True Detective S04 – Issa López


Dans la station Tsalal, située en Alaska, le jour est sur le point de se coucher pour une longue période. La nuit arctique va s’installer et avec elle des conditions météorologiques difficiles. C’est à ce moment précis que tous les scientifiques de la station (tous des hommes) disparaissent. Appelée sur les lieux par le livreur, surpris d’avoir trouvé les lieux abandonnés, la police pense vite à un crime, car ils trouvent la langue tranchée d’une femme sur le sol. Se pourrait-il que ce soit celle d’Annie Kowtok, une activiste écologiste assassinée quelques années auparavant, dont justement la langue manquait. La chef de la police Liz Danvers (Jodie Foster) va devoir enquêter avec la brigadière Navarro (Kali Reis), et les deux femmes ne s’apprécient guère. Ce qui promet une enquête d’une grande pénibilité. Enquête qui prend un tournant inattendu quand les corps des scientifiques sont retrouvés.

La première impression est parfois la bonne. Quand je suis arrivé au bout du premier épisode, je me suis dit en pensant aux scénaristes : « ils ne vont jamais y arriver, ils ne vont pas pouvoir retomber sur leurs pattes ». Et c’est exactement ça, pendant cinq épisodes, la série est plutôt bien menée, mais les mystères s’empilent les uns sur les autres, la bonne vieille méthode Damon Lindelof (scénariste que j’exècre, ou peu s’en faut). Et au final la montagne va accoucher d’une souris blanche qui courrait dans la neige… de la même absence de couleur.

Tout n’est pas à jeter. J’ai aimé les personnages (Jodie Foster joue bien les peaux de vache ménopausées). J’ai aimé la dimension fantastique et mythologique de l’intrigue. Mais la réalisatrice/scénariste, à trop se concentrer sur son duo d’enquêtrices mal assorties en oublie l’enquête (elles ont un point commun étonnant : aucune des deux n’enlève son soutien-gorge pour baiser). Et propose une solution ridicule qui m’a fait pouffer de rage. Car quand on déroule l’histoire dans le bon sens, elle perd absolument toute plausibilité et finit par se condenser en une magouille scénaristique risible à peu près aussi invisible que le nez rouge d’un clown.

Décidément, en tant que spectateur, j’ai un problème avec cette anthologie True Detective… Je n’y trouve jamais mon compte, et à chaque fois j’espère que ce sera la bonne. Mais il y a toujours un pavé scénaristique dans la mare, une couille dans le potage qu’essaye de cacher un vrai talent d’esbroufe visuelle.

C’est d’autant plus rageant que cette enquête en Alaska avait, sur le papier, un potentiel énorme.

God is a bullet, Nick Cassavetes (2023)


Bob Hightower est un flic de bureau, une chauffeur de fauteuil, pas un flic de terrain. Quand sa fille de quatorze ans est kidnappée par un groupe de trafiquants de drogue satanistes qui traîne des deux côtés de la frontière mexicaine, Bob est complètement désemparé. Son ex-femme a été violée, assassinée. Le crime commis est d’une brutalité extrême, complètement hors-norme pour ce policier. Et puis quelques semaines après la disparition, Bob est contactée par une jeune femme, Case (Maika Monroe, qui a elle-seule transcende le film). Case est une ancienne sataniste, une ancienne junkie, une ancienne prostituée. Elle est aussi déterminée. En fait, malgré qu’elle progresse sur la lame du rasoir, elle bien plus déterminée que Bob à retrouver ses anciens complices. Lui veut sauver sa fille, mais Case, que veut-elle ?

En quelques mois, j’ai vu trois fois God is a bullet.

D’abord j’ai vu la version tronquée d’1h59. Et j’ai trouvé le film bancal, raté, mais aussi traversé par des fulgurances qui m’ont rappelé un David Lynch à son meilleur (Sailor&Lula, Lost Highway). Sachant qu’il y avait une version longue, je me la suis procurée. Et là, j’ai trouvé le film bien meilleur, beaucoup de détails qui m’avaient posé problème la première fois ont pris sens. Et enfin j’ai fini par l’acheter en Blu-Ray (allemand – l’offre allemande est bien meilleure que l’offre française, notamment en matière de films d’horreur) et je l’ai trouvé encore meilleur que les deux fois précédentes. Alors ce n’est pas un film parfait, mais c’est sans doute le meilleur film de Nick Cassavetes (fils de Gena Rowlands et John Cassavetes).

La première chose qui frappe dans ce film, c’est l’interprétation de Maika Monroe. Elle est tellement dans son personnage que c’est incroyable, elle donne corps et âme à Case, et rend par comparaison Nicolaj Coster-Waldau bien falot, alors qu’il ne démérite pas en flic croyant dépassé par les événements. Le film est d’une violence à la fois réaliste et grotesque qui m’a rappelé celle de Sailor&Lula. Les méchants sont impressionnants. Les 2h36 passent sans problème, il n’y a quasiment aucun temps mort, aucun ventre mou. C’est puissant. Vraiment puissant, je désespère qu’il y ait si peu de film de ce genre.

God is a bullet est l’adaptation du roman éponyme de Boston Teran (visiblement un pseudonyme), en bon français Satan dans le désert. Roman que je n’ai pas lu et que je ne lirai probablement jamais, mais je garde le nom de l’auteur dans un coin de ma tête, car nombre de ses œuvres sont inédites en français.

Badlands hunters, Heo Myeong Haeng – 2024


Après un tremblement de terre dévastateur, la ville de Séoul n’existe plus. Dans les ruines de l’ancienne capitale coréenne, un savant fou a créé une communauté dans un immeuble qui a accès à de grandes quantités d’eau potable. Il veut ressusciter sa fille en utilisant certaines propriétés de certains lézards. Pour poursuivre ses expériences, il a besoin d’enfants et d’adolescents. Ce que lui amènent les gangs des badlands, bien contents de récupérer de grandes quantités d’eau potable. Mais un jour, les gangs kidnappent la jeune Su-Na, lançant à leurs trousses un ancien boxeur indestructible : Nam-San et son garçon boucher (amoureux de la jeune fille).

Navet.

On peut le prendre par tous les bouts, ce Mad Max coréen est un magnifique, énorme navet. Tout y est absolument, irrémédiablement, con. A commencer par le tremblement de terre qui rase littéralement la Corée du sud et la propulse dans une ère post-apocalyptique digne de George Miller. Ce serait oublier que ce pays a des alliés, notamment en « occident » (d’ailleurs la sulfureuse Turquie d’Erdogan a survécu à un énorme tremblement de terre récemment). Une fois qu’on a compris qu’on allait naviguer sur les flots d’une flamboyante série Z kimchi / kung fu / post-apocalyptique avec des ophidiens en kinder surprise, on peut regarder l’ensemble d’un œil paresseux tout en suivant ses mails sur son téléphone portable, du genre « oh, une décapitation ».

Dans ce film, le réjouissant Ma Dong-Seok s’impose comme un Sylvester Stallone coréen crédible.

[Coffret DVD] Baba Yaga / Baba Yaga – La Forêt des damnés


Alors que je viens de publier l’excellent roman de GennaRose Nethercott sur Baba Yaga : La Maison aux pattes de poulet, je me suis laissé tenter par ce coffret DVD (vraiment pas cher, chez un célèbre dealer en ligne) en me disant que ça pourrait être intéressant (au pire, même devant un film d’horreur mauvais je n’ai pas l’impression de perdre mon temps). Je croyais que les deux films se suivaient et j’ai donc commencé par Baba Yaga, dont le titre anglais Don’t Knock Twice est, à la réflexion, plus approprié.

La sculptrice Jess a abandonné sa fille Chloé pendant qu’elle était en proie à divers problèmes, dont une toxicomanie avérée. Des années plus tard, clean, elle invite sa fille devenue adulte à venir vivre chez elle. Jess possède, avec son nouveau mari, une magnifique propriété, du genre un chiffre et six zéros derrière. Le problème c’est que sa fille Chloé a été le témoin d’une disparition particulièrement traumatisante : son ami Danny a frappé deux fois à la porte de la sorcière. Une fois de trop. Et maintenant Baba Yaga est à ses trousses.

Ce film de Caradog W. James se laisse voir. Il n’a malheureusement pas grand intérêt. La légende de Baba Yaga est vraiment secondaire et l’ensemble a la subtilité d’un semi-remorque texan qui roulerait sur une famille de hérissons. Le réalisateur tente le coup du double twist/mindfuck, sans convaincre totalement. Mouais. Passons.

J’ai été nettement plus surpris/conquis par La Forêt des damnés (qui aurait dû plutôt être titré La Forêt des oubliés). Premier choc, le film est en russe. Après cinq minutes à jouer avec ma télécommande (à la recherche de la langue d’origine), j’en suis arrivé à la conclusion totalement improbable qu je regardais un film russe (et donc absolument pas la suite du précédent). Je veux dire : en se fiant aux cinq premières minutes, ça ne ressemble pas à un film russe. Une banlieue parfaite, des immeubles neufs et colorés, un soleil unanime, des adolescents relous. Dans ce film, on suit Egor qui a perdu sa mère. Son père s’est remarié avec une autre femme et ils ont eu ensemble une petite fille. Cette autre femme, qui ne travaille pas mais arrive quand même à être débordée, engage une nounou. Arrive donc dans la famille une jeune femme sexy, totalement imbuvable, qui prend Egor de haut. Celui-ci ne se laisse pas faire et soupçonne vite l’intruse d’être dangereuse (une nounou bombasse, sérieux, existe-t-il sur terre quelque chose de plus dangereux pour un couple). Quand sa petite sœur disparait, Egor passe de l’autre côté du miroir : son père et sa belle-mère ont totalement oublié qu’ils avaient eu un enfant et la nounou est étrangement sortie du tableau. L’adolescent va donc demander de l’aide à sa voisine Dasha.

Très honnêtement, c’est un traitement à la Stephen King de la légende de Baba Yaga : un groupe d’ados russes décident de récupérer la petite sœur de l’un d’entre eux et de faire la peau à la sorcière qui a kidnappé le bébé. Il y a quelque chose de vraiment épique dans cette histoire, cette lutte du bien contre le mal. Le rendu esthétique, totalement contre-intuitif, de cette banlieue russe cossue, colorée, parfaite m’a fait penser à plusieurs romans de J.G Ballard (dont Le Massacre de Pangbourne). L’ensemble est plein de trouvailles, notamment esthétiques. Et déploie sa propre mythologie « contemporaine » développée à partir de celle de Baba Yaga. On se laisse prendre par l’intrigue qui est rondement menée, à défaut d’être d’une immense originalité. Pour un film d’une heure et trente-sept minutes, c’est sacrément riche, l’air de rien.

Au final : un film anglais sans intérêt et un film russe classique dans son approche kingienne du mal et, en même temps, vraiment convaincant.

Copenhagen Cowboy, Nicolas Winding Refn (2022)


Une faiseuse de miracles, Miu (Angela Bundalovic), est engagée par Rosella, une femme liée à l’industrie de la prostitution à Copenhague, pour lui permettre d’avoir un enfant. Rien ne se passe comme prévu. Rosella a ses règles, Miu s’enfuit. En pénétrant toujours plus profond dans le monde du crime organisé danois, elle en vient à se dresser contre une famille de vampires qui élève des cochons.

Il y a moyen, sans trop se forcer, de résumer Copenhagen Cowboy de façon complètement, voire totalement ridicule (cf. mon résumé ci-dessus). Mais bon, force est de constater que j’ai adoré l’ensemble et que j’espère qu’il y aura une saison deux tant cette première saison laisse de questions en suspend. L’ambiance est glauque à mourir, la mise en scène est renversante, tout comme l’esthétique. Il y a presque un morceau de bravoure par épisode. Refn est malin, en plus d’être techniquement virtuose. Tout son travail sur cette série tourne autour de la figure de la sorcière et des collisions culturelles : orient, Balkans, occident. Miu se situe au juste milieu entre l’occident « décadent » et l’orient « spirituel ». On s’amusera à relever tous les clins d’œil à Bruce Lee, David Lynch et tant d’autres.

J’ai adoré (déjà dit).

Dans la chaleur de la nuit, Norman Jewison (1967)


Sparta, Mississippi. Dans les années 60.

Dans la chaleur de la nuit un entrepreneur venu investir dans cette petite ville est brutalement assassiné. Peu de temps après, l’adjoint du shériff (Warren Oates) qui ne brille pas par un quotient intellectuel hors du commun arrête un homme noir (Sidney Poitier) qui attendait le premier train du matin. Cet homme se révèle être un policier de Philadelphie, expert en homicide, qui venait rendre visite à sa mère dans le Mississippi. A la demande du maire de Sparta, le shériff local (Rod Steiger) est bien obligé de s’associer avec l’officier de police noir pour trouver l’assassin.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu ce film et il est toujours aussi bon. L’enquête policière n’est qu’un prétexte pour montrer un sud raciste qui n’est pas prêt à voir arriver des noirs habillés comme les blancs (c-à-d en costume élégant). Sidney Poitier et Rod Steiger forment un duo épatant. Leur opposition qui se transforme peu à peu en respect, voire peut-être en amitié sur la toute fin du film est superbement mise en scène. Norman Jewison ne raconte pas le racisme, il le montre, par petites touches qui en s’accumulant peignent un tableau tout à fait effrayant de réalisme. Tous les racismes sont présents, le frontal, le plus facile à identifier, comme le paternaliste, plus insidieux. Le face à face entre Sidney Poitier et Endicott (le plus gros propriétaire terrien de Sparta) est pour le moins intense et dit tellement sur les deux hommes en tellement peu de temps que ça relève du tour de force.

Au-delà du film, qui est très bon, il faut sans doute aussi se souvenir du contexte de son tournage. En 1964, Sidney Poitier et le chanteur Harry Belafonte avaient été poursuivis dans le Mississippi par des membres armés du Ku Klux Klan bien décidés à les lyncher alors qu’ils livraient de l’argent à un mouvement de défense du droit de vote. Par conséquent, le film n’a pas été tourné dans le Mississippi, mais à Sparta dans l’Illinois et au Kentucky pour la scène de la plantation de coton. Pendant toute la durée du tournage dans le Kentucky, Sidney Poitier (menacé de mort par des suprémaciste blancs du coin) a dormi avec une arme sous son oreiller. Et le tournage sur place a dû être finalement écourté tant la situation s’était envenimée. Tout cela semble un peu surréaliste depuis notre salon en 2024. Sidney Poitier a eu une immense influence sur la société américaine ; sans le succès populaire de Sidney Poitier, je ne pense pas que Barack Obama aurait pu devenir président.

J’ai tendance à considérer que Dans la chaleur de la nuit fait partie d’une trilogie thématique « sociale » qui compte deux autres films de 1967 avec Sidney Poitier dans le rôle principal : Les Anges aux poings serrés et Devine qui vient dîner ? Dans chacun de ces films un homme noir occupe un poste où « on ne l’attend pas », policier spécialiste des homicides, ingénieur à Londres et docteur californien à l’excellente réputation professionnelle.

Mare of Easttown – série TV


Mare (Kate Winslet) est flic dans une petite ville où tout le monde se connaît. Une jeune fille a disparu un an plus tôt et l’enquête ne donne rien, ce que la mère de la victime (malade du cancer de surcroit) reproche à Mare. Mare est grand-mère d’un petit garçon qui vit chez elle. Elle est mère aussi d’une jeune étudiante / musicienne lesbienne plutôt bien dans ses pompes malgré le suicide récent de son frère. Mare est une femme divorcée dont le mari vit en face de chez elle et s’apprête à se remarier. Quand une jeune mère célibataire est assassinée dans un parc, puis son cadavre jeté dans une rivière, la vie de Mare devient encore plus compliquée, d’autant plus qu’on lui impose un nouveau coéquipier, un crack de police criminelle (Evan Peters).

Série policière d’une rare âpreté, portrait de femme d’une impressionnante complexité, Mare of Easttown permet à Kate Winslet de faire une fois de plus la preuve de tout son talent, et quelle preuve ! Mare est touchante, parfois indéfendable, compétente, parfois incompétente, elle est sexe et attire les hommes, malgré ses années et ses formes. Toute la partie portrait de femme de cette série HBO est complètement convaincante. Ce n’est pas tous les jours qu’une série télé met en vedette une femme divorcée, grand-mère très jeune (circa 44 ans) et rongée par la culpabilité.

Je serai plus réservé sur la partie policière, notamment sur le dernier épisode où se dénoue l’affaire de meurtre d’Erin (il y a vraiment un truc factuel qui à mon sens ne fonctionne pas, mais je ne spoile pas). Mais bon, à ce bémol près, Mare of Easttown vaut définitivement le coup.

Killers of the flower moon, Martin Scorsese (2023)


Dans les années 20, un soldat, Ernest Burkhart (Leonard Di Caprio, sans doute un peu trop âgé pour le rôle qu’il joue au début du film) rejoint son oncle William Hale à Fairfax, Oklahoma. L’argent y coule à flots, car le pétrole y coule à flots. Ce pétrole appartient aux Indiens Osages qui, comble de l’ironie, ont été déplacés là par le gouvernement au cours du XIXe siècle. Les Indiens sont riches et les Blancs qui travaillent pour eux les jalousent, voire les détestent. C’est à époque-là que des meurtres d’Indiens commencent à avoir lieu, et qu’un immense système de spoliation organisé commence à émerger des boues noires de l’Oklahoma. Ernest y contribue à tous les niveaux, ce qui en fait sans doute l’idiot le plus détestable de la planète.

Ce film m’a tué.

[Critique avec spoilers]

Mais revenons en arrière…. Killers of the flower moon est l’adaptation du récit de non-fiction La Note américaine de David Grann (disponible chez Pocket). C’est un long film-fleuve de 3h26. Je l’ai vu sans jamais m’ennuyer, trouver le temps long ou même regarder ma montre. C’est une fresque historique qui m’a mis dans un sentiment de mal être quasi-permanent, tellement elle est éprouvante sur le plan psychologique (pour une fois, Scorsese s’assagit sur la violence physique, on est loin des scènes de meurtre de Casino, par exemple). Pour résumer ce spectacle, disons que Scorsese y montre l’assassinat d’une femme sur une période de temps très longue. Cette femme a à la fois la conscience qu’elle va être assassinée (comme ses sœurs) et semble quasi accepter son sort, après il est vrai un réel moment de rébellion où elle prend son destin en mains et provoque une enquête du gouvernement. Cette femme, Mollie, épouse d’Ernest et mère de ses enfants est incarnée à l’écran par Lily Gladstone, qui est juste incroyable du début à la fin (je ne sais pas si elle aura l’oscar, mais elle le mérite dix fois). Comme le précédent film du réalisateur, The Irishman, Killers of the Flower Moon est donc l’histoire d’un meurtre (même s’il y en a d’autres), un meurtre qu’on nous montre sous toutes ses coutures. Un meurtre dont le réalisateur explore les racines, la tige, les pétales, le pistil et les étamines.

En regardant ce film, j’ai eu l’impression que Scorsese voulait laisser dans sa filmographie quelque chose d’aussi important/incontournable que La Porte du Paradis dans celle de Michael Cimino. Mais le film est moins réussi. En se concentrant (trop ?) sur le destin individuel de Lily, il perd un peu de hauteur. La mise en scène est assez inventive au début, puis le film retombe dans un classicisme qui lui va bien, sans plus. La veulerie d’Ernest est éprouvante ; j’ai longtemps pensé qu’il allait changer. Mais non, c’est l’autre sujet du film. Comment un homme intelligent (William Hale / Robert De Niro) arrive à faire commettre les pires horreurs aux idiots à sa botte.

Killers of the flower moon n’est pas le chef d’œuvre de Scorsese, mais c’est un film puissant et mémorable qui met en scène deux des plus belles ordures de l’histoire du cinéma américain. C’est aussi un film d’une cruauté et d’une tristesse inouïes.

Chimichanga, Eric Powell (T1), Stephanie Buscema (T2)


Je continue mon exploration de l’œuvre d’Eric Powell avec le diptyque Chimichanga. L’histoire d’une fillette à barbe, en léger surpoids, au régime alimentaire douteux, qui hérite d’un gros monstre poilu et le ramène dans le cirque de son grand-père (où il va évidemment foutre le bazar, sinon y’a pas d’histoire). Parallèlement, on suit une sorcière flatulente (Pétowomane ?) qui essaye de vendre sa dernière potion à une industrie pharmaceutique foncièrement humaniste. L’ensemble pétillant évoque Freaks de Tod Browning remaké par un Tim Burton sous gaz hilarant. Avec une jolie brochette de morales à la clé (à molette ?) : la méchanceté contre les gens différents c’est pas bien, la grossophobie ça craint, la beauté c’est très surfait et tout ça. Raconté comme ça, le machin à poil peut faire peur, mais en fait c’est léger, rigolo et plein de trouvailles visuelles, c’est de la barbe-à-papa verte, la meilleure, en BD. Le tout, résolument charmant, fout plutôt la patate. Eric Powell en profite pour rendre un sincère hommage à tout ce qui avait terrifié le jeune Ray Bradbury et lui avait inspiré un de ses chefs d’œuvres : La Foire des ténèbres.

Le tome 2 – La Tristesse du pire visage du monde – toujours scénarisé par Powell, mais dessiné par Stephanie Buscema est dans la droite lignée du précédent. Les couleurs de Dave Stewart participent à cette continuité. On ne peut pas s’empêcher de regretter le trait de Powell, plus précis, mais Buscema compense avec un très grand respect du fond et s’approprie la forme sans singer bêtement le maître.