I am Mother, Grant Sputore (2019)

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Dans un complexe sous-terrain de très haute technologie, un robot (de genre féminin, qui a la voix de Rose Byrne en VO) sort un embryon de sa banque de stockage de 63000 sujets et commence à élever une fille. Qu’est-il arrivé à l’Humanité ? Reste-t-il quelqu’un dehors ?

Ah… un film de SF quasiment sans explosion ni fusillade, dans la veine du très bon Ex Machina d’Alex Garland. Évidemment pour le lecteur de science-fiction un brin habitué au genre, I am Mother ne réserve aucune surprise, mais je l’ai toutefois trouvé très intéressant à regarder, tant il syncrétise toutes nos peurs actuelles : supplantation de l’homme par la machine, catastrophe écologique globale, effondrement irréversible de la société humaine, surpopulation incontrôlable. J’ai trouvé dans ce film certains points communs, quelques ressemblances avec ma novella post-singularité « Lumière Noire » (in Sept secondes pour devenir un aigle), mais aussi avec le classique de Thomas Disch, Génocides.
A partir d’un certain moment, le film nous permet de faire un parallèle assez intéressant entre la recherche de l’embryon parfait et la croyance en une race supérieure, les deux aboutissant à justifier dans un cas l’eugénisme, dans l’autre le génocide. Pour Mother, l’enfer est pavé de bonnes intentions, car son éthique est non-humaine. L’éthique du but passe avant l’éthique des moyens qu’elle met en branle pour y parvenir. Le film explore aussi une idée assez désagréable : celle du degré de captivité que l’on est prêt à accepter pour bénéficier d’un confort auquel on ne s’imagine pas renoncer. D’ailleurs une des scènes de la fin peut être interprétée comme un choix, celui de l’illusion de la liberté plutôt que celui de la liberté et de toutes les difficultés qui l’accompagnent.

I am Mother n’est pas un grand film, il ne laissera pas l’empreinte durable d’un Blade Runner, mais c’est un film épuré et prenant, plutôt intelligent, qui propose des moments de grande tension, une bonne dose de réflexion, mais aussi des images qui restent, comme celle de ce porte-containers brisé en deux et échoué sur les lèvres d’un monde désert.

Avec I am Mother, Grant Sputore entre bien placé sur la liste des réalisateurs à surveiller de près.

Tales from the loop – série TV d’après l’œuvre de Simon Stålenhag

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A Mercer, Ohio (comté qui existe vraiment, c’est rigolo ; et il y a bien un grand lac et il y a bien des îles sur ce lac), est installé The Loop, un laboratoire de recherches qui contient un secret enterré sous terre. Un jour, la petite Loretta rentre chez elle et sa maison a disparu, sa mère qui travaille au Loop a visiblement volé quelque chose là-bas qui a créé une catastrophe.

Je connaissais le travail de Simon Stålenhag tout simplement parce que j’avais passé ses livres à Albin Michel Jeunesse. Et j’étais assez impatient de regarder la série qui a une esthétique SF des années soixante-dix très réussie, à mon sens. Arrivé au bout du huitième épisode, mes sentiments sont mitigés et même parfois contradictoires. C’est beau, et c’est triste – aucun doute là-dessus. C’est (parfois très) fabriqué et parfois très bien vu sur le plan psychologique. La musique est à tomber par terre, je suis immédiatement tombé amoureux de la bande-son originale en parfait accord avec le travail sur l’image. Pour le reste, les scénarios sont souvent inaboutis ou parsemés d’incohérences / approximations assez brutales. Certaines pistes sont abandonnées en cours de route, certaines résolutions sont au mieux ridicules. La forme précède beaucoup le fond et l’emporte bien souvent.

Après c’est chouette à regarder, ça change, l’approche de la science-fiction y est profondément originale (étonnamment, je trouve qu’il y a beaucoup de points communs avec les anthologies Black Mirror). Il faut juste ne pas trop réfléchir à ce qui nous est montré. Et puis il y a le plaisir de retrouver Jonathan Pryce et sa voix si caractéristique en VO. D’ailleurs, globalement, les acteurs sont très bons.

Tales from the loop ou les mélancolies d’un futur qui a passé sa date d’expiration depuis longtemps…

Extinction, Ben Young (2018)

Un homme (Michael Peña) fait des rêves étranges, il voit des lueurs dans le ciel, une guerre venue d’ailleurs, un conflit très violent qui n’épargne personne, surtout pas les enfants. Sa femme lui conseille de consulter, son patron lui conseille de consulter. Peter se rend donc à la clinique de santé mentale et, là, une discussion avec un homme qui a les mêmes symptômes que lui et partage les mêmes visions, lui fait renoncer au traitement. Le soir-même, après une fête, l’invasion commence.

Extinction repose sur un renversement de paradigme à mi-film. Ce qu’on croyait acquis (le statut de la famille de Peter) se révèle entièrement faux. Évidemment quand c’est réussi, ça s’appelle un mindfuck (oui, le mot est particulièrement moche, même en anglais) dont le plus célèbre est peut-être la révélation quasi-finale du Fight Club de David Fincher. Bon là, soyons clair ça ne marche pas, c’est même un brin ridicule. Et le film se transforme alors, passé sa première moitié, en survival familial un brin poussif.

En espérant ne pas spoiler le mindfuck en question, Extinction pose des questions qui rappellent un peu celles soulevées par le roman de C. Robert Cargill Un océan de rouille. Avec le postulat de départ, il y avait de quoi faire quelque chose de plus profond, de plus subtil que cette série B à ranger dans le rayonnage « pourquoi pas ? ».

Rebecca, Alfred Hitchcock (1940)

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A Monte-Carlo, un jeune veuf, Maxim de Winter, propriétaire du magnifique domaine de Manderley, en Cornouailles, fait la connaissance d’une dame de compagnie (mignonne, mais un brin falote) qu’il finit par demander en mariage. Ils se marient en France, en comité très restreint, puis prennent la route pour rentrer à Manderley. Là, la seconde madame De Winter s’aperçoit vite que la présence de Rebecca, la première épouse, continue d’être écrasante, dans le domaine, et surtout dans l’esprit des domestiques, dont la terrifiante madame Danvers. Et si cette présence cachait un terrible secret ?

Cela faisait des années que je voulais voir ce film qui était purement introuvable en DVD et Blu-Ray (comme Le Limier de Mankiewicz, dont on ne trouve que le pale remake avec Jude Law). Heureusement Carlotta a réussi a sortir une très belle édition du film en 2018. Et donc nous voilà dans une histoire de fantôme sans fantôme qui rappelle un peu La Maison hantée de Shirley Jackson ou Le Tour d’écrou d’Henry James. C’est un film de 1940 qui dure plus de deux heures et pourtant, on ne voit pas le temps passer : on se demande ce qui a bien pu arriver à Rebecca et qui pouvait être cette femme, « la plus belle créature que j’ai jamais vue » dit un des employés de Maxim. Une très belle découverte, pleine de non-dit, pleine de finesse psychologique. Hitchock arrive à dresser le portrait de Rebecca, et quel portrait, sans jamais la montrer à l’écran.

Un tour de force.

Le Seigneur de la guerre, Franklin J. Schaffner (1965)

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Onzième siècle. Accompagné de son frère Draco (Guy Stockwell), et de son fidèle bras droit Bors (Richard Boone, loin de ses westerns de prédilection), Chryssagon (Charlton Heston) s’en vient occuper les terres marécageuses que lui a confiées le duc de Normandie. Aussitôt arrivé sur les lieux, il met fin à un raid de Frisons et capture, par hasard, le jeune fils du chef ennemi. Voilà une première journée bien remplie, mais l’homme reste un homme… et la rencontre de Chryssagon avec une jeune paysanne va le mener sur un chemin, de feu et de sang, qu’il lui aurait mieux valu éviter.

Ah ! Je n’avais jamais vu Le Seigneur de la guerre, ou alors j’avais complètement oublié, mais je ne crois pas. Je me souviens qu’enfant m’a mère m’avait interdit de le voir à la télé parce qu’il y était question de droit de cuissage et que ces affaires-là n’étaient alors pas de mon âge. Et il est vrai que le cœur du film est cette histoire de viol qui devient histoire d’amour (le viol comme arme de séduction massive ? Les féministes apprécieront). Franklin J. Schaffner n’en fait d’ailleurs pas grande chose et l’alchimie qui s’installe entre Rosemary Forsyth et Charlton Heston n’est pas des plus évidentes. Elle a peur de lui (à raison), il la viole (sans violence, du moins c’est ce que suggère le réalisateur), elle tombe aussitôt amoureuse, raide dingue : « je ne peux plus vivre sans toi ». Passons… Par contre, le réalisateur s’intéresse beaucoup à la cohabitation du paganisme et de la chrétienté après l’an Mil ; d’ailleurs ce fameux droit de cuissage n’en est pas un, mais plutôt une coutume païenne que justement l’Église considère comme un viol. Mariée devant l’arbre et la pierre, Bonwyn ne sera jamais mariée devant Dieu (du moins, pas dans le film). Beaucoup de ces thématiques ramènent au Excalibur de John Boorman où, là-aussi, un homme, Uther, provoquait le chaos en couchant avec une femme qui n’était pas la sienne, Ygraine.

