Section 99, S. Craig Zahler (2017)

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Bradley Thomas (Vince Vaughn) est garagiste, genre moitié montagne de barbaque moitié boxeur raté, il a l’énervade facile (comme Ségolène, mon modèle en tout, j’invente si je veux). Pas commode le musclor, du genre à vous arracher le larynx pour un mot déplacé. Suite à un licenciement économique, Bradley (et surtout ne l’appelez pas Brad) s’associe avec Gil, un trafiquant de drogue. Les affaires vont bien, le pognon coule à flots, madame (Jennifer Carpenter) est enceinte. Mais Gil s’associe avec un Mexicain que Bradley ne sent pas, mais pas du tout. Lors d’une livraison, tout part en sucette et Bradley (qui a la faiblesse d’avoir des principes) commet l’irréparable : il protège les policiers sur lesquels ouvrent le feu ses associés mexicains. Arrêté, il en prend pour 7 ans. Sa descente aux enfers peut commencer.

(Étrangement ce petit résumé correspond peu ou prou à la première moitié du film, c’est dire si le rythme est ample.)

Putain de bordel de merde ! Et encore je reste poli. Putain, mais c’est quoi ce truc ? J’ai vu ce que j’ai vu ou il faut que je change d’eau pétillante et de lunettes ?

S. Craig Zahler m’avait bluffé avec Bone Tomahawk, il remet ça avec Section 99, un film qui glisse du réalisme tatillon, limite critique sociale à la Ken Loach (si si), au film carcéral horrifique presque mythologique. Ou tout semble à côté de la réalité, pas surréaliste mais anti-réaliste (je me comprends, c’est l’essentiel). La dernière demi-heure (le film dure deux heures et douze minutes) est une hallu totale. Je n’ai jamais vu ça de ma vie… et pourtant des films j’en ai vu un bon paquet. C’est d’une brutalité pas du tout XXIe siècle qui rappelle le Scarface de De Palma « et maintenant : la jambe », les pires délires glauques d’un Lars Von Trier en grande forme, les outrages que David Cronenberg aimait bien faire subir à la chair à une époque désormais révolue. Welcome to the new flesh. On peut aussi y voir du Gaspard Noé, tendance Irréversible. Les acteurs sont incroyables, Vince Vaughn bien entendu, physique (on dirait même que l’adjectif a été inventé pour lui), mais Don Johnson n’est pas en reste, ni Udo Kier qui pour une fois ne cabotine pas (trop) et reste tendu comme un string sur le derche d’une ♥♥black brésilienne♥♥.

J’ai ♥adoré♥, mais le moins qu’on puisse dire c’est que ça ne plaira pas à tout le monde.

Âmes sensibles s’abstenir.

Sinon, je vous ai dit que c’était un peu violent ?

Light Sleeper, Paul Schrader (1992)

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John LeTour (Willem Dafoe) est un dealer. Pas le genre à battre le pavé au coin de la rue sous un réverbère à l’ampoule cassée à coups de pierre. John travaille pour Ann (Susan Sarandon, magnifique), une femme du New York huppé qui a fait une fortune modérée dans le trafic de drogue et entame sa reconversion (risquée) dans les cosmétiques. John livre la drogue dans les appartements, les boîtes de nuit, les bureaux des avocats. Il facture 200 dollars un gramme de coke qu’on trouve à 80 dollars dans la rue, mais justement tout le truc c’est qu’il vous empêche de frayer avec la racaille de la rue et les dangers qui gravitent autour. John ne dort pas bien, ne vit pas bien, ne se remet pas d’un mariage qui, placé sous le signe de l’addiction, a immanquablement sombré. Il écrit, consulte une voyante aux pouvoirs époustouflants. Alors qu’Ann prépare de plus en plus frontalement sa reconversion, John retombe sur son ex-femme Marianne, de passage à New York pour être proche de sa mère, hospitalisée en soins palliatifs. John se tient au carrefour de la vie, de l’amour et de la mort.

Light Sleeper souvent (abusivement) comparé à Taxi Driver (écrit aussi par Paul Schrader) est un film profond, riche, lent, tout sauf spectaculaire (n’attendez pas la fusillade pyrotechnique, elle n’arrivera jamais). On n’y croise globalement que des âmes en perdition. C’est un film qui ose aussi des choses intéressantes, comme la scène de sexe entre John et Marianne où pour la première fois de leur vie ils vont s’aimer physiquement sans la camisole de la drogue, sans le spectre de l’addiction – ce « singe perché sur l’épaule qui vous mange la cervelle ». Rédemption, sacrifice, culpabilité, symbolique chrétienne, Paul Schrader ne s’éloigne jamais vraiment de ses thèmes de prédilection (il n’est pas le scénariste de La dernière tentation du Christ pour rien !). Light Sleeper n’est pas son film le plus percutant, mais ça n’en reste pas moins un film franchement intéressant. On peut, sans trop se tromper, y voir les germes de l’excellent A tombeau ouvert.

 

 

Life, Origine inconnue – Daniel Espinosa (2017)

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Un équipage international dans l’ISS s’apprête à récupérer une sonde martienne dont la course a été déviée après avoir heurté des débris. Les prélèvements de cette sonde contiennent une forme de vie que l’équipe scientifique va essayer de ranimer puis cultiver. Evidemment (sinon, il n’y aurait pas de film), tout va foirer dans les grandes largeurs (ou, au contraire, réussir au-delà de toutes espérances).

Evidemment quand on trouve le blu-ray neuf d’un film de SF inconnu (jamais entendu parler de ce truc jusqu’à ce que je l’achète !) dans un bac d’occasion au prix d’un cappuccino dans un Bar-PMU parisien, il y a probablement un soucis quelque part.

Ça commence très fort : Deadpool Ryan Reynolds joue au Baseball (façon mec accroupi qui a le gant qui le fait bien) avec une sonde martienne en approche rapide. Donc il capture l’objet venant « à très grande vitesse » (je me répète, au cas où vous n’auriez pas compris la première fois) avec un bras robotique qu’il contrôle depuis l’espace, tout en prenant bien soin de se mettre sur la trajectoire de l’objet dangereux. Quel suspens ! Ah ah ah. Ça continue aussi fort, avec des gens qui font des trucs de ouf en micro-gravité (quand le réalisateur y pense, parce qu’il n’y pense pas toujours, notamment dans la scène du repas). Donc s’il y a du danger ou s’il va y avoir du sang, il y a de la micro-gravité dans l’ISS, dans le cas contraire, ben, ça dépend du budget effets spéciaux.

ATTENTION A PARTIR DE CE POINT DE NON-RETOUR JE SPOILE A MORT. PARDON POUR LES FAMILLES ET TOUSSA.

(D’aileurs, j’ai jamais compris qui était Toussa… mais c’est un autre problème).

Bon, ils ont récupéré la capsule et les échantillons top moumoute qu’elle contient. Dans le sable martien bien rouge, façon Roland-Garros, ben tu vois, hiberne une cellule extra-terrestre. C’est comme une cellule terrienne, joli comme tout, avec des longs cils de biche. Alors on réchauffe le truc, on bidouille l’oxygène et le dioxyde de carbone. Et miracle sur l’ISS : la cellule se met à bouger, elle remue des cils comme Paola au Bois de Boulogne, c’est presque aussi beau que cette scène incroyable d’émotion où les lumières s’allument dans le vaisseau spatial d’Independance Day parqué quelque part dans le vingt-troisième sous-sol de la zone 51, c’est dire la charge émotionnelle du machin. Le caleçon direct à la machine à laver. Puis la cellule (quelle cochonne !), elle se divise et se divise et le produit de cette partouze en laboratoire orbital finit par ressembler à un Pokémon eau. C’est mignon un Pokémon. Puis quand c’est bleu, c’est forcément inoffensif, il faut plutôt se méfier des trucs marrons, noirs, ou vert dégueulis. T’as déjà vu un requin bleu ? Un xenomorphe bleu ? Un predator bleu ? Un steak bleu ? Donc pas de problème, jouons à gilli-gilli avec la chose bleue.

AH MERDE !

Donc le scientifique en fauteuil roulant (un black sympathique qui a les jambes en gressin – ceci n’est pas un commentaire raciste) s’engage dans une partie de bras de fer avec notre martien bleu et là… le film part en sucette, mais un truc… c’est simple, le coup du Baseball orbital, c’était de la roupi de sans-sonnet (un truc indien pour faire taire les accordéonistes dans le métro). Voilà que Ryan Reynolds prend un lance-flammes (dans l’ISS ! bien sûr qu’ils ont des lance-flammes dans l’ISS, c’te question !) et commence à poursuivre la créature qui… J’en dis pas plus, mais c’est énorme. Jusqu’au bout. Jusqu’à la scène finale, terrifiante.

Alors, étrangement les acteurs jouent bien, les personnages sont attachants. Il y a même un personnage assez étonnant joué par Jake Gyllenhaal. Olga Dykhovichnaya est très touchante en cosmonaute russe, etc. On aimerait la voir plus souvent (à poil, aussi, mais ça n’a pas grand rapport avec ses talents de comédienne).

Life, origine inconnue c’est le navet de comices interplanétaires. C’est trans-galactique, voire davantage. A consommer sans modération. Je me suis régalé.

 

Pacte avec un tueur, John Flynn (1987)

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Le flic Dennis Meechum (Brian Dennehy, magistral) est le seul survivant d’un cambriolage qui a mal tourné et a coûté la vie à plusieurs autres policiers. Alors que les voleurs s’enfuyaient, Dennis en a gravement blessé un au ventre, celui qui avait des brûlures de cigarette à la main. De toute cette histoire et de l’enquête qui a suivi, Dennis en a tiré un livre de non-fiction qui est devenu un best-seller. Des années plus tard, la réalité a durement rattrapé Dennis : il vit au-dessus de ses moyens, sa femme est morte, sa fille unique devient une femme et il faut qu’il finisse son nouveau livre pour échapper à la banqueroute. C’est alors qu’apparaît un étrange personnage, Cleve (James Woods, toujours à longer l’abysse du cabotinage sans y glisser… ou juste un orteil, pour faire trempette), un tueur qui lui propose rien de moins que le sujet d’un best-seller : David Madlock (Paul Shenar, vu dans Scarface) le célèbre homme d’affaires.

J’ai toujours beaucoup aimé Pacte avec un tueur / Best seller. Ce n’est pas un grand film. C’est sans doute même pas un bon film (beaucoup de morceaux du scénario de Larry Cohen gagnent grandement à ce qu’on ne s’y attarde pas – l’épisode du taxi par exemple). Mais il y a une alchimie assez rare qui s’opère entre ces deux hommes que tout oppose : le bon flic, bon père de famille et le tueur pervers narcissique. Larry Cohen (qui a toujours été un vieux briscard, même jeune scénariste) se permet beaucoup de choses dont une scène en totale résonance avec le chef d’oeuvre de Truman Capote : De sang froid.

Il serait sans doute dommage d’en dire davantage pour ceux qui ne connaissent pas ce film. Je conseille.

Red Sparrow, Francis Lawrence (2018)

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Dominika Egorova (Jennifer Lawrence – gros nichons, gros cul, pas très danseuse étoile) est une des vedettes du Bolchoi. Suite à un accident, elle se retrouve dans l’incapacité de danser et doit malgré tout continuer à s’occuper de sa mère malade. Son oncle (Matthias Schoenaerts) qui travaille dans les services secrets russes la piège et l’oblige à intégrer l’école des moineaux, une école où on forme des espionnes-putes (« you have sent me in a whore school ! »), des espionnes qui utilisent le sexe et la manipulation mentale pour arriver à leurs fins. Dominika résiste autant qu’elle peut à l’enseignement et aux nombreux viols qu’il implique. Et en même temps, elle se découvre plutôt douée à ce jeu. La traque d’une taupe très haut placée aux services secrets russes conduit Dominika à Budapest, où elle doit séduire l’agent de la CIA Nate Nash (Joel Edgerton).

Red Sparrow est l’absolu contraire de l’idée qu’on pourrait se faire en ajoutant film d’espion(ne)s, Francis Lawrence (le calamiteux Je suis une légende), Jennifer Lawrence et Hollywood. Ce n’est pas un James Bond, ce n’est pas une comédie racée comme Atomic Blonde. Ce n’est même pas un film d’action à la Mission Impossible. Il s’agit d’un film d’espionnage plutôt sombre et sérieux, aux enjeux presque terre à terre. Impossible de ne pas penser à John Le Carré, mais un John le Carré qui aurait décidé de doper son oeuvre avec une surenchère de sexe sado-masochiste et de scènes de torture d’une brutalité suffocante, façon Saw. Jennifer Lawrence se fait violer (je ne spoile pas, pas vraiment, c’est au tout début du film), on la transforme en pute de luxe, elle se fout à poil la moitié du film, on la tabasse, torture, etc. C’est d’une dureté, d’une âpreté totalement bluffante.

Le film n’échappe pas à certains défauts, il est très « fabriqué » trouvé-je, inutilement long (2h20), mais il marque aussi le retour (momentané ?) d’Hollywood à un certain type de film à la fois ambitieux, coûteux (69 millions de dollars tout de même) et absolument pas « grand public ». Le twist final est en fin de compte assez attendu ; on sourit à ne pas être surpris plus que ça. Dans l’ensemble, j’ai trouvé les intentions plus louables que le résultat final : éprouvant, épuisant.

The assignment, Walter Hill (2016)

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Frank Kitchen (Michelle Rodriguez avec une barbe et en pénis, en full frontal) est un tueur à gages latino, originaire de Miami. Répondant à un contrat, il assassine Sebastian Jane, le frère de la génialissime (c’est elle qui le dit) chirurgienne Rachel Jane. La vengeance de Jane sera pour le moins originale : elle opère Frank et le transforme en femme (Michelle Rodriguez, toison et tétons au vent, en full frontal, pour les amateurs… dont je fais partie, ce qui ne coûte pas cher à avouer).

Ce film est tiré d’une BD : Corps et âme, chez Rue de sèvres. N’ayant pas lu la bande-dessinée, je ne peux parler que du film qui n’est pas fameux. On me l’avait vendu comme un navet et c’est vrai qu’il y a une indéniable saveur de navet trop cuit, mais un navet pas marrant, un navet sérieux, et insufisamment nanardesque pour devenir jouissif. Le film ne présente guère de surprise, de A à Z on sait où il va, comment il y va. Sigourney Weaver fait la dame de glace, amatrice de Shakespeare et Poe, avec un certain dédain, trouvé-je. Michelle Rodriguez est belle, mais belle ; résultat son opération semble assez peu crédible. Il n’y a pas une ombre de réflexion sur le changement de sexe, la forme de viol / torture que représente le fait d’imposer une telle opération à quelqu’un (on trouvait déjà cette idée d’opération imposée au centre de La Piel que habito de Pedro Almodovar, 2011, tiré d’un roman de Thierry Jonquet).

Même dans sa nullité, The assignment est médiocre. Un tour de force.

 

 

Death wish, Eli Roth (2018)

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Paul Kersey, brillant chirurgien qui travaille aux urgences de Chicago est appelé pour une urgence alors qu’il s’apprête à fêter son anniversaire en famille. Pendant qu’il sauve une vie, sa femme et sa fille son agressées à leur domicile. Le cambriolage tourne mal, l’épouse de Kersey est assassinée, sa fille tombe dans le coma à la suite d’une fracture du crâne. L’enquête piétine et Paul devient un vigilante, un justicier dans la ville.

Au départ Death wish est un roman noir de Brian Garfield (Death wish, 1972) inédit en français. En 1974, Michael Winner le porte à l’écran avec Charles Bronson dans le rôle principal. Énorme succès commercial et polémique sur la scène de l’agression (durant laquelle fait sa toute première apparition à l’écran un certain Jeff Goldblum). Si le film de 1974 a engendré plein de copies « d’exploitation » plus ou moins douteuses, il n’en reste pas moins un excellent drame. Ce qui n’est pas le cas de ses quatre suites bronsonniennes de plus en plus calamiteuses (et nauséabondes).

En 2018, Eli Roth – excellent réalisateur de mauvais films (je me comprends) – signe le remake. Dire que je n’en attendais pas grand chose est un euphémisme. Et le résultat est tout à fait conforme à mes attentes. Si Bruce Willis assure dans certaines scènes, il est complètement à côté de la plaque dans d’autres. On ne sent pas vraiment la douleur que la mort de sa femme et le coma de sa fille ont provoqué en lui – le réalisateur compense avec des scènes de psy et des scènes de dépression / canapé. Puis le chirurgien devient un vigilante et, comme on pouvait s’y attendre, Roth ne peut s’empêcher de quitter le drame pour une certaine complaisance qui culmine dans la scène du garage, puis la scène finale du film. Clairement conçu comme une machine à cash légèrement transgressive (ce qu’il ne sera pas au final, le film n’ayant pas marché plus que ça), Death Wish 2018 n’a pas la puissance morale de son modèle de 1974. Le casting est paresseux : Dean Norris en flic pour la millième fois de sa carrière, des antagonistes sans grande saveur. La mise en scène est correcte, sans plus.

On notera toutefois quelques qualités : l’interprétation fine de Vincent D’Onofrio, bien meilleur que Willis dans les rares scènes où il apparaît. Kimberly Elise, très convaincante en femme flic. Camila Morrone qui crève l’écran dans le rôle de la fille de Paul Kersey.

Eli Roth se prend les pieds dans le tapis, n’échappe pas au mauvais goût et à l’indécence morale, et rate ce qu’aurait pu être un bon remake de Death Wish à l’heure des réseaux sociaux. En la matière, on préférera et de loin le Night Call de Dan Gilroy.

The Tiger : an old hunter’s tale – Park Hoon-Jung (2016)

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Corée 1915. Le pays est occupé par les Japonais. Chez l’envahisseur, un haut-gradé décide coûte que coûte de mettre un terme au règne du Seigneur de la montagne, un énorme tigre borgne dont le poids est estimé à plus de 400 kilos. Pendant la traque, la femelle et les deux petits du tigre sont tués par des chasseurs employés par les Japonais. La vengeance du tigre, devenu le dernier de son espèce, sera terrible.

Dans sa petite maison au pied de la montagne, où il vit seul avec son fils, à l’écart du village, un vieux chasseur (Choi Min-Sik) se tient le plus loin possible des événements ; il a un passé avec ce tigre, il a mis fin à leur guerre des années auparavant, quand sa femme est morte. Mais l’histoire ne va pas tarder à rattraper le vieil homme.

The Tiger est un film particulièrement clivant, c’est un mélange de drame familial, de fresque historique, de film de monstre (pur et dur) et de film d’horreur (oh oui !). Le réalisateur fait fi de tout réalisme en matière d’éthologie du tigre (ou du loup) : il raconte un conte, une histoire, une mythologie forgée dans les tripes, la neige et le sang. Il raconte la mort d’un monde magnifique et l’avènement d’un nouveau monde qui l’est moins. Certains trouveront le film trop long, les effets spéciaux digitaux trop voyants (ce n’est pas faux), certains le trouveront trop sanglant (c’est vrai que le réalisateur n’y va pas de main morte), certains trouveront que le patriotisme remonte un peu trop à la surface de l’histoire (oui, bien sûr). The Tiger est clairement un spectacle too much où la beauté des paysage alterne avec les scènes de massacre. Il y a quelque chose de cathartique dans cette débauche de geysers de sang, d’amputations et d’éviscérations. C’est aussi un film bouleversant qui nous confronte à une des agonies les plus éprouvantes de l’histoire du cinéma.

J’avais beaucoup aimé le précédent film de Park Hoon-Jung, New World. Celui-ci m’a aussi beaucoup plu, mais il est à réserver aux gens qui acceptent de voir les combattants voler dans les film chinois, qui acceptent qu’un tigre puisse dialoguer avec un chasseur, même si ce dialogue ne passe pas par des mots. Park Hoon-Jung affronte sans doute le genre le plus dur qui soit, celui du récit mythologique, universel. Avec une ambition qui fait plaisir, avec une audace que beaucoup lui reprocheront, il livre son Moby Dick. Et pour ça, il lui sera beaucoup pardonné.

 

 

Room, Lenny Abrahamson (2015)

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Jack, 5 ans, vit avec sa mère Ma (Brie Larson) dans un cabanon de trois mètres sur trois avec comme seules ouvertures sur l’extérieur un velux et une télévision à la mauvaise réception. Jack a toujours vécu dans la « chambre » avec sa mère. Quand le Grand Méchant Nick vient les visiter, et surtout visiter sa mère, Jack se réfugie dans le placard. Jack aime sa mère et réciproquement, ils sont tout l’un pour l’autre. Ce que Jack ne comprend pas c’est que sa vie n’est pas normale, alors quand sa mère lui parle de son plan pour se débarrasser définitivement du Grand Méchant Nick, Jack a du mal à prendre une décision.

Comme j’avais beaucoup aimé Frank de Lenny Abrahamson, je me suis offert le blu-ray de Room. Mais j’ai mis des mois à le visionner car je me souvenais trop du roman d’Emma Donoghue (lu en anglais à sa sortie). Room est un très bon film, mais il faut absolument choisir le moment où on osera s’y frotter (ce que je n’ai sans doute pas très bien réussi à faire, mais il n’y a sans doute pas de « bon moment » pour visionner un tel film). Même si Abrahamson est un champion du hors-champ, de l’ellipse et de l’implicite, il n’en reste pas moins que Room est l’histoire d’une femme qui se fait violer presque tous les soirs pendant des années et élève avec amour un enfant qui pourrait facilement symboliser la somme de tous ses tourments. La violence psychologique du film est indéniable et les moments de tendresse et de complicité ont beau être présents de bout en bout, tout nous ramène à cette violence. Même quand on croit en être libéré, elle revient via la justice, le personnel soignant, les médias, etc. Le point d’orgue du film vient sur la fin, où alors qu’on ne s’y attend absolument pas Abrahamson renverse la perspective de ce qui s’est passé dans la chambre pendant cinq ans. Je ne veux pas spoilier, mais la scène est vertigineuse.

Il est difficile d’aimer un tel film, éprouvant, épuisant sur le plan émotionnel. Mais c’est aussi un sacré bon « drame psychologique », à l’opposé de la bouillie popcorncocacola que n’a de cesse de proposer Hollywood. Un vrai morceau de cinéma, donc, servi par le jeu d’actrice de Brie Larson, dont la performance est d’une rare intensité. La scène avec la femme flic dans la voiture, la scène de repas avec William H. Macy, la scène de l’interview sont marquantes, toutes scènes d’une extrême maîtrise formelle qui s’impriment au fer rouge, des fragments de diamant cinématographique qui vous transpercent de part en part.

L’irlandais Lenny Abrahamson n’a probablement pas fini de nous étonner. Je n’ai plus qu’une hâte que son nouveau film The little stranger sorte en blu-ray.