Printemps, été, automne, hiver… et printemps, Kim Ki-Duk (2003)

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D’abord, il y a le cadre. Un temple flottant au milieu d’un lac serti dans une chaîne de montagnes reculées. Un endroit résolument isolé, un peu hors du temps, mais pas totalement, comme le découvrira assez vite le spectateur.

Au printemps, l’enfant s’amuse en torturant trois animaux : un poisson, une grenouille et un serpent. Le moine qui veille sur lui lui donne une bonne leçon.

Dans la section été, l’enfant est devenu un robuste adolescent qui va tuer l’enfant en lui en découvrant les joies du sexe avec une jeune femme malade confiée au moine par sa mère. Elle va guérir, lui non…

Et j’arrête là le résumé du film, déjà conscient que je suis allé trop loin.

Kim Ki-Duk (mort l’an dernier, fauché par la covid) est un réalisateur coréen, au cinéma malsain et ambigu, dont j’aime globalement beaucoup les films (que certains considéreront souvent comme misogynes, ce qui me semble parfois, mais pas toujours, pas totalement dénué de fondement). C’est un réalisateur un peu art&essais, un peu obscur, et j’ai d’ailleurs un mal de chien à mettre la main sur les DVDs et blu-ray qui existent, devant souvent me rabattre sur des éditions étrangères heureusement assorties de sous-titres en anglais. Mais bon, je suis loin d’avoir tous ses films, et certains sont tout bonnement introuvables.

Printemps, été, automne, hiver… et printemps est me semble-t-il son film le plus connu en France, il est facile à trouver en DVD français (je l’ai évidemment regardé en VO sous-titrée). Je ne sais pas si c’est son meilleur film, mais en tout cas c’est assurément un très bon film, avec des tas de choses étranges, comme deux scènes de possible télékinésie qui ramènent, de façon totalement incongrue, au Temps des gitans d’Emir Kusturica. C’est un film dur et cruel, évidemment puisque c’est un film de Kim Ki-Duk, mais c’est aussi un film splendide sur le plan visuel, plein de symboles, dont certains resteront obscurs, en tout cas pour moi. Peut-être qu’un coréen comprendra mieux la présence de certains animaux durant certaine scènes.

Je me suis régalé – c’est tellement fort, sur le plan émotionnel, sur le plan visuel – et la partie hiver, l’avant-dernière, est sans doute celle qui m’a le plus impressionné.

Je conseille ; c’est vraiment excellent.

Barkskins, une série télé d’Elwood Reid, d’après Annie Proulx

Carte de Wobik, Nouvelle France

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1690.

Une grande effervescence s’est abattue sur la petite colonie française de Wobik. Les Iroquois ont perpétré un massacre non loin. En représailles, six corps d’Iroquois ont été pendus à l’arbre mort qui se trouve à l’entrée de la ville, près des quais. Ajoutez à cela des hommes et surtout des femmes à marier, les filles du Roi, qui viennent d’arriver en ville, donc pas forcément au meilleur moment. Parmi eux se trouve un Bûcheron, René Sel, qui va être engagé par l’excentrique monsieur de Trépagny (David Thewlis, parfois un peu en roue libre, trouvé-je) et Mélissandre, qui va devenir la femme du noble, alors que celui-ci vit déjà avec une métis huronne qui lui a donné un fils (oui oui, ça va chauffer). A ça s’ajoutent deux hommes de la baie d’Hudson (dont l’un évoque Solomon Kane) qui recherchent un des leurs : James Cross, suspecté d’être impliqué dans le massacre qui agite tous les esprits. Wobik est un sac de vipères, attention à ne pas se faire mordre.

Bon la première chose que je retiens de cette série c’est que Francis Geffard (l’aubergiste) meurt très tôt. Or je travaille avec Francis Geffard (l’éditeur) qui lui aux dernières nouvelles va très bien (et qui nous a encore sorti un petit chef d’œuvre pour la rentrée littéraire, Lorsque le dernier arbre de Michael Christie). Je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander qui avait décidé de mettre fin à ses jours et il m’a répondu que c’était Elwood Reid et non Annie Proulx. Francis Geffard a publié trois ouvrages de Reid chez Albin Michel et une nouvelle isolée « Territoires ». J’ai lu Midnight sun et « Territoires » et j’en garde un très bon souvenir (plus de la nouvelle, d’ailleurs, que du roman). Voilà pour l’anecdote, revenons à la série.

Une fois de plus j’aurais aimé adorer Barkskins, louer entre autre sa véracité historique. Mais il y a un petit quelque chose qui m’empêche d’adhérer totalement. Les personnages sont très travaillés, très écrits, mais l’ensemble s’éparpille un peu, court trop de lièvres à la fois. Certains personnages sont très étranges, Trépagny évidemment, James Cross, Renardette aussi, mais ils sont loin d’être les seuls, ce qui donne un peu l’impression d’un asile de fous à ciel ouvert. D’autres personnages, pourtant cruciaux, comme Mari, la métisse française-huronne sont un peu laissés au bord du chemin. Pareil pour Gay Bill dont on ne comprend pas bien ses liens avec des Iroquois visiblement décidés à tuer tout ce qui n’est pas Iroquois.

