Chernobyl, série TV de Craig Mazin

Le 26 avril 1986, une explosion survient dans le réacteur IV de la centrale de Tchernobyl (dans une URSS dont les heures sont désormais comptées).

Commence alors une course contre la montre, une course contre la mort pour éviter que cette catastrophe épouvantable ne fasse encore plus de victimes.

Un scientifique est envoyé sur les lieux, Valery Legasov, un homme qui a le tort de faire passer la vérité avant la politique, conscient que seule la vérité pourra sauver ce qui peut encore l’être. Un haut-cadre du parti l’accompagne / le surveille, Boris Shcherbina. Les deux hommes vont d’abord s’affronter, avant de prendre le temps de se comprendre, un temps qui n’est pas vraiment à leur disposition.

Après une série de films qui n’ont pas su me passionner (The Age of Shadows, Illang, La Brigade des loups, The Color out of Space), regarder Chernobyl m’a fait un bien fou, même si la série est terriblement déprimante. Quel plaisir de retrouver Jared Harris et Emily Watson dans de forts bons rôles (je suis plus réservé sur la prestation de Stellan Skarsgård, dont on retient avant tout le maquillage raté). Quel plaisir de voir une série qui met la science au centre de la problématique, des nombreuses problématiques. Chernobyl est une réussite indéniable. La reconstitution est impressionnante, les acteurs sont globalement excellents et quelques scènes sont inoubliables, comme celle du recrutement des mineurs ou celle du procès, dans le dernier épisode. C’est une série brutale, éprouvante, qui ose des ellipses totalement démentes.

En un mot : formidable.

Zero Zero Zero, série TV d’après Roberto Saviano

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Une famille américaine d’armateurs de La Nouvelle Orléans s’est spécialisée dans la livraison d’énormes quantités de cocaïne à travers le monde. La série commence quand un vieux parrain italien, qui vit plus ou moins comme un berger de Calabre, commande des centaines de kilos de cocaïne aux frères Leyra de Monterrey. On va suivre cette cargaison cachée dans des boîtes de piments à travers l’océan Atlantique, le continent africain et la Méditerranée. On va suivre de destin des Lynwood (Gabriel Byrne, Dan DeHaan et surtout Andrea Riseborough, l’héritière), les armateurs. On va aussi suivre la montée en puissance de Manuel Contreras (Harold Torres, hallucinant d’intensité), membre des forces spéciales, à Monterrey.

Bon le parcours d’un kilo de coke ou de quelques dizaines de kilos ou de quelques centaines de kilos, la taille ne change pas grand chose, ce n’est pas très original en soi. Il y a eu Traffic de Soderbergh, il y a pile vingt ans et, plus proche de nous, le méconnu mais tout à fait recommandable Running with the devil de Jason Cabell. Au début de la série, donc les deux trois premier épisodes, je trouvais que tout ça était très cliché. Mais au fur et à mesure que l’histoire avançait, elle devenait de plus en plus surprenante, non pas dans sa trame principale, extrêmement prévisible, mais plutôt dans ses détails, ses décors, ses personnages qui se révèlent tous plus complexes que ce qu’on croyait au départ. A part peut-être le petit-fils du parrain italien, que j’ai trouvé fade de bout en bout.

La série bascule dans quelque chose d’exceptionnel au cinquième épisode (on le sent venir avant). La maîtrise des prises de vue nocturnes rappelle celle de Michael Mann dans Collateral. La qualité du montage, de la mise en scène sont éblouissants. Le trois derniers épisodes sont particulièrement réussis. La série peut aussi s’enorgueillir du jeu de ses acteurs, notamment Andrea Riseborough qui est formidable de bout en bout et Harold Torres, hallucinant dans ses contradictions, qui incarne à lui tout seul la folie et la démesure des cartels de drogue mexicains.

Il ne faut pas se laisser décourager par le premier épisode, il faut un peu insister, déchirer la peau du lait pour regarder ce qui se cache en dessous.

Le résultat final est aussi brutal que convaincant.

Robot & Frank, Jake Schreier (2012)

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Ancien voleur de bijoux, Frank a des problèmes de mémoire. Il cherche son restaurant préféré et entre dans le magasin de savons et figurines qui l’a remplacé. Là il vole une babiole et se fait repérer, car ce n’est pas la première fois qu’il agit de la sorte. Frank ne fait pas vraiment le ménage et vit dans une petite maison à l’écart de la ville. Il flirte avec la bibliothécaire chaque fois qu’il va chercher un livre qu’il n’a pas lu déjà deux fois. Un jour le fils de Frank débarque avec un robot pour l’aider. Le vieil homme grommelle qu’il n’a pas besoin de ce truc, puis s’habitue à la présence de la machine, jusqu’au jour où il se rend compte que ce robot peut l’aider à autre chose que faire la vaisselle. Frank va alors se lancer dans ce qui risque bien d’être sa dernière aventure.

Robot & Frank est un film de science-fiction à petit budget servi par un casting quatre étoiles : Frank Langella, Susan Sarandon dans le rôle de la bibliothécaire, James Mardsen et Liv Tyler qui jouent les enfants de Frank. Le film est un petit bonbon acidulé, plein de sucre, mais avec un petit goût acide derrière. Ce n’est pas du grand cinéma, mais c’est du bon cinéma dans le sens où il arrive à nous proposer une comédie qui est aussi une réflexion sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes et la place grandissante des robots dans notre société. Tout n’est pas parfait, les effets spéciaux sont au mieux cheap, le scénariste n’a pas pu s’empêcher de glisser un twist un peu gratuit, peu convaincant, mais l’ensemble se regarde avec grand plaisir.

A une époque où plus personne aux USA ne semble capable de tourner un film de science-fiction sans le farcir de fusillades et d’explosions, Robot & Frank fait figure de jolie exception.

Je conseille.

No escape, John Erick Dowdle (2015)

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Dans un pays du sud-est asiatique non nommé (le film a été tourné principalement en Thaïlande, mais aussi au Cambodge), ayant une frontière commune avec le Viêt-Nam, débarquent un ingénieur (Owen Wilson, surprenant), sa femme et leurs deux filles. Il a trouvé un poste chez Cardiff une entreprise spécialisée dans l’eau potable. Ce que cette jolie famille américaine ignore c’est que le Premier Ministre vient d’être assassiné et que le mouvement rebelle à l’origine de cette action est déterminé à tuer tous les employés de Cardiff, suite à un accord économique considéré comme spoliateur.

No Escape surprend et on va dire que c’est sa qualité première. Un peu construit comme un film de zombies où les méchants asiatiques remplacent les morts-vivants, il délivre une tension quasi continue à la limité du supportable, qui culmine dans la scène de « saut » qui implique les deux enfants du couple américain. Film assez peu subtil, qui délivre un message économique et géopolitique pertinent mais sans nuance, No escape dérange par son racisme involontaire, du moins on l’espère. Les acteurs sont impeccables, la tension est à son comble, mais le film manque de réalisme, tout est absolument too much, et son deus ex machina, qu’on voit venir de loin donne furieusement envie de pouffer. Quant aux parallèles qu’il dresse avec le génocide cambodgien, ils sont au mieux maladroits.

Le spectateur qui connaît l’Asie du sud-est reconnaîtra sans mal la graphie si particulière de l’écriture thaïlandaise, mais verra dans les magouilles du Premier Ministre du film un parallèle saisissant avec celles du premier ministre cambodgien Hun Sen, au pouvoir depuis 1985 (sauf entre 1993 et 1998). D’ailleurs bon nombre d’acteurs asiatiques parlent en khmer et non en thaï.

