Seuls sur terre, Reed Morano (2018)

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Une force quelconque a balayé l’humanité (comme dans Le Livre de M de Peng Shepherd, l’explication ne viendra jamais, ce qui n’a en fait aucune importance). Tout le monde est mort. Ou presque. Au nord de l’état de New-York, à proximité des chutes du Niagara, c’était l’après-midi. Del (Peter Dinklage) dormait et n’est pas mort. Alors Del, qui travaillait de nuit à la bibliothèque municipale d’une petite ville de 600 habitants, commence le rituel qui va devenir sa vie. Il entre dans une maison, la nettoie, emporte les corps pour les enterrer, récupère ce qui peut lui servir (piles, ordinateurs portable, vin, etc), puis trace une grande croix blanche sur le trottoir devant la maison. Enfin, il part pêcher la truite dans le lac, pour son dîner qui précédera un vieux film avec Buster Keaton ou la lecture d’un bon livre. Et puis un jour Dale est réveillé par le fracas d’un accident de voiture, il soigne une jeune femme (Elle Faning) qui a une étrange cicatrice à la nuque. Il aimerait rester seul (il a tellement souffert d’être parmi les autres), elle aimerait rester avec lui pour perpétuer la race humaine…

Les séances d’urbex à la recherche d’une canette de coca ou d’une bouteille de whisky sont un des clichés les plus courants du genre post-apocalyptique, même La Route de Cormac McCarthy y consent, c’est dire l’inéluctabilité de la chose, sa nature profonde de « passage obligé ». Il y a aussi des scènes de ce genre dans le très beau roman de Peng Shepherd Le Livre de M que j’avais publié chez Albin Michel Imaginaire en 2020, en pleine pandémie, et qui paradoxalement s’est imposée comme la meilleure vente de l’année. Là où le film de la réalisatrice Reed Morano impressionne, c’est qu’il transforme le cliché en sujet et crée à partir de ce « passage obligé » un film qui en devient de fait d’une très grande originalité. J’ai adoré la première heure, Dinklage est tout en retenue et pourtant extrêmement expressif, humain, touchant. Puis Elle Faning dynamite sa vie en y apportant le désir sexuel, une douce folie, peut-être une vraie folie et une douleur bien connue, celle du survivant.

Et puis il y a le twist, l’inévitable twist, après une heure de film (là t’as tout simplement envie de tuer le scénariste à mains nues ou au démonte-pneu). Et tout ce qu’a patiemment, méticuleusement, construit Reed Morano, ce spectacle du silence, du calme post-mortem, qui était si beau, si tendre, si humain, si touchant, s’effondre alors comme un château de cartes. D’un seul coup, la réalisatrice change radicalement le ton de son film, son sujet, même si le discours sur le libre-arbitre reste à peu près le même. J’ai trouvé ce choix extrêmement frustrant, cette rupture de ton d’une grande maladresse et même, pour le dire franchement, d’un ridicule absolu.

A un moment, au bout d’une heure, il se passe quelque chose entre les deux personnages et le film aurait pu s’arrêter là et, en quelque sorte, être parfait. Parfois, il faut savoir s’arrêter au bon moment.

Regardez-le si ma recension vous y invite, la première heure est bouleversante.

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