The Guilty, Gustav Möller (2018)

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Asger Holm, un policier de terrain, est affecté au 112 (l’équivalent danois du 911) en attendant une audience cruciale qui doit décider de la suite de sa carrière dans la police danoise. Toute la nuit, il prend des appels sans intérêt, jusqu’à ce qu’il tombe sur une femme qui semble parler à sa fille. Il comprend alors que cette femme, Iben, a été kidnappée et fait semblant d’appeler sa fille pour que la police puisse tracer son appel. Commence alors une nuit d’extrême tension, à la recherche de la camionnette blanche du ravisseur qui roule vers le Nord.

1h09. The Guilty ne dure qu’une heure et neuf minutes. Et pourtant, malgré ce format inhabituel ou grâce à lui, Gustav Möller fait des étincelles. Son film, entièrement vécu depuis le PC téléphonique de la police danoise, est d’une tension extrême, presque insupportable. Et quand toutes les pièces du puzzle se mettent en place, vous recevez un uppercut à l’estomac qui vous laisse le souffle coupé.

Les Américains en ont fait un remake avec Jake Gyllenhaal, dirigé par le talentueux Antoine Fuqua.

Je ne l’ai pas vu… et j’aurais tendance à vous conseiller de commencer par l’original.

Don’t Look Up – Déni cosmique, Adam McKay (2021)

Joli casting…

Alors qu’elle travaille sur le télescope de Michigan State, la doctorante Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence, très bien) découvre une comète qui portera bientôt son nom. Elle demande au professeur Mindy (Leonardo Di Caprio, hilarant) de valider sa découverte. Il fait et refait les calculs, la comète heurtera la terre dans environ six mois. Invités à la Maison Blanche, les deux savants de troisième ordre en informent la présidente (Meryl Streep qui fait très bien Donald Trump en jupons). Celle-ci juge qu’avec les élections de mi-mandat, il est urgent d’attendre. Furieux, Dibiasky et Mindy alertent la presse. Ils passent dans l’émission de Jack et Brie. Dibiasky y pète les plombs « on va tous crever » et Mindy pécho la présentatrice gastronome chaudasse (Cate Blanchett, insupportable comme d’hab’ mais là c’est le rôle qui veut ça). Bon, c’est pas tout ça, mais maintenant il faut sauver la Terre.

C’était bien.

En fait, c’était mieux que ça. J’ai éclaté de rire à plusieurs reprises. Leonardo Di Caprio peut incarner un prof de banlieue anxieux, j’aurais jamais cru. Jennifer Lawrence est très bien en doctorante rebelle à piercings. En fait, ils sont tous très bien. Meryl Streep en fait des tonnes, mais ça passe. Son interprétation n’est pas plus incongrue que Donald Trompe à la Maison Blanche. Mark Rylance est glaçant dans son interprétation personnelle de Steve Jobs (enfin, l’équivalent contemporain).

C’était bien, les deux heures et vingt minutes passent comme une lettre à la poste. L’amateur de science-fiction est servi avec de nombreux clins d’œil. Vous pouvez aller dire bonjour à la comète Dibiasky, vous ne le regretterez probablement pas.

Archive 81, série Netflix créée par Rebecca Sonnenshine

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(Résumé pour ceux qui sont restés dans leur grotte ces six derniers mois.)

Dan Turner (Mamoudou Athie) est un spécialiste de la restauration de vieux enregistrements vidéos. Les mains gantées, avec amour, il démonte les cassettes, nettoie la bande, la rembobine, replace le tout dans un support neuf. Il est contacté par le PDG d’une très riche et très discrète entreprise, Virgil Davenport, pour restaurer les enregistrements de Melody Pendras (Dina Shihabi), une jeune femme disparue en 1994 dans l’incendie du Visser, un emblématique immeuble new-yorkais construit à la place du Manoir Vos, lui aussi détruit par un incendie en 1924. Virgil promet 100 000 dollars à Dan et lui fournit tout ce dont il aura besoin dans sa propriété des Catskills. Dan qui a perdu sa famille dans un incendie n’arrive pas à refuser l’offre et commence à restaurer les enregistrements de Melody. A priori c’est un projet de fin d’études sur le Visser, mais visiblement Melody a un autre but, plus secret.

Bon, par où commencer… C’est sans doute la série lovecraftienne la plus réussie qui ait jamais été tournée, sauf qu’elle n’est pas inspirée directement de Lovecraft mais d’un podcast de Daniel Powell et Marc Sollinger. Les éléments qui évoquent Lovecraft sont pourtant légion : la comète qui ouvre un portail vers une autre réalité, la secte bizarroïde qui attend quelque chose d’une entité extraterrestre ou venue d’un réalité alternative, l’idole de pierre cachée dans un meuble, l’importance d’un minéral (fictif) la charonite, etc.