Si vous ne connaissez rien à l’Asie du sud-est, vous pouvez voir No Escape comme un thriller extrêmement prenant. Étouffant même. Pour ma part, ça ne vaut pas le très beau Rangoon de John Boorman.

 

 

Waco, série TV – Drew & John Erick Dowdle (2018)

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On a tous vu ces images : un immense bâtiment qui brûle au milieu des plaines du Texas. Après plus de cinquante jours de siège, la secte des Davidiens, la secte de David Koresh part en fumée, une tragédie qui a fait des dizaines de morts, dont dix-sept enfants. En fait tous ceux qui étaient présents sur les lieux au moment de l’assaut du FBI.

Il était inévitable que les Américains tournent une série sur cet épisode peu glorieux de leur histoire récente.

La première chose qui frappe ici c’est le casting, impeccable. Taylor Kitsch qui incarne un David Koresh à la fois horrible et capable d’une puissante bienveillance. Michael Shannon dans le rôle du négociateur du FBI, humain, trop humain. Rory Culkin qui incarne David Thibodeau, un des survivants de la tragédie. Shea Wigham, toujours aussi impressionnant, qui joue le rôle du chef tacticien du HRT (hostage rescue team), un homme ambitieux, mais aussi sans doute un peu trop avide d’action.

La seconde chose qui frappe c’est le contenu politique de la série. Législation sur les armes, législation sur le mariage au Texas (à partir de 14 ans), défiance envers l’état fédéral, liberté de culte. Pour un européen, le tissu politique de la série est proprement hallucinant. Gary Noesner, incarné par Michael Shannon, est un exemple assez parfait de liberal bienveillant, on l’imagine bien voter démocrate et discuter des vertus de l’Obamacare avec ses amis qui votent républicain. Il est la voix de la raison, la médiane, entre les fanatiques religieux, les libertariens amoureux de leurs fusils d’assaut et les partisans d’un FBI armé de tanks, qui en impose à tous les voyous du pays. Personne n’est épargné par la série, ni les modérés, ni les libertaires, ni les fanatiques religieux. Et en même temps, personne n’est montré sous un jour unique, totalement négatif, même pas David Koresh.

Rapidement, on est en droit de s’interroger sur ce que nous montre la série tant cette histoire de fois a l’air plus compliquée que : d’un côté « une bande de chrétiens frappadingues armés jusqu’au dents mené par un gourou pédophile » et de l’autre « le gentil FBI a fait tout ce qu’il a pu, mais bon y’a eu un pépin ». C’est passionnant de voir l’accumulation d’erreurs, de part et d’autre, qui a mené à la tragédie. Waco est une série à thèse. On y assiste à une remise en question de la version officielle et cette remise en question est si brutale, si hargneuse, qu’elle n’est pas désagréable à regarder, mais proprement dérangeante. Et toute la cogitation engendrée n’en est que plus salutaire. On est très proche de la théorie du complot, mais sans y être. Attention terrain miné. L’ensemble m’a rappelé le grand cinéma politique de Sydney Lumet (Serpico, Une après-midi de chien), celui de John Schlesinger (Le Jeu du faucon), d’Alan J. Pakula (Les Hommes du président).

Certains reprocheront sans doute aux réalisateurs d’être trop bienveillants avec la secte, mais justement c’est peut-être davantage en nous-même qu’en ce qu’on nous montre que repose le nœud de notre embarras : car on nous montre des gens qui aiment leurs enfants, qui ont des croyances différentes des nôtres, qui sont menés par un prédateur sexuel qui est en fait plus un père polygame qu’un pédophile, on nous montre des croyants soudés qui entassent 200 000 dollars de fusils d’assaut, masques à gaz, et jouent du rock pour faire la fête. Tout ça est trop contrasté, pas assez cohérent pour être acceptable, l’ennemi n’a pas un visage détestable, plein et entier.

