Córki Dancingu, Agnieszka Smoczynska (2015)

Sur une plage de Varsovie, deux sirènes sortent de l’onde pour atterrir dans un cabaret « pour vieux » où elles entament un numéro de chant, tout en essayant de contenir leurs appétits monstrueux.

Córki Dancingu (The Lure en anglais) est un étrange film polonais qui mêle horreur, comédie musicale et érotisme. Il contient son lot de scènes perturbantes, amplifiées par la nudité « zéro poil » des deux très jeunes actrices qui évoquent, par conséquent, des enfants sexualisés à outrance. Les morceaux musicaux n’ont pas la puissance de ceux du Rocky Horror Picture Show, mais « passent ». La dimension perturbante du film qui mêle nudité full frontale, mutilations diverses et variées, déviances sexuelles et une certaine poésie est de loin ce qu’il y a de plus réussi. Nombre de scènes de ce film entrent en écho avec les débats actuels sur la société patriarcale, la domination masculine, etc.

Je me demande (sincèrement) quels auraient été les commentaires sur ce film s’il avait été réalisé par un homme.

Je conseille.

8MM, Joel Schumacher (1999)

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Le détective privé Tom Welles (Nicolas Cage, excellent) est engagé par une vieille femme riche pour enquêter sur un film 8mm qu’elle a trouvé dans le coffre-fort de son époux récemment décédé. Sur ce film on voit une jeune fille se faire brutalement assassiner par un acteur de porno BDSM cagoulé. Tom va commencer son enquête au département des personnes disparues et trouver le nom de la jeune fille : Mary Ann Matthews. Qui a fugué en Californie pour faire fortune dans le cinéma. Elle est bien arrivée en Californie, mais pas du tout dans le type de cinéma qui la faisait rêver.

A sa sortie, 8mm a été descendu en flammes par une critique qui l’a trouvé globalement indéfendable. C’est vrai que la fin est particulièrement ambiguë sur le plan moral, mais elle est aussi terriblement réaliste. Il y a peut-être là une maladresse (critique) à vouloir transformer en film à thèse ce qui semble avant tout être un drame individuel : celui de Tom Welles (père de famille distant) qui, fidèle à l’avertissement de Friedrich Nietszche, devient monstre en traquant les monstres.

8mm est avant tout un bon thriller d’enquête, très glauque : on avale ses deux heures sans soucis particuliers et les seconds rôles sont globalement excellents : Joaquin Phoenix (en musicien raté), Catherine Keener, James Gandolfini (en agent-proxénète), Peter Stormare (en réalisateur de films pornos SM)… Plus qu’un film sur l’autodéfense, 8mm m’a semblé être un film sur la merchandisation des corps, où elle commence (le cinéma dit classique) et jusqu’où elle s’arrête (le snuff, légende urbaine undergound et paradoxalement sommitale). C’est aussi une critique de l’Ogre Hollywoodien qui chaque année avale et broie des milliers de jeunes filles qui ont rêvé du succès et qui, au final, se sont pris le trottoir dans les dents, parfois pire.

C’est aussi un film qui s’inscrit dans une certaine tradition américaine, celle des films de Paul Schrader, comme scénariste Taxi Driver, ou comme réalisateur, le sous-estimé mais ô combien puissant Hardcore.

Carnival Row, série TV (2019)

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Pendant la guerre contre le Pacte, Rycroft Philostrate (Orlando Bloom) a rencontré une Pix, une fée, Vignette Stonemoss (Cara Delevingne et ses sourcils-chenilles), parfois appelée Vini. Ils se sont aimés, la guerre les a séparés. Puis la guerre a pris fin, le Pacte a gagné et le peuple magique doit fuir Tirnanoc pour le Burgue où Philo est policier. Les fées, centaures et autres satyres s’entassent dans le Row (la ruelle). Dans cette cité, les complots sont nombreux, un culte est en train de naître, des meurtres atroces sont commis. Bien évidemment Vini et Philo vont se retrouver pour le meilleur, mais surtout le pire.

Quand on n’attend pas grand chose d’une série télé, il y a des chances d’être agréablement surpris. Carnival Row coche à peu près toutes les cases du Politically Correct devenu de rigueur : il y a une forte proportion d’acteurs de couleur, une actrice métisse (indienne/suisse), Indira Varma vue dans Rome et Game of thrones, un personnage bisexuel (je ne spoile pas), des personnages homosexuels qui ne peuvent l’assumer, de la violence et de l’inceste comme dans Game of thrones, d’ailleurs. Il y a aussi des facilités scénaristiques rageantes, des raccourcis, des personnages qui sont là exactement où il faut quand il le faut ou a contrario sont absents alors qu’ils devraient être présents.

Mais bon, c’est surtout un chouette divertissement, entre fantasy urbaine et steampunk, auquel il ne faut pas trop demander et qui réinvente des choses vues chez Jane Austen, des contes de fées (La Belle et la Bête) ou plus simplement l’affaire Jack L’Eventreur (The Row est évidemment une métaphore de l’Est End de 1888). Les efforts en matière de représentation des minorités ethniques fonctionnent mieux que dans The Witcher où c’était à peu près tout le temps d’un ridicule consommé. Il est de bon ton de se moquer des talents d’acteur d’Orlando Bloom, mais là il est plutôt pas mal et en fin de compte plutôt sobre et dans le ton. Petite anecdote rigolote : les deux fils de Richard Harris jouent dans la série : l’excellent Jared (qui incarnera bientôt Hari Seldon) et son frère plus jeune, Jamie (né Tudor St John Harris) qui incarne le détestable Sergeant Dombey.

Ce n’est certainement pas la série du siècle, mais vous devriez passer un bon moment.

The Vast of night, Andrew Patterson (2019)

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Cayuga, Nouveau-Mexique, fin des années cinquante (donc une dizaine d’années environ après les événements de Roswell), une opératrice de téléphone âgée de seize ans, qui a pris le relais de sa mère partie pour son travail de nuit, capte un son étrange, un son venu d’ailleurs. Avec l’aide d’Everett Sloan le DJ local, elle mène une petite enquête qui la conduira aux frontières du réel.

Joli hommage à La Quatrième dimension (The Twilight Zone en VO) The Vast of night est une sacrée surprise : la mise en scène est virtuose (avec de très longs et très bons plans), la reconstitution de la fin des années cinquante est convaincante, les personnages sont attachants. D’ailleurs cette mise en scène m’en a rappelé une autre, celle de Gus Van Sant pour son très bon Elephant. Peut-être regrettera-t-on un scénario extrêmement léger qui tient sur le billet du match local de baseball et ne réserve aucune surprise (on a compris dès le début qu’il s’agissait d’un film sur les ovnis), mais voilà le réalisateur s’attache à autre chose, recréer une époque, présenter des êtres humains confrontés à l’inconnu. L’horreur en moins, on dirait une jolie nouvelle de Stephen King (qui d’ailleurs n’a pas écrit que des nouvelles d’horreur). Ce sont les X-Files vues par le prisme d’American graffiti.

Je conseille.