Barkskins est brutale, cruelle, sans concession (le traitement réservé aux Iroquois est, disons, surprenant). Je me laisserai sans doute tenter par la saison 2 si elle est tournée, histoire de voir si ça s’améliore (de mon point de vue, car les critiques sont globalement excellentes, la série est notée 7,3/10 sur IMDB).

Eli, Ciaran Foy (2019)

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Eli a une maladie auto-immune.
Il vit dans une bulle hermétique, couvé par sa mère qui l’adore, aimé par un père un poil plus distant.
Ils ont trouvé un remède possible pour leur fils, ils y ont mis tout leur argent et le conduisent jusqu’à la clinique du docteur Horn dont Eli sera à ce moment-là le seul patient.
Là, Eli commence à voir des fantômes et n’a qu’une envie : se barrer.
D’autant plus que le traitement médical (thérapie génique) auquel il est soumis lui semble totalement inhumain. Le Dr Horn n’est visiblement pas une grande fan de l’anesthésie générale…

Bon je n’avais pas aimé Citadel du même réalisateur, ce n’est pas celui-là qui va me réconcilier.

Disons que la première heure est plutôt tenue, même si je me suis pas mal ennuyé et puis le film change complètement de paradigme, bascule dans un autre genre et je l’ai trouvé alors rigolo / ridicule mais distrayant.

A partir de cet endroit, je spoile à mort… Vous voilà prévenus.

Donc la grosse révélation du film (qui ne fonctionne pas vraiment, pour un tas de raisons), c’est qu’Eli n’est pas atteint d’une maladie auto-immune, il est le fils du Diable. Maman a fait une grosse bêtise et Papa a un peu de mal à la pardonner. Le docteur Horn (hommage aux Thorn de La Malédiction ?) n’est pas le docteur Horn, mais la sœur Horn d’une étrange congrégation pseudo-catholique (ça ne sera jamais expliqué / développé). Et alors, frappé par la vérité, le si gentil et docile Eli se transforme en superméchant façon Brightburn. Éclats de rire assurés, pas sûr que c’était ce que souhaitait le réalisateur.

Pour une poignée de films | 13/08/21

The Tax Collector est un film de David Ayer sur les gangs de Los Angeles (réels et fictifs). On y suit David, un collecteur, incarné par Bobby Soto. David est le fils de Wizard, un chef de gang emprisonné pour de nombreuses années. Il ramasse l’argent des autres gangs pour son père et, de temps à autre, il règle un conflit entre différentes factions. David est accompagné par un porte-flingue non-latino, Creeper (Shia LaBoeuf) et franchement si vous pensiez que Shia LaBoeuf n’est pas un acteur, ce film risque bien de vous faire changer d’avis. Tout roule à peu près jusqu’à ce qu’un gangster mexicain débarque à L.A, Conejo, et décide de récupérer un morceau du territoire de Wizard. Le fils se montrera-t-il digne de la réputation de son père ?

J’aurais adoré aimer ce film, mais il n’est pas totalement convaincant. Son principal soucis, c’est son rythme : la première partie d’exposition est assez lente, longue, un peu lancinante. Faut s’accrocher. C’est d’ailleurs assez surprenant, à tel point c’est presque documentaire/naturaliste. Passée cette première moitié, le film s’emballe, part dans une direction inattendue et monte en puissance jusqu’aux dernières scènes, très impressionnantes. Mais la principale force du film reste son propos, la relation entre David et son père Wizard. Décidément David Ayer est un réalisateur très intéressant.

Rayburn un ancien chasseur a créé en hommage à sa fille un sanctuaire dans la forêt du Minnesota, non loin de la bourgade d’Echo Falls. Sa fille a disparu depuis cinq ans et la responsabilité le consume, lui a tout coûté ou presque. Un jour, une autre jeune femme est retrouvée morte non loin, tuée avec un atlatl (un propulseur de grosses flèches). Non seulement la shériff du coin va se mettre aux trousses du tueur (elle soupçonne un Amérindien de la proche réserve), mais aussi Rayburn qui a surpris le chasseur de jeunes filles sur ses terres.

Autre film que j’aurais aimé adorer. Nikolaj Coster-Waldau est impeccable en chasseur repenti, alcoolique et hanté par la disparition de sa fille. Le reste du casting est pas mal non plus. Les décors sont superbes, il y a une vraie ambiance, mais le film s’autodétruit assez rapidement. La shériff prend une décision surprenante et Rayburn (qui en est la victime) prend ensuite une décision encore plus surprenante. Au-delà de cette scène-pivot, la mécanique du film se met à patiner et les motivations du tueur/chasseur peinent à convaincre. Dommage. Bon, on passe quand même un bon moment à condition de ne pas être trop exigeant.

Les Américains (gendarmes du monde) interviennent en Moldavie pour mettre fin à une insurrection, mais tout part en sucette quand ils sont attaqués (et massacrés) par des ennemis invisibles et invincibles. Les gens du cru parlent des fantômes de la guerre, mais pour l’ingénieur Clyne, il y a forcément une explication scientifique… car les fantômes ça n’existe pas.