Si l’état du Texas n’acceptait pas les mariages à partir de 14 ans et si les États-Unis n’étaient pas aussi dingues de flingues, peut-être que tout ça ne serait jamais arrivé, peut-être. D’ailleurs le motif des femmes mariées / enceintes trop tôt est récurrent dans la série : la mère de Koresh, la mère de Thibodeau, les deux premières épouses de Koresh.

Très critiquée aux USA (on ne peut pas parler de série patriotique), Waco met mal à l’aise de façon durable. Cette série est extrêmement bien écrite, notamment au niveau des personnages. Ils sont malmenés, complexes, souvent lâches. Ils sont à notre image.

Mr Mercedes, saison 2

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(Impossible de parler de cette deuxième saison sans spoilier la fin de la première saison. Vous voilà donc prévenus.)

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Dans le dernier épisode de la saison précédente, Holly Gibney fracassele crâne d’un Brady Hartsfield, a.k.a Mr Mercedes à l’aide d’une statue de bouledogue. L’immonde psychopathe fou d’ordinateurs était sur le point de faire sauter une bombe planquée dans un fauteuil roulant, au beau milieu d’un gala d’arts. Le geste de la jeune femme a permis de sauver des dizaines, des centaines de vies peut-être. Pendant ce temps, Bill Hodges n’était vraiment pas loin, mais faisait un joli accident cardiaque, ce qui ne l’a pas rendu des plus utiles. Ironie du sort, il se retrouve dans le même hôpital que sa proie préférée. Suspendu entre la vie et la mort, Brady Hartsfield ne peut plus nuire à personne. Vraiment ?

La saison 2 de Mr Mercedes diffère assez peu de la première. Le rythme est toujours mou, mais les personnages sont attachants. Surtout Holly Gibney. Ce qui sauve tout ou presque. Là où il y a une différence fondamentale, c’est que la série, qui était purement policière, bascule dans la science-fiction (ou le fantastique « médical ») et pas forcément la meilleure SF qui soit. On y observe les agissements révoltants (?) d’un couple de Frankenstein modernes incarné par Jack Huston (très bon en mari manipulé) et Tessa Ferrer. Cora Babineau est une épouse venimeuse à  souhait, arriviste sans foi ni loi, de la pire espèce ; elle provoque immédiatement un fort et irréversible sentiment de détestation. Si cette partie de l’intrigue est intéressante sur le plan moral (peut-être pas passionnante, mais intéressante), elle ne tient pas la route sur le plan narratif et il faut suspendre très haut son incrédulité pour avaler la couleuvre. D’ailleurs des trucs qui ne tiennent pas la route dans cette deuxième saison, il y en a à la pelle, treize à la douzaine, dont un procureur au manque de professionnalisme assez sidérant.

Outre les personnages auxquels on s’est attaché, on peut ajouter au crédit de cette seconde saison quelques scènes assez formidables, fruits de scénaristes un brin kamikaze qui n’ont pas eu froid aux yeux, ni au reste. La plus bluffante est sans doute celle du baiser – je n’en dis pas plus. Si Brendan Gleeson est évidemment très bien, il se fait littéralement voler la vedette par Justine Lupe (qui incarne Holly Gibney) et Breeda Wool, incroyable d’intensité, qui incarne l’ancienne meilleure amie de Brady Hartsfield.

Loin d’être la série de l’année, pleine de défauts, Mr Mercedes se laisse regarder avec plaisir. D’ailleurs, même si je vais faire une pause, je ne pense pas pouvoir résister aux sirènes de la troisième saison.

 

Le Lion et le vent, John Milius (1975)

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1904. Un chef berbère (Sean Connery, vraiment surprenant) kidnappe une américaine (Candice Bergen) et ses deux enfants. Le Maroc est plus ou moins occupé par des puissances étrangères : les Français et les Allemands. Le président Roosevelt qui veut être réélu envoie une mission militaire sauver ses compatriotes, odieusement retenus prisonniers dans le désert (du moins, c’est ce qu’il croit). Évidemment, la vérité est un tout petit peu plus compliquée…

De tous les films de John Milius, Le Lion et le vent est à mon sens le plus léger, ce serait presque un film familial sans ses décapitations et ses fusillades. C’est un film qui vaut surtout pour le duel intellectuel que se livrent Sean Connery, excellent, et Candice Bergen, à la fois déterminée et piquante. Mais aussi pour le portrait de Roosevelt, chasseur, amateur de fusils et accessoirement POTUS.