Le Seigneur de la guerre fait partie de ces films du mitan des années soixante où le grand Hollywood classique commençait à se fissurer pour explorer plus avant les thèmes du sexe et de la violence. Les scènes de combat, de siège, sont très chouettes (sans aucune doute ce qu’il y a de plus réussi dans le film), Charlton Heston est plus nuancé, torturé, qu’à son habitude et si les effets spéciaux ont très mal vieilli, ils donnent paradoxalement un certain cachet « poétique » au long-métrage.

Film sur le pêché, le désir masculin et une époque qui n’épargnait pas davantage les femmes que nos jours heureux de ce début de XXIe siècle, Le Seigneur de la guerre n’a pas volé son statut de classique. Son message (involontaire ?) n’a jamais été d’autant d’actualité.

Un achat (en blu-ray) que je ne regrette pas du tout.

La Nurse, William Friedkin (1990)

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Un couple originaire de Chicago s’installe à Los Angeles. Il a décroché un bon poste dans la communication, elle vient d’accoucher d’un petit garçon, Jake. Parce qu’ils ont acheté une maison d’architecte qui va leur coûter cher, le mari pousse sa femme à reprendre son travail de décoratrice d’intérieur. Pour qu’elle y arrive, ils ont besoin d’une baby-sitter. Ils vont chercher dans diverses agences et finir par engager Camilla qui a un délicieux accent anglais et n’a rien contre le sacrifice de nouveaux-nés. En fait, elle est plutôt rompue à l’exercice.

Au départ c’est Sam Raimi qui devait réaliser ce film. Il a quitté le bateau avant le naufrage pour se consacrer à Darkman. William Friedkin a accepté de reprendre le projet, a visiblement poussé le scénariste d’origine (Stephen Volk) à la dépression nerveuse, puis a finalement repris le scénario. Enfin bon, tout ça est bel et bien parti en vrille. Le résultat final est, malgré les circonstances malheureuses, pas si mal. Il faut oublier que William Friedkin est à la réalisation, il ne faut pas trop en espérer, il faut être indulgent avec les effets spéciaux et tous les petits trucs scénaristiques qui ne marchent pas, mais voilà, au final c’est sans aucune surprise, mais pas désagréable à regarder. Après, on sent que ça aurait pu être dix fois plus fort. Il manque quelques millions de dollars ici et là. Et la comparaison (inévitable) avec Wolfen de Michael Wadleigh tourne plutôt à l’avantage d’icelui.

Jenny Seagrove qui joue La Nurse est épatante.

Infini, Shane Abbess (2015)

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Après une catastrophe biologique sur la plus lointaine exploitation humaine dans l’espace, Infini, une équipe lourdement armée est envoyée pour empêcher le retour sur Terre de marchandises qui pourraient infecter notre belle planète à l’agonie. Par ailleurs, il semblerait qu’un des membres de la précédente équipe de secours ait survécu, un certain Whit Carmichael qui a toutes les raisons de ne pas finir ses jours sur Infini : madame a un polichinelle dans le tiroir.

Infini est mauvais. Les acteurs jouent mal. Les décors sont pourris. Le scénario est étiré jusqu’au point de rupture. L’influence du Aliens de James Cameron (que j’adore) est telle qu’on a parfois l’impression d’être au mieux dans un remake philippin fauché, au pire dans un plagiat italien ultrafauché.

Mais Infini n’est pas que mauvais, il est aussi sincère, c’est une lettre d’amour à The Thing de John Carpenter, à la franchise Alien et à plein d’autres trucs supers que j’ai adorés adolescent. Infini fait aussi preuve de tellement de sincérité dans son message que je me permettrais ici de ne pas le spoilier. Avec 800 000 dollars de budget, Shane Abbess a tenté l’impossible et n’est pas passé si loin de ça d’un résultat tout à fait honorable. Je ne connais pas le bonhomme, je ne l’ai jamais vu en interview ou même en photo, mais il m’est immédiatement devenu très sympathique.

(Par contre, Shane, de toi à moi, faut vraiment que tu révises ta physique : Einstein, la relativité, les trous noirs and co, parce que là, en l’état, c’est vraiment pas ça… Une petite remise à niveau en médecine et en biologie ne serait pas de trop, non plus.)

Les Meurtres du Valhalla, série TV Netflix

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Un homme est tué de plusieurs coups de couteau sur le port de Reikjavik, puis ses yeux sont crevés. Peu de temps après un second homme est tué chez lui de la même manière : un riche entrepreneur qui ne semble pas avoir de liens avec la première victime qui, elle, était plutôt du genre dealer pathétique. Kata est mise sur l’affaire et un policier, Arnar, est demandé en renforts d’Oslo. L’Islande n’a jamais connu de crimes pareils, à tel point qu’elle n’a pas de médecin légiste à temps plein. Quand le lien est enfin fait entre les deux victimes, grâce à la vieille photo d’une maison d’accueil pour garçons, cette affaire peut désormais rester dans l’histoire islandaise comme celle des meurtres du Valhalla.

Tout était rassemblé dans cette série pour que je la déteste : une sordide affaire de pédophilie et de maltraitance dans une maison d’accueil, des policiers antipathiques, une construction scénaristique très fabriquée avec un cliffanger de rigueur à chaque fin d’épisode et pas mal de manipulations scénaristiques pour repousser le plus loin possible la résolution de l’affaire.

Et en même temps, je me suis laissé attraper comme un bleu, comme un perdreau de l’année, par les paysages (somptueux), les problèmes personnels des uns et des autres, par Kata, qui une fois sur deux prend quand même la pire décision possible (et se demande, par ailleurs, pourquoi c’est pas elle la cheffe de service). Les personnages sont humains et épais, à défaut d’être attachants, ils sont durs comme le pays qui les a vu naître. Quant aux crimes anciens, ils continuent à avoir des répercussions tangibles et fortes.

A défaut d’être originale, cette série (d’une terrible et réaliste noirceur) est prenante. Elle réserve quelques moments d’une rare intensité, notamment quand à la fin on re-déroule toute la vie de certains personnages dont on ne comprenait pas bien pourquoi ils étaient tellement cabossés.

Légion, série Télé de Noah Hawley

David Haller souffre de schizophrénie et ne peut pas affronter le monde extérieur. Il vit donc dans un hôpital psychiatrique où il rencontre Syd Barrett (ah ah ah) qui ne supporte pas qu’on la touche. David Haller ne souffre pas de schizophrénie ; il est en fait un des plus puissants mutants qui soit. David Haller a un parasite dans la tête, le roi des ombres, qui lui pourrit la vie depuis sa plus tendre enfance. David Haller est poursuivi par la Division 3. Où se trouve l’illusion, ou sa trouve la réalité ?

Dans le registre série télé de super-héros, Legion est résolument à part. Psychédélique, hyper inventive au niveau de la réalisation, Légion est une expérience visuelle intense, assez rare. On ne peut pas dire que ce soit lisse, c’est même dans son genre délirant complètement jusqu’auboutiste, avec de vrais morceaux de comédie dedans, mais aussi des passages plus perturbants (le mélange rappelle un peu Utopia, mais la réalisation lorgne surtout du côté du David Fincher de Fight Club). Légion est aussi une sacrée brochette de personnages, bien campés, attachants, même dans le camp des « méchants » (ce qui ne veut pas dire grand chose dans le cadre de la série, ce qu’on ne saura que trop saluer). Comme souvent dans les séries modernes, le choix des chansons est bluffant. Série enthousiasmante qui ose tout ? Sans doute. Mais, car il y a un mais…

A cause de ses flash-backs incessant, de sa construction complètement explosée, de ses scènes chausses-trappes, Legion m’a exténué, lessivé ; j’ai repoussé autant que possible le visionnage de chaque épisode. Difficile d’en voir plus d’un par jour tant le côté pyrotechnique de l’ensemble est poussé à son comble. Évidemment quand arrive enfin le morceau de Pink Floyd (qu’on attend depuis le début) dans le dernier épisode, on sautille de joie.

Il faut sans doute se réjouir que de tels OVNIs télévisuels existent.