Bon, celui-là, je ne sais pas trop par où le prendre sans spolier à mort. C’est un film d’action, une sorte de Chute du faucon noir avec un ennemi invisible surpuissant. Bon, avant de lancer le machin, on se dit pourquoi pas. Puis, au bout d’une heure, le film part dans le portnawak scientifique total et là, j’avoue, j’ai totalement décroché et je me suis mis à glousser régulièrement (la nature de l’ennemi, la transformation des armes des soldats en quelques heures, etc). Ça a un côté patriotique d’outre-tombe un brin pathétique. Beaucoup d’argent dépensé (70 millions de dollars) pour pas grand chose.

Nobody, Ilya Naishuller (2021)

Vous connaissez Hutch Mansell.

Si si.

Lundi… il se lève, s’occupe du petit-déjeuner des enfants, se prépare un thermos de café, prend le bus, va a son boulot de comptable dans une usine de métallurgie, passe une journée chiante, rentre chez lui en bus, aimerait bien faire l’amour à sa femme qui n’en a pas envie et s’endort épuisé ou lassé ou vide, enfin peu importe. Mardi ? Pareil. Mercredi ? Pareil. Etc. Hutch est personne. Sa vie répétitive est naze.

Et puis un jour il est cambriolé par un jeune couple qu’il laisse partir sous les yeux atterrés de son fils adolescent. Quelle déception. Papa est une lavette.

Sauf que vous ne connaissez pas Hutch Mansell, vous ne savez pas vraiment qui il est, ce qu’il faisait avant d’être comptable et cette vie-là, Hutch va la reprendre à pleines mains, avec assez de flingues dans le calcif pour raser Seattle et sa proche banlieue.

Bon, évidemment ce n’est pas La Porte du Paradis de Michael Cimino… Une fois le côté série B de l’entreprise bien assimilé, ma foi je me suis régalé. Ça fait partie de ces films bêtes et méchants, pleins de fusillades « jeux vidéos / à la John Wick », qu’on regarde avec gourmandise. C’est complètement « comics » : exagéré, pas crédible pour un sou (un commando de la mafia russe donne l’assaut (avec des armes automatiques) sur le pavillon de banlieue d’une famille américaine et personne n’appelle la police) ; c’est plein d’idées rigolotes, de trouvailles de mise en scène. J’ai adoré Christopher Lloyd (82 ans) dans le rôle du père. La scène de chant, interprétée par Aleksey Serebryakov, est étonnante. C’est plein de petits détails, clins d’œil qui font mouche.

Pour une soirée cool, genre bières et pizza, je conseille.

Excision, Richard Bates Jr (2012)

Pauline, 18 ans, vit dans une famille de la classe moyenne américaine. Un père un peu mou, une mère un peu trop croyante et collante, une jeune sœur mignonne comme un cœur, mais atteinte de la mucoviscidose. Fascinée par la chirurgie, Pauline vit dans une univers fantasmatique morbide où elle rêve de dissection, de nécrophilie, d’ingestion de sang, humain ou animal. Perturbée, à n’en point douter, ce que personne ne semble vraiment remarquer, comme si tous les signes, les messages qu’elle envoyait volontairement et involontairement se perdaient dans une sorte de no man’s land confortable du genre : « ne fais pas de vagues, jeune fille », « les adolescents, vous savez ce que c’est ».

Excision est le film le plus connu de Richard Bates Jr, c’est un long-métrage perturbant, choquant, sans doute un peu indéfendable, mais diablement intéressant. Il présente de nombreuses qualités, à commencer par l’interprétation assez bluffante d’AnnaLyne McCord dans le rôle de Pauline. Tracy Lords, totalement convaincante, joue la mère. John Waters, un pasteur totalement dépassé. Malcolm McDowell, un professeur de mathématiques un brin agacé. Le casting est chouette, vraiment. Certains aspects du film rappellent The Cell de Tarsem Singh (bon, pour certains ça ne sera pas un compliment), d’autres évoqueront les débuts de carrière de David Cronenberg. On pourrait trouver pires références.

La qualité principale du film, à mon sens, tient dans son glissement inéluctable vers l’horreur. On s’attache à Pauline, on a envie de défendre ses différences, mais plus le film avance, plus on comprend combien elle s’éloigne de l’humanité et de la réalité. Jusqu’au moment où ses actes deviennent totalement indéfendables.

Premier long-métrage de son réalisateur, Excision n’est pas exempt de défauts : on peut le trouver assez simpliste (j’menfoutiste) sur la détection et le traitement de la maladie mentale ; certaines scènes gore sont un peu forcées.

Richard Bates Jr a réalisé d’autres films, malheureusement introuvables en France : Suburban gothic, Trash fire, Tone-Deaf. Je regrette sincèrement de ne pas pouvoir y avoir accès, mais j’ai peut-être mal cherché.

Excision n’étant pas disponible en DVD ou Blu-Ray français ; je garde ma copie digitale VOSTFR avec conviction.