Jamais très sérieux, John Milius s’en donne à cœur joie dans cette illustration sans surprise du syndrome de Stockholm. Il critique le clientélisme, l’interventionnisme américain (on peut même y voir une interrogation sur le bien-fondé de la guerre au Viêt-Nam). Il donne à John Huston un petit rôle savoureux. Et bien avant Conan, il s’interroge sur la barbarie et se demande qui sont les plus barbares : les hommes fiers du désert ou les puissances étrangères en pleine ingérence. Avec des scènes qu’on pourrait qualifier de racistes et d’autres qu’on pourrait qualifier d’antiracistes, un partout balle au centre, il montre avec une certaine légèreté à quel point le colonialisme a été une affaire compliquée.

En 1970 Candice Bergen s’était faite remarquer dans Soldat bleu, un film qui, lui aussi, jouait sur deux tableaux a priori inconciliables, celui de la comédie et celui de la dénonciation brutale de l’extermination des Amérindiens. Dans Le Lion et le vent, le couple improbable qu’elle forme avec Sean Connery rappelle un peu le couple Yul Brynner / Deborah Kerr dans Le Roi et moi (1956).

« Madame, vous êtes une grande perturbation. »

(En VO : « Mrs. Pedecaris, you are a lot of trouble! »)

A découvrir ou re-découvrir.

Mr Mercedes, première saison

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Au volant d’une puissante Mercedes volée, un homme affublé d’un masque de clown fauche des dizaines de personnes qui faisaient la queue pour trouver du boulot. Parmi ses seize victimes se trouvent une mère et son bébé.

Cette affaire va obnubiler un flic, Bill Hodges (Brendan Gleeson). Une fois à la retraite, nargué et harcelé par le tueur à la Mercedes, Bill va se remettre en chasse. Ce que le vieux flic alcoolique ignore c’est que sa proie se trouve beaucoup plus proche de lui qu’il n’a jamais osé l’imaginer.

Un peu orphelin d’avoir quitté Holly Gibney dans la série The Outsider, je me suis jeté sur Mr Mercedes dès que j’ai su qu’elle y avait un rôle (et quel rôle !) Le soucis, sans en être un, c’est que la Holly Gibney de Mr Mercedes est clairement très différente de celle de The Outsider.

Mr Mercedes est une série qui rappelle The Fall dans sa construction. Dès le premier épisode on sait qui est le tueur à la Mercedes. Et donc il n’y a aucun suspens à attendre de cette partie de l’intrigue. La force de la série (mais qui implique aussi sa principale faiblesse, à mon sens) c’est l’étude psychologique de Bill Hodges, du jeune tueur, des proches de Hodges, d’Holly Gibney. C’est, sur ce plan-là, fouillé, extrêmement réussi, mais au prix d’un rythme de tortue terrestre (coïncidence ? Bill possède une tortue comme animal de compagnie). Dix épisodes, c’est long, et il faut parfois un peu s’accrocher, tant l’intrigue progresse peu dans certains segments.

Là où la série surprend le plus, c’est par sa violence psychologique, rien ne nous est épargné : inceste, masturbation, alcoolisme, folie, cruauté, torture psychologique, déchéance, désespoir. Certains passages sont à la limite du supportable. Ce ne sont pas forcément les plus sanglants et ils impliquent bien souvent la mère du tueur, interprétée par une Kelly Lynch impressionnante.

