondie d’une ancienne nouvelle de l’auteur, on notera quelques descriptions plus élaborées, qui tranchent un peu avec le fond « pulp » de l’histoire (parties rajoutées qui témoignent de l’évolution de l’écrivain ?).  Issu d’un corpus en gestation de 26 (!) textes, à venir (ou pas ?), j’en reprendrai bien quelques histoires. «