Hardcore, Paul Schrader (1979)

Jake VanDorn, un entrepreneur de Grand Rapids, Michigan (George C. Scott), voit sa vie bouleversée quand sa fille disparaît lors d’un voyage « religieux » en Californie. C’est un homme pieu, un homme qui vote sans doute républicain, un homme qui a une solide idée de ce qui est bien et de ce qui est mal. Il engage un détective privé (Peter Boyle, fabuleux) et celui-ci, après des mois d’enquête vient lui montrer un court film 8mm. « Oh my god, that’s my daughter ». Un de ces nouveaux films X qui changent sans cesse de titre, qui autrefois se vendaient sous le manteau et maintenant se trouvent en bacs dans les sex-shops de Los Angeles. Pour retrouver sa fille, Jake va plonger dans le monde de la pornographie californienne, rencontrer un producteur qui lui explique avoir gagné des millions de dollars avec son dernier film, etc.

Quand la plupart des gens regardent 8mm, ils ne se doutent probablement pas que le film de Joel Schumacher doit beaucoup à celui de Paul Schrader. Grâce à son mélange de simplicité (un père cherche sa fille dans l’industrie pornographique de la fin des années 70) et de complexité (le bien, le mal, la tentation, la religion, les limites à ne pas franchir), Hardcore atteint très vite un statut de classique que 8mm (plus frontal, moins fin, en un mot plus pop) n’aura jamais.

Hardcore est un film puissant, qui marque durablement. L’interprétation impeccable de George C. Scott y est pour beaucoup. Jake est probablement un « connard », un loser (largué par sa femme), mais c’est avant tout un père, et ça il ne peut pas se permettre de le perdre. Par petites touches, sans jamais forcer le trait, Hardcore dit beaucoup du calvaire de toutes ces jeunes femmes qui ont rêvé d’Hollywood et n’en verront que les trottoirs, les live nude shows et les hôtels borgnes.

(Film visionné en blu-ray. Edition Power House, toutes zones, avec sous-titres anglais pour sourds et malentendants. L’image, restaurée d’après le négatif original, est assez décevante, fourmille et manque de contraste. Le son est en mono d’origine. On est évidemment très loin des standards de production actuels. Mais bon c’est du cinéma, pas du spectacle 😉 )

Ghost of Tsushima (Jeu vidéo)

Japon. 1274.

Les Mongoles, ces ignobles et infâmes buveurs de lait de jument fermenté, ont envahi ma belle île de Tsushima et, après notre défaite sur la plage de Komoda, ont emprisonné mