Les Révoltés de l’an 2000, Narciso Ibañez Serrador (1976)

°

Un couple d’Anglais se rend en Espagne pour leurs vacances. Ils attendent leur troisième enfant. Alors qu’ils sont en ville, ils apprennent que la Thaïlande est tombée aux mains des communistes et que cette guerre civile est en train de faire de nombreux morts. Quittant une station balnéaire bruyante, ils se rendent sur l’île d’Almanzora (deux cents habitants environ) où ils ne croisent que des gamins mutiques ou presque. La découverte du corps du premier adulte va leur ouvrir les yeux, quelque chose affecte les enfants sur cette île et les rend particulièrement dangereux.

Bon la première chose qui saute aux yeux, une fois le film fini, c’est l’idiotie du titre français. Le titre original ¿Quién puede matar a un niño? est juste deux mille fois mieux et pose parfaitement la problématique du long-métrage (que se passerait-il si les enfants commençaient à massacrer les adultes ? Que pourrions-nous faire ? ) D’ailleurs cette ligne de dialogue « ¿Quién puede matar a un niño? « , percutante, arrive presque au mitan du film (hors-générique), à une ou deux minutes près (ce qui m’a rappelé la construction quasi mathématique du Théorème de Pier Paolo Pasolini).

¿Quién puede matar a un niño? est incroyable a plus d’un titre. Il est sorti à peine un an après la mort de Franco (et trois ans avant le premier Mad Max, avec lequel il partage une audace cinématographique qui me semble « historique » ; ce sont d’authentiques films-jalon). ¿Quién puede matar a un niño? marque sans doute la naissance d’un cinéma d’horreur espagnol qui s’éloignait alors de l’exploitation pour chercher et trouver sa propre voie. Le générique du film, pendant environ huit minutes, nous montrent, sous forme d’images d’archives insoutenables, les enfants morts de la Shoah, les victimes de la guerre indo-pakistanaise, les mutilés de la guerre de Corée, les morts de faim du Biafra, les enfants vietnamiens brûlés au napalm (dont Kim Phuc, comme il se doit), autant dire qu’on en prend plein la gueule et que l’envie d’arrêter le film est très forte. Plus personne n’oserait faire ça de nos jours (à part peut être Eli Roth) ; au bout d’une minute trente les producteurs sortiraient leurs grands ciseaux et appelleraient au secours un yes man. Film frontal, film à thèse, ¿Quién puede matar a un niño? pallie son manque de subtilité par une série de scènes (d’horreur ou de tension) marquantes et très fortes, comme celle de la piñata ou celle du commissariat. On retrouve dans ce film un hommage poussé à Hitchock, qui culmine dans une scène où la musique particulièrement emphatique et envahissante évoque Vertigo. D’autres scènes nous ramènent aux Oiseaux.

On pense parfois au Village des damnés de John Wyndham (titre français idiot des Coucous de Midwich), parfois à The Wicker Man, parfois à John Carpenter (notamment Assaut, sorti la même année). Mais surtout au texte Sauvagerie | Le Massacre de Pangbourne de J.G Ballard (Running Wild, en VO, publié pour la première fois en 1988), un court roman dont je ne saurais trop vous conseiller la lecture. D’ailleurs il est difficile de croire que J.G. Ballard, immense cinéphile aux déclarations parfois fracassantes, n’ait jamais vu ce ¿Quién puede matar a un niño?

Un peu longuet (1h30 aurait suffi pour raconter cette histoire, sans en perdre ni la tension ni l’argile philosophique et sociologique), éprouvant, mais terriblement fort, ¿Quién puede matar a un niño? vaut le coup d’œil. Si sa forme a sans doute moins d’impact de nos jours, si le rythme peut sembler franchement trop lent, l’expérience de pensée au centre du film est plus que jamais d’actualité. Voilà une œuvre qui remue, qui fait réfléchir, qui marque, un film intelligent et méchant que je ne peux pas m’empêcher de rapprocher du premier Mad Max, même si les deux œuvres n’ont en fait pas grand chose en commun, si ce n’est leur noirceur absolue. L’un comme l’autre ont ouvert une voie, en Espagne, en Australie, et sans doute ont offert cette voie, leur voix unique, à tout le cinéma mondial qui en a été affecté à jamais.

Laisser un commentaire