Autre surprise, le choix des chansons et des morceaux de musique. Ce n’est pas tous les jours qu’on entend Season of the witch de Donovan, Pet Sematary des Ramones  ou Human Fly des Cramps dans une série télé. Sans oublier les Pixies. La série est d’ailleurs pleine de clins d’œil, à Fight Club, à d’autres œuvres de Stephen King (qui apparait brièvement dans l’épisode 6).

Deux autres saisons ont été tournées ; à la fois je crains le pire (j’ai bien été douché par la seconde saison de Preacher) et en même temps, j’ai assez envie de retrouver Holly Gibney.

The Outsider, Martin Zandvliet (2018)

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Osaka. 1954. Un Américain emprisonné (Jared Leto), qui ne parle pas japonais, se lie d’amitié avec un yakuza qui baragouine un tantinet la langue de l’Oncle Sam (Tadanobu Asano, égal à lui même). Les deux hommes passent un marché dans la grande tradition du « tu m’aides, je t’aide », qui devient là : « tu me fais sortir d’ici, je te fais sortir d’ici ».

Une fois dehors, Nick, dont on découvrira tardivement le prénom (et le nom de famille encore plus tardivement), trouve une place de choix dans la pègre japonaise, mais aussi dans le lit de la jolie Miyu (Shioli Kutsuna), la sœur cadette de son bon samaritain. Tous les ingrédients sont là pour que son parcours criminel tourne court… Nick survivra-t-il au monde obscur et implacable des yakuzas.

(Commençons par une anecdote sans intérêt, j’ai découvert l’existence de ce film en cherchant un visuel pour illustrer mon article sur The Outsider, la série télé.)

C’est Kinji Fukasaku qui a popularisé et fait connaître dans le monde entier le genre « film de yakuzas » avec des monuments comme : Guerre des gangs à Okinawa, Combat sans code d’honneur, Okita le pourfendeur, Le Cimetière de la morale. Dans l’ensemble ce sont d’excellents films et j’irai plus loin : tout ce qu’on voit dans les très bons polars de Takeshi Kitano vient de là, ou presque. En 1974, sortait Yakuza de Sydney Pollack (l’immense Sydney Pollack), première tentative américaine un peu sérieuse de se colleter au genre ou du moins à la figure du yakuza. L’année suivante, Sam Peckinpah abordera ce même genre de façon plus oblique et nettement moins subtile dans l’honorable The Killer elite. En 1989, Ridley Scott utilisera la figure classique du jeune Yakuza cruel opposé à ses aînés devenus respectables pour un film populaire un peu bidon mais plutôt sympathique : Black Rain.

On peut être raisonnablement inquiet devant un film qui nous conterait le destin d’un yakuza blanc, yankee de surcroit, en 1954, à Osaka, à une époque où le racisme anti-américain était sans doute à son paroxysme. Et logiquement The Outsider peine à convaincre : parfois l’illusion fonctionne on se croirait presque dans un film japonais, parfois elle ne fonctionne pas et on a l’impression de voir des comportements typiquement occidentaux plaqués sur le monde du crime nippon. La reconstitution est fauchée, on est très loin de ce qu’aurait proposé un Martin Scorsese. Jared Leto est égal à lui-même : ceux qui ne le supportent pas ne le supporteront pas davantage dans ce film que dans les autres. Plus intéressant, son personnage n’est pas ambigüe. Nick est une vraie ordure chez qui on ne sent guère de regret pour quoi que ce soit et aucune rédemption possible. C’est sans doute la vraie audace du film. Qui là, pour le compte, rappelle le cinéma de Fukasaku et lui rend un bel hommage.

Longuet, hésitant entre le naturalisme et la mythologie de la pègre japonaise, The Outsider ne bénéficie pas d’une réalisation inoubliable comme fut celle de Only God Forgives, par exemple. Même si le projet semble sincère, on préféra aller à la source, renouer avec le cinéma vénéneux et scandaleux de Kinji Fukasaku.