Là où c’est moins lovecraftien, c’est la partie paradoxes temporels (qui semble inspirée de la mécanique quantique) et tout ce qui concerne le snuff movie d’Iris Vos. Si Archive 81 s’était en partie déroulée en Californie en 1924, j’aurais pensé à Tim Powers, qui aime bien les énigmes culturelles, les sectes étranges et les accidents occultes. On se souviendra de l’importance du film perdu Sea Gulls de Josef von Sternberg et Charlie Chaplin dans son roman A deux pas du néant.

Même s’il y a un ou deux points scénaristiques qui m’ont fait tiquer, dans l’ensemble j’ai pris beaucoup de plaisir à voir cette série.

Hautement recommandable.

Le Sicilien, Michael Cimino (1987)

Affiche

Nous sommes en Sicile en 1943.

Salvatore Giuliano (Christophe Lambert, total à côté de la plaque) et Aspanu Pisciotta (John Turturro, formidable de bout en bout) volent du grain pour le donner aux pauvres de leur village de Montelepre. Ils sont contrôlés par les carabiniers, une fusillade éclate et un policier est tué, Giuliano est blessé au ventre. Tel Highlander il devrait mourir, mais il ne meurt pas. Soudain pris de délire christique, il se réfugie dans les montagnes, réunit une bande armée et décide de voler les riches siciliens dont le prince Borsa (Terence Stamp) pour donner l’argent aux pauvres afin qu’il s’achètent des terres laissées en friche.

Le Sicilien, adapté d’un roman de Mario Puzo qui se rattache à sa saga du Parrain autour de la famille Corleone n’est pas le film qu’il aurait pu être (déjà les Corleone ont été purement et simplement évacués du scénario). Le casting international est une catastrophe : Christophe Lambert est un plan sur deux à côté de la plaque ; Terence Stamp est beaucoup trop anglais pour jouer un prince sicilien ; Joss Ackland n’a rien d’un parrain de la mafia sicilienne mais ferait un très bon méchant chez James Bond. Seul John Turturro est admirable. Dans les petits rôles on remarquera un Michael Wincott plutôt convaincant en carabinier acquis à la cause de Giuliano. Michael Cimino ne sait pas ce qu’il filme : un mélodrame avec violons ou une grande fresque politique sur la montée du communisme en Italie. Il alterne scène d’ultra-violence (dont une exécution épouvantable) et scènes de bal ou de marivaudage. Sans oublier quelques scènes bien sirupeuses qui semblent tout droit sorti d’un roman Harlequin abandonné sur une plage. Il y a toutefois des moments extrêmement réussis comme la scène où Giuliano – qui a kidnappé le prince Borsa – parle politique avec lui. Pour les amateurs, à un moment Barbara Sukowa, pas désagréable à regarder, sort nue (full frontal) de son bain. C’est un peu gratuit, mais on va pas se plaindre pour si peu.

Plus embêtant, Cimino s’arrange bien de la vérité historique pour faire de Giuliano une espèce de bandit romantique et non l’immonde crapule qu’il a sans doute été, impliqué dans plusieurs assassinats, exécutions publiques et un massacre de militants communistes le premier mai 1947, le massacre de Portella di Genestra, encore aujourd’hui source de querelles entre historiens. Car Giuliano qui devait kidnapper Girolamo li Causi, tête de proue des communistes siciliens, a été accusé d’être responsable du massacre, mais aussi la mafia et les propriétaires terriens. Quatorze morts, dont un enfant.

Reste un sujet, la vie et la mort de Salvatore Giuliano, qui pourrait donner un grand film, tant le cœur de cette histoire est une préoccupation d’actualité : la lutte contre les inégalités. Martin Scorsese pourrait sans doute faire un chef d’œuvre d’une telle histoire. Ça ne doit pas être beaucoup plus difficile à tourner que Silence ou The Irishman.

(Film vu en DVD dans son montage européen de 2h20 ; le montage américain ne fait 1h55.)

Brainstorm, Douglas Trumbull (1983)

Christopher Walken, cobaye de sa propre expérience.

Les docteurs Michael Brace (Christopher Walken) et Lillian Reynolds (Louise Fletcher) ont mis au point un procédé révolutionnaire qui permet de partager, mais aussi d’enregistrer absolument toutes les sensations, vision, odorat, ouïe, goût, toucher, même l’essoufflement et l’accélération cardiaque sont vécus comme si on y était. Ensuite on peut revivre tout ça, autant de fois qu’on le veut, en visionnant l’enregistrement. Comme il se doit, leur découverte va être dévoyée, d’abord par un employé chaud-lapin qui décide d’enregistrer ses exploits sexuels, puis arrivent les militaires qui ont en partie financé le projet et s’apprêtent à le militariser.

Douglas Trumbull est mort le 7 février 2022. Spécialiste des effets spéciaux, il a collaboré à 2001, l’Odyssée de l’espace, Blade Runner, Star Trek, Le Mystère Andromède et The Tree of Life. En tant que réalisateur on lui doit deux films qui ont marqué à jamais la science-fiction, Silent Running et Brainstorm. Soyons clair : les deux ont mal vieilli. Brainstorm reste quand même terriblement attachant. C’est un film d’une autre époque, l’intrigue n’apparaît vraiment qu’au bout d’une heure, entre temps on nous a présenté les personnages, leur histoire commune, leurs projets, leurs désillusions, leur sentiment de trahison parfois. Le casting est impressionnant, Walken est éblouissant, Natalie Wood est « présente » et Louise Fletcher est tragique, elle porte la tragédie qui sera la sienne dès le premier plan où elle apparaît.

Brainstorm est un film maudit. Il a bien failli ne jamais voir le jour, car dans la nuit du 28 au 29 novembre 1981, Natalie Wood se noie au large de l’île de Catalina dans des circonstances douteuses. D’abord l’enquête de police conclue à un accident, malgré les bleus sur le corps de l’actrice et une griffure au visage. Mais suite à de nouveaux témoignages l’enquête est rouverte en 2011 et son mari Robert Wagner qui la soupçonnait d’avoir une liaison avec Christopher Walken (présent sur le bateau des époux au moment du drame) est de nouveau désigné comme suspect, mais de façon plus formelle. Il faut dire que beaucoup d’éléments l’accablent, l’actrice a disparu à 1h30 après une très forte dispute dont est témoin le capitaine, Wagner ne donne l’alerte presque quatre heures plus tard après avoir dit au capitaine « ça lui fera une bonne leçon ». Peu après ce décès, alors considéré comme accidentel, les producteurs veulent mettre fin au tournage et récupérer l’assurance de l’actrice. Trumbull se rebelle, finit le film dans des conditions épouvantables avec l’aide de Lana Wood, la jeune sœur de Natalie Wood qui la double dans certains plans. Ce qui implique quelques faux raccords dans le film, surtout à la fin.

Brainstorm marque aussi par son côté séminal, impossible de ne pas penser à Strange Days de Kathryn Bigelow. C’est un film attachant, plein de trouvailles, mais imparfait. Certains ne supporteront pas la fin qui peut être aisément considérée comme « chrétienne ».

Reste une curiosité que tout fan de science-fiction se doit d’avoir vu au moins une fois dans sa vie.

(Bon courage pour le trouver en Blu Ray ou en DVD, toutes les éditions sont épuisées. Et il atteint des sommets en occasion.)

Prisoners of the Ghostland, Sion Sono (2021)

(Quelle affiche !)

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Hero (Nicolas Cage) et son acolyte Psycho (Nick Cassavetes) braquent la banque de Bleufleur dans une espèce de farwest japonisant ou plutôt de japon peckinpahisé. Ça tourne au carnage, comme il se doit ; un enfant est tué. Tout le monde à la case prison, sans prendre les vingt millions de yens. Bien plus tard, Hero est relâché pour retrouver Bernice (Sofia Boutella), la « petite-fille » du Gouverneur (Bill Moseley). Bernice est prisonnière du Ghostland, un territoire maudit dont on ne revient pas, et le Gouverneur pense que seul Hero peut la ramener de cet enfer. Histoire de le motiver, il a placé des bombes dans sa combinaison, aux testicules, au cou et aux coudes.

Très honnêtement, je ne sais pas trop ce que j’ai vu. Les références sont tellement lourdes que parfois ça ressemble au remake japonais de la collision-compression de trois films bien connus : New York 1997 (pour la trame globale), Mad Max Fury Road (pour certains décors et le rapport du Gouverneur à ses « petites-filles »), La Horde sauvage (pour la scène de Gatling). L’ensemble est complètement what the fuck, à côté Mandy c’est une enquête de l’inspecteur Derrick. Donc nous voilà confrontés à une sorte de western chambara post-apocalyptique plombé par un scénario absolument sans intérêt, mais a contrario épicé par toute une esthétique samouraï & post-apocalyptique à la fois bien connue, hyper-balisée et totalement novatrice. Le film est très coloré, avec des rouges des jaunes et des bleus qui pètent, on peut aussi y voir un hommage à certains films de Seijun Suzuki comme La Barrière de chair ou La Jeunesse de la bête. On s’étonnera de voir certains acteurs complètement en roue libre, alors que d’autres sont bien dans le ton (Tak Sagaguchi, par exemple.) La plus perdue dans le lot semble être Sofia Boutella qui n’avait pas dû lire le scénario avant de signer, pourtant il doit tenir sur douze pages. La prestation de Bill Moseley est totalement anecdotique au point de fragiliser un film qui dès le départ partait en morceaux.

Le plus surprenant, c’est que l’ensemble est construit sur de vrais sujets de société : le risque nucléaire civil, la marchandisation des corps, l’américanisation du tissu urbain où on retrouve à peu près partout sur la planète les mêmes enseignes Starbuck’s, McDonald et magasins de chaussures Nike.

Pas indispensable, touchant d’une certaine façon et totalement incongru dans la production actuelle si formatée. Après, réflexion faite, un film de Sion Sono c’est toujours intéressant, même quand c’est raté.

L’Impasse, Brian de Palma (1993)

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Après plusieurs années passées en prison, Carlito Brigante (Al Pacino, au sommet de son art) est relâché. Son avocat, Kleinfeld (Sean Penn), a trouvé un vice de procédure qui annule le jugement. Carlito veut changer, il veut s’associer avec un ancien taulard qui vient de s’installer aux Bahamas pour y créer une entreprise de location de voitures. Carlito doit trouver 75 000 dollars pour quitter le Bronx. Il va vite s’apercevoir que le quartier de son enfance a bien changé. De nouveaux gangsters ont mis la main sur le trafic de drogues, des chiens fous comme Benny Blanco (John Leguizamo) qui ne respectent aucune règle, aucune personne. Carlito aimerait emmener Gail (Penelope Ann Miller, bouleversante) avec lui, une danseuse douée, mais qui n’arrive à gagner sa vie qu’en faisant du go-go dancing.

En 1993, dix ans après Scarface, Brian de palma retrouve Al Pacino et lui offre à nouveau un rôle d’anthologie. Mais il ne tourne pas un conte de fée, mais bien la chronique d’une mort annoncée, une tragédie grecque où tout est écrit à l’avance, où la fin est connue dès le début. Pacino, magnifique, avance vers sa mort, trahi de toutes parts, menacé par ceux qui se disent ses amis et même ceux qui furent vraiment ses amis. C’est Shakespeare dans le Bronx. Quatre ans après Outrages, Brian de Palma retrouve Sean Penn pour lui offrir un rôle absolument incroyable. Le cheveu frisé, aussi amical qu’un vendeur de voitures d’occasion, Sean Penn incarne le plus pourri des avocats new-yorkais, défoncé à la coke H24 et prêt à jeter son seul ami, Carlito, aux enfers, pour tenter d’échapper à la maffia italienne.

Le film contient de nombreux morceaux de bravoure : la partie de billard, l’évasion du vieux Taglialucci, la fusillade du métro (qui rappelle dans sa maestria celle des Incorruptibles). On ne voit pas passer ses 2h24.

Carlito a tué, à plusieurs reprises. Il est doué pour ça. Il s’est construit dans la violence, il s’est enrichi grâce à elle, et il n’échappera pas au retour de manivelle.

Sa rédemption vouée à l’échec dessine une fresque urbaine passionnante de bout en bout. Et on se surprend même à souhaiter qu’il arrive à concrétiser son rêve.

Charlie’s country, Rolf de Heer (2013)

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Charlie (David Gulpilil) est un vieil Aborigène (de la région de Darwin) qui ne comprend pas ce que les Blancs font sur ses terres. Il touche l’aide sociale, il essaye de chasser un peu, il fume de la ganja et a des rapports conflictuels avec la police locale. Après un épisode de chasse au buffle rocambolesque, Charlie voit son fusil lui être confisqué par les flics. Alors, pas content du tout, il décide de retourner vivre comme un « Noir », dans le Bush.

Charlie’s country de Rolf de Heer est un film drôle et triste à la fois. Une comédie dramatique, sans doute. C’est un très beau film qui montre le statut particulièrement délicat des Aborigènes en Australie. Rolf de Heer montre leur beauté, mais aussi leur faiblesse (penchant pour l’alcool, incapacité à travailler dans un cadre « occidental », etc). On est bluffé par la prestation de David Gulpilil (mort récemment). Décidément cet acteur a joué dans de nombreux films que j’adore : Walkabout de Nicolas Roeg, La Dernière vague de Peter Weir, The Proposition de John Hillcoat, 10 canoes, 150 lances et 3 épouses.

On ne peut pas s’empêcher de dresser un parallèle entre ces « Noirs » australiens et les Indiens d’Amérique. Dans les deux cas, tout ce qui est en lien avec l’alcool – interdiction, restrictions – semble relever de la copie carbone.

Charlie’s country est certes un film triste, mais il vaut vraiment le coup (et il y a des moments vraiment très drôles).

PS : Comme d’habitude, c’est vraiment une tannée pour trouver les films de ce réalisateur en DVD ou en Blu Ray (Rolf de Heer a signé une adaptation du Vieux qui lisait des romans d’amour avec Richard Dreyfuss introuvable).