Badlands hunters, Heo Myeong Haeng – 2024


Après un tremblement de terre dévastateur, la ville de Séoul n’existe plus. Dans les ruines de l’ancienne capitale coréenne, un savant fou a créé une communauté dans un immeuble qui a accès à de grandes quantités d’eau potable. Il veut ressusciter sa fille en utilisant certaines propriétés de certains lézards. Pour poursuivre ses expériences, il a besoin d’enfants et d’adolescents. Ce que lui amènent les gangs des badlands, bien contents de récupérer de grandes quantités d’eau potable. Mais un jour, les gangs kidnappent la jeune Su-Na, lançant à leurs trousses un ancien boxeur indestructible : Nam-San et son garçon boucher (amoureux de la jeune fille).

Navet.

On peut le prendre par tous les bouts, ce Mad Max coréen est un magnifique, énorme navet. Tout y est absolument, irrémédiablement, con. A commencer par le tremblement de terre qui rase littéralement la Corée du sud et la propulse dans une ère post-apocalyptique digne de George Miller. Ce serait oublier que ce pays a des alliés, notamment en « occident » (d’ailleurs la sulfureuse Turquie d’Erdogan a survécu à un énorme tremblement de terre récemment). Une fois qu’on a compris qu’on allait naviguer sur les flots d’une flamboyante série Z kimchi / kung fu / post-apocalyptique avec des ophidiens en kinder surprise, on peut regarder l’ensemble d’un œil paresseux tout en suivant ses mails sur son téléphone portable, du genre « oh, une décapitation ».

Dans ce film, le réjouissant Ma Dong-Seok s’impose comme un Sylvester Stallone coréen crédible.

Dans la chaleur de la nuit, Norman Jewison (1967)


Sparta, Mississippi. Dans les années 60.

Dans la chaleur de la nuit un entrepreneur venu investir dans cette petite ville est brutalement assassiné. Peu de temps après, l’adjoint du shériff (Warren Oates) qui ne brille pas par un quotient intellectuel hors du commun arrête un homme noir (Sidney Poitier) qui attendait le premier train du matin. Cet homme se révèle être un policier de Philadelphie, expert en homicide, qui venait rendre visite à sa mère dans le Mississippi. A la demande du maire de Sparta, le shériff local (Rod Steiger) est bien obligé de s’associer avec l’officier de police noir pour trouver l’assassin.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu ce film et il est toujours aussi bon. L’enquête policière n’est qu’un prétexte pour montrer un sud raciste qui n’est pas prêt à voir arriver des noirs habillés comme les blancs (c-à-d en costume élégant). Sidney Poitier et Rod Steiger forment un duo épatant. Leur opposition qui se transforme peu à peu en respect, voire peut-être en amitié sur la toute fin du film est superbement mise en scène. Norman Jewison ne raconte pas le racisme, il le montre, par petites touches qui en s’accumulant peignent un tableau tout à fait effrayant de réalisme. Tous les racismes sont présents, le frontal, le plus facile à identifier, comme le paternaliste, plus insidieux. Le face à face entre Sidney Poitier et Endicott (le plus gros propriétaire terrien de Sparta) est pour le moins intense et dit tellement sur les deux hommes en tellement peu de temps que ça relève du tour de force.

Au-delà du film, qui est très bon, il faut sans doute aussi se souvenir du contexte de son tournage. En 1964, Sidney Poitier et le chanteur Harry Belafonte avaient été poursuivis dans le Mississippi par des membres armés du Ku Klux Klan bien décidés à les lyncher alors qu’ils livraient de l’argent à un mouvement de défense du droit de vote. Par conséquent, le film n’a pas été tourné dans le Mississippi, mais à Sparta dans l’Illinois et au Kentucky pour la scène de la plantation de coton. Pendant toute la durée du tournage dans le Kentucky, Sidney Poitier (menacé de mort par des suprémaciste blancs du coin) a dormi avec une arme sous son oreiller. Et le tournage sur place a dû être finalement écourté tant la situation s’était envenimée. Tout cela semble un peu surréaliste depuis notre salon en 2024. Sidney Poitier a eu une immense influence sur la société américaine ; sans le succès populaire de Sidney Poitier, je ne pense pas que Barack Obama aurait pu devenir président.

J’ai tendance à considérer que Dans la chaleur de la nuit fait partie d’une trilogie thématique « sociale » qui compte deux autres films de 1967 avec Sidney Poitier dans le rôle principal : Les Anges aux poings serrés et Devine qui vient dîner ? Dans chacun de ces films un homme noir occupe un poste où « on ne l’attend pas », policier spécialiste des homicides, ingénieur à Londres et docteur californien à l’excellente réputation professionnelle.

Lovecraft Country, une série TV de Misha Green

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Depuis la parution en français d’Un requin sous la lune (Sewer, Gas & Electric, 2001), je suis d’un peu trop loin, à mon goût, la carrière de l’écrivain américain Matt Ruff. Quand est sorti son roman Lovecraft country, je me suis trop tardivement renseigné pour l’avoir en lecture et éventuellement en acquérir les droits (Matt Ruff est représenté par un agent avec qui je n’ai jamais travaillé, ça n’aide pas) : il était déjà vendu aux Presses de la cité. Bon, ça ne m’a pas empêché de le lire et de l’apprécier, même si ce n’est pas un roman parfait, mais paraîtrait-il, il n’en existe pas.

Et voilà qu’un projet de série a débarqué ; j’avoue que j’étais curieux de voir ce qu’ils pouvaient faire du roman, ce qu’ils allaient en garder (Lovecraft Country c’est plein jusqu’à la gueule et ça déborde même un peu de partout), ce qu’ils allaient laisser de côté.

Mais reprenons par le début de l’histoire : Atticus « Tic » Freeman apprend la disparition de son père et se rend chez son oncle George pour en savoir plus. George et son épouse Hyppolita (non créditée, comme le veut l’époque) publient un guide de voyage à destination des gens de couleurs qui veulent se déplacer en Amérique en toute sécurité. Et donc après quelques péripéties, Tic, George et la jeune Leti partent à la recherche de Montrose Freeman, qui se trouverait dans un improbable patelin de Nouvelle Angleterre, Ardhan (et non Arkham, comme Atticus, grand lecteur de Lovecraft, l’a cru de prime abord). Là, ils vont se trouver en guerre contre une vieille famille de sorciers blancs à qui une servante (enceinte du maître des lieux) a volé le plus important des trésors : Le Livre des noms.

Arrivé à la fin du deuxième épisode, je me suis dit : « ça va pas le faire ». Ça va trop vite, le jeu littéraire autour de l’œuvre de Lovecraft et de son racisme est sacrifié à l’aune d’un rythme télévisuel un brin effréné et pour tout dire fatigant. On pourrait presque faire une saison de 8 épisodes avec tout ce que contiennent les deux premiers. Par la suite, ça ne s’arrange guère, ça n’empire pas non plus. Il y a des choses formidables sur le racisme systémique, la société américaine, l’hypersexualisation de la femme noire, ici incarnée par l’actrice nigériane Wunmi Mosaku, aux formes plus que généreuses, etc. Et puis des choses moins fortes, une violence parfois gratuite, des scènes de sexe assez répugnantes qui n’apportent pas grand chose à l’ensemble (cette marque de fabrique HBO est en train de devenir un tic risible). Il y a une ou deux divergences avec le roman qui m’ont fait hurler, car à mon sens elles trahissent le propos, malin, très malin, de Matt Ruff – auteur blanc qui ose écrire sur les Noirs, leur culture, leurs blessures et le fameux massacre de Tulsa (déjà mis en scène dans la série Watchmen).

C’est too much, parfois épileptique, parfois raté, parfois formidable ; ils ont voulu mettre tout ce qu’il y avait dans le roman et n’ont globalement pas su choisir. Certains critiques ont regretté que la série parlait trop de problèmes raciaux ; j’ai évidemment le sentiment inverse, elle n’en parle trop ni pas assez, elle en parle bien… c’est le dosage des éléments fantastiques, trop frontaux, trop brutaux dès le début qui, à mon sens, pose problème.

Dommage.


The Witcher – série télé – Netflix

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Dans cette première saison de la série Netflix The Witcher tu découvriras comment Geralt de Riv (le sorceleur) s’est trouvé lié avec Ciri. Tu découvriras comment il est devenu le boucher le Blaviken. Comment il a rencontré Jaskier, le pitoyable boy band à lui tout seul. Comment il tue des monstres un peu monstrueux, ne rechigne pas au sexe tarifé. Comment il s’est, le temps d’une mission, allié à un dragon. Tu découvriras aussi la naissance en tant que magicienne de Yennefer de Vengerberg. Tu ne comprendras peut-être pas grand chose tant l’ensemble te semblera décousu et mal fichu, mais il n’y avait peut être pas grand chose à comprendre…

Fan de la série de jeux vidéos The Witcher et surtout du troisième – Wild Hunt (La Chasse sauvage) -, je ne pouvais pas passer à côté de la série Netflix qui a disposé d’une promo rarement vue pour une production de ce genre (j’ai vu des affiches dans les rues de Paris).

Bon, n’y allons pas par quatre chemins : je me suis ennuyé (et je m’attendais à beaucoup de choses, mais pas à m’ennuyer). J’ai mis plus d’une semaine à venir à bout de l’ensemble ; j’avais plus de plaisir à annoter mon roman de septembre 2020 (La Marche du levant de Léafar Izen) qu’à replonger dans la série. Je suis allé au bout, parce qu’arrivé au mitan, j’avais tant pataugé dans la bière tiède et le sang frais que je ne me sentais plus de revenir en arrière et qu’il ne me restait plus qu’à aller de l’avant.

Les acteurs sont à côté, pour la plupart, complètement à l’opposé du standard qu’a involontairement établi la série HBO Game of thrones. Quand on voit Tyrion dans Game of Thrones, on voit Tyrion, pas un acteur qui l’incarne. Peter Dinklage est complètement dedans, comme le reste du casting. Dans The Witcher, on a globalement l’impression que ce sont des cosplayers venus du monde entier qui font joujou en marge d’une convention de fantasy. La médiocrité de cette nouvelle série n’a de cesse de nous ramener à Game of thrones qui s’impose comme l’aune à laquelle on n’échappera plus ; c’est comme ça, c’est pas de chance pour les nouveaux venus. Niveau production : costumes, décors, effets spéciaux, on n’est pas du tout au même niveau. On en est même très loin ; souvent The Witcher m’a rappelé ces pathétiques téléfilms de fantasy de trois heures, d’origine improbable, que M6 passait parfois au moment des fêtes. Parfois, au détour d’une scène de taverne, je me suis dit : « tiens des Bulgares font une fête médiévale, c’est rigolo, mais on sent que la bière n’est pas bonne ».

Et puis il y a la cerise sur le gâteau : Henry Cavill. Alors là, j’avoue, je ne comprends pas. Oui… il est musclé, mais Kevin Sorbo aussi, et avec des cheveux blancs il aurait sans doute fait un meilleur sorceleur (c’est dire). Et ne parlons pas de l’hypothèse Mads Mikkelsen, qui ne fait qu’1m83, certes, mais même bourré à la codéine aurait fait un Witcher nettement plus pervers et convaincant.

Une seconde saison est déjà sur les rails ; ce sera sans moi.

Maintenant j’attends le reboot.

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Polar, Jonas Åkerlund (2018)

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Duncan Vizla est un tueur professionnel. Du genre à être payé un million de dollars par contrat. Il travaille pour Damoclès, une entreprise criminelle qui lui doit pas loin de huit millions de dollars de pension. Pour Duncan, l’heure de la retraite a sonné. Il a cinquante ans et chez Damoclès on part à la retraite à cinquante ans. C’est comme ça et la CGT n’a pas son mot à dire, pas plus que le MEDEF. Alors qu’il ne lui reste plus que quinze jours à tirer avant sa retraite effective, on lui demande de régler un dernier problème de cent trente kilos, viagra non compris : un tueur mexicain du nom de Pedro, qui a eu le bon goût de se planquer en Biélorussie. Avec l’aide d’une pute locale et de son gamin de huit ans environ, Duncan honore son contrat et s’aperçoit alors qu’il a été piégé.

Jonas Åkerlund est un réalisateur capable du pire et du encore plus pire que pire. C’est pas donné à tout le monde. Sa marque de fabrique : le mauvais goût totalement assumé. Du genre à filmer Johnny Knoxville avec une érection de vingt-trois centimètres, des filles réduites à leur popotin savamment écarté par la ficelle d’un string fluo ou à leur poitrine généreuse en pleine acrobatie aérienne. Outres les culs bombés et les nichons parfum quarante mégatonnes, il aime filmer le sang qui remonte dans l’aiguille juste avant un fix, les plaies ouvertes, les giclures de sang, les gens au crâne éclaté ou à l’œil arraché à la cuillère à pamplemousse. Généralement il filme ça – über-cool – comme un clip de gangsta rap faisant l’éloge du corps féminin ou une vidéo de Ramnstein sur l’éducation des petites filles. Blood, brains and boobs. On est très loin de Peter Greenaway ou de Stanley Kubrick. Même en étudiant sa filmo à la loupe ou à l’endoscope, il est vraiment très difficile de trouver un bon film. Jonas aime le poisseux, le visqueux et le répugnant ; ce qui peut vite devenir épuisant dans le cadre d’un long-métrage.

Mais bon, Jonas n’est pas infaillible, nul ne l’est à part mon maître à penser Laurent Wauquiez, et donner le rôle de Duncan Vizla à Mads Mikkelsen semble être, pour le moins, la meilleure idée de sa carrière (celle d’Åkerlund, pas celle de Wauquiez). Au programme : Duncan tue, Duncan bois, Duncan va aux putes, Duncan morfle, Duncan baise, Duncan loue un film, Duncan fait une bonne action, Duncan essaye de devenir humain, Duncan se fait trahir, Duncan morfle comme jamais, Duncan tue tout le monde. En résumé, Mads nous fait toute la palette, la totale. Avec le super bonus. La cerise sur le gâteau. Le cocktail au litchi en entrée et la gnôle avec la Viêt à poil fond du godet en digestif. Il y a plein de morts qui clignotent façon guirlande de bordel. C’est joli comme une ligne de coke sur le cul d’une black.

J’ai bien aimé. Ouais, vraiment. C’est un peu comme Sabotage de David Ayer : on sent que c’est foncièrement, irrémédiablement mauvais et en même temps c’est plutôt cool, ça glisse tout seul comme une bonne bière ambrée bien glacée.

Si vos enfants ont plus de dix-sept ans, n’hésitez pas à le regarder en famille, ils vont apprendre des trucs ; ça les changera de Squeezie et de La Casa de papel.

Intégrale N&B de La Voie du sabre en BD

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Il y a quelques années, les éditions Gallimard ont cédé aux éditions Glénat les droits d’adaptation BD de mon roman La Voie du sabre. Deux albums ont paru, avec Federico Ferniani aux dessins et Mathieu Mariolle au scénario. Plus un certain nombre de guest stars pour les contes insérés dans la narration.

Le dernier tome est prévu pour cet automne.

Personnellement, je ne fais rien sur cette trilogie. Mathieu et notre éditeur commun, Benoit Cousin, ont ma confiance depuis les prémices du projet.

En passant sur le forum BD Gest, j’ai appris qu’une intégrale N&B allait voir le jour.

L’aventure approche de sa conclusion et visiblement de fort belle manière.

 

Solitaire / Eaux troubles, Greg McLean (2007)

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Un journaliste spécialiste en voyages (Michael Vartan, impeccable) se rend dans les territoires du nord de l’Australie pour faire une croisière d’observation des crocodiles. Son voyage se passe plutôt mal, on a perdu ses bagages, il y a la chaleur, les mouches et les autochtones ne sont pas forcément accueillants. Mais bon, courage, on va y arriver, il monte avec d’autres touristes à bord de la Suzanne, pilotée par la charmante Kate Ryan (Radha Mitchell, elle aussi impeccable). Évidemment, tout tourne à la catastrophe quand un crocodile de taille exceptionnelle, aux exigences territoriales marquées, endommage le bateau.

On doit la réalisation de Solitaire à Greg McLean,  le réalisateur plutôt doué de Wolf Creek 1&2, Jungle, The Darkness… J’ai beaucoup aimé le premier Wolf Creek et surtout Jungle.

Solitaire est une série B de luxe, avec des paysages magnifiques, des personnages un peu caricaturaux, une ou deux facilités scénaristiques, comme quand Sam Worthington accroche la corde à un arbre mort, alors qu’il y a plein d’arbres tout à fait en bonne santé à proximité. Et en même temps, c’est vraiment un film prenant avec plein de rebondissements et une scène de tension, incroyable, sur la fin. Les effets spéciaux sont exceptionnels. A aucun moment on n’a l’impression que le crocodile est en images de synthèse ou en caoutchouc pourri.

Si vous voulez une petite série B d’horreur, un tantinet poisseuse, ce film est parfait.

 

 

(Très) cher cinéma français, Eric Neuhoff (Albin Michel)

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(Disclaimer : je n’ai pas reçu ce livre en service de presse, je ne l’ai pas acheté non plus, travaillant chez Albin Michel, je suis allé au magasin et j’en ai demandé un exemplaire).

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Ma passion pour le cinéma français étant à peu près équivalente à celle pour le gratin de chou-fleur, saloperie de légume auquel je suis violemment allergique, et dont l’odeur seule me pousse à la nausée, je n’ai pas résisté longtemps et je me suis jeté sur ce petit pamphlet (ça se lit en une heure, deux si vous savourez certains passages).

L’entame est brillante :

« HS. Kaputt. Finito. Arrêtons les frais. Le cinéma français agonise sous nos yeux. Il est à peine l’ombre de lui-même. Bientôt, on punira les enfants qui n’ont pas fini leurs devoirs en les obligeant à regarder les nouveautés. C’est ainsi, le plaisir est devenu une corvée. Si tu n’es pas sage, tu iras voir le dernier Ozon. »

Neuhoff a deux têtes de turc (choisies bien sûr au hasard) : François Ozon et Isabelle Huppert. Le passage sur Huppert est un festival pyrotechnique. Neuhoff dit des choses tellement vraies sur le cinéma américain des années soixante-dix où un chef d’œuvre sortait par semaine, sur le sens des œuvres, le rôle de la critique, sur l’ambition artistique, etc.

Si le fonds (c’était mieux avant) semble assez inattaquable, le réquisitoire prend des détours nostalgiques parfois un peu étranges, un peu contre-productifs, mais bon Neuhoff a choisi d’enfoncer le doigt dans une cervelle pourrie et ce n’est pas chose facile.

Le livre a aussi des vertus inattendues, on a soudain envie de le défendre ce putain de cinéma français. Tel un Indiana Jones fatigué et poussiéreux on fouille dans sa mémoire, à la recherche de films français récents qu’on a aimés, ou qui vous ont transportés : j’en ai trouvés quelques uns, pas toujours (très) récents.

  • La Sentinelle d’Arnaud Desplechin (1992)
  • Trouble every day de Claire Denis (2001)
  • L’adversaire de Nicole Garcia (2002)
  • Le Bossu de Philippe de Broca (1997)
  • Vinyan de Fabrice du Welz (2008)
  • L’ennemi public n°1 / L’Instinct de mort de Jean-François Richet (2008)
  • Grave de Julia Ducournau (2016)

Évidemment, c’est beaucoup plus facile si on remonte aux Valseuses, à Melville, etc. Comme on pouvait le craindre, Neuhoff a raison.

Et je me suis aussi aperçu que j’étais infoutu de me souvenir… quel est le dernier film français que j’ai vu en salles. Sans doute Valerian de Luc Besson, que j’ai proprement détesté. Était-ce un film français ? Je crois qu’on s’en fout, c’était surtout un film raté.

 

 

Monster, Patty Jenkins (2003)

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Monster raconte l’histoire de la serial killer Aileen Wuornos, née Susan Carol Pittman.

Le point de départ du film, puisqu’il en fallait un, c’est la rencontre entre Aileen (Charlize Theron, qui fut récompensée d’un oscar pour sa performance) et Selby (Christina Ricci, qui aurait aussi mérité l’oscar pour la justesse de son jeu). Les deux jeunes femmes tombent amoureuses. Aileen, prostituée, essaye de trouver un boulot régulier, mais échoue et, après un premier meurtre qui relève sans doute de la légitime défense, s’enfonce dans le crime pour entretenir son immature chérie.

Monster est un film dur. Charlize Theron est prodigieuse, d’autant plus prodigieuse quand on se souvient que l’actrice est sud-africaine. Vous n’oublierez jamais la scène où elle se lave après avoir tué un homme : elle est grasse, pleine de sang, son corps pourtant jeune est abimé, toute sa beauté passée est perdue et ne reviendra jamais. Monster est un film non pas à réhabiliter, il n’en a pas besoin, mais à remettre sur le devant de la scène, car a bien y réfléchir le calvaire d’Aileen Wuornos (calvaire : il n’y a pas d’autre mot) n’a rien à voir avec le parcours de prédateurs comme Jeffrey Dahmer, pour n’en citer qu’un. Aileen a dit avoir été violée dès l’âge de huit ans, puis elle a eu un enfant à quatorze ans, avant d’être chassée du domicile de ses grands-parents à quinze ans. Son père (qu’elle n’a jamais connu était un pédophile et violeur ; il a été assassiné par un co-détenu) Que se serait-il passé si cette gamine avait été aidée, aimée, protégée ?

A l’heure de mee too, de l’après-Wenstein, des records de féminicides, de l’après-Epstein, Monster rappelle une triste réalité et quelques vérités bien senties : oui une prostituée peut-être violée, oui certains clients de prostituées n’ont que cette vie sexuelle car ils sont handicapés (ou leur épouse est handicapée), ou ils sont dans l’incapacité réelle de nouer une relation sentimentale.

Patty Jenkins ne tire pas sur l’homme / les hommes à boulets rouges, ce qu’elle fait est nettement plus fort, plus fin, elle nous montre comment à force de heurter des murs, Aileen Wuornos s’est senti complètement prise au piège, mais aussi privée de son humanité. Comment de la légitime défense (sa première victime), elle a glissé peu à peu dans le meurtre prémédité. Elle nous montre qu’Aileen Wuornos n’était pas un monstre, ce serait trop facile, mais une enfant qui a beaucoup souffert, une femme à qui personne ou presque à tendu la main. Une enfant violée, une adolescente violée, une prostituée violée, agressée, frappée, harcelée par certains policiers.

Monster est un grand film, un film riche, un film éprouvant mais paradoxalement plein d’humanité.

 

Blade of the immortal, Takashi Miike (2017)

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Après avoir commis un massacre, au cours duquel il n’a pas pu s’empêcher de tuer le mari de sa sœur, corrompu, le samouraï déchu Manji est attaqué par une multitude d’adversaires qui veulent la prime mise sur sa tête. Pendant l’affrontement, il essaye de sauver sa sœur rendue folle par le deuil et échoue. Vainqueur, mais mortellement blessé, Manji attend la mort quand une vieille sorcière l’infecte avec des vers d’immortalité.

La jeune Rin a vu sa famille détruite : son père assassiné par Anotsu Kagehisha, sa mère enlevée par un des complices d’Anotsu. La gamine a juré de se venger. Afin d’y parvenir, elle engage Manji comme garde du corps.

Blade of the immortal est l’adaptation d’un manga à succès. Une des spécialités de Takashi Miike, le réalisateur japonais qui tourne plus vite que son ombre. Blade of the immortal est long, 2h20, et un brin épuisant. Il commence par une scène de bataille phénoménale et se clôt un peu de la même manière. Dans ce film de sabre totalement anachronique (armes, costumes, postures des personnages, coiffures mangas, dialogues et j’en passe), on retrouve l’humour noir de Miike, son sens de la provocation, et aussi foule d’hommages et clins d’œil plus ou moins fins à Kill Bill vol. 1, Zatoïchi, la trilogie Samurai avec Toshiro Mifune. Le diptyque Yoyimbo / Sanjuro. Sans oublier le cinéma de Hong Kong : The Blade de Tsui Hark et ses Chinois qui volent. Malheureusement le film est aussi d’une misogynie décomplexée qui ne fait pas honneur au réalisateur.

Pour tout arranger il ne « s’élève » jamais, se réduisant à une série d’affrontements : contre le violeur, le bandit coiffé en hérisson, l’immortel las de l’existence, la guerrière qui ne sait pas vraiment pourquoi elle se bat, le sabreur manchot, etc. Miike fait son Azumi, son chambara-pop ; ça va un moment, puis au trois cent cinquante quatrième mort (sur un millier environ) ça commence à devenir lassant, comme ces jeux vidéos où l’on ne fait que tuer des méchants, le plus vite possible. Dès que Miike laisse parler sa folie habituelle et/ou naturelle (hectolitres de sang, mutilations et perversions en tous genres), le spectacle remonte d’un cran, mais ces éclairs d’insanité sont trop rares pour faire de Blade of the immortal un grand film, comme l’était Izo, peut-être son chef d’œuvre.

Si Miike se permet quelques ellipses d’une rare audace, on regrettera des scènes bâclées, une mise en scène assez paresseuse, mécanique et répétitive, des armes en plastiques et des costumes qui semblent sortir d’un supermarché cosplay de Shinjuku.

Sôta Fukushi qui incarne Anotsu Kagehisha écrase tous les autres acteurs, notamment par sa présence androgyne.

A réserver aux complétistes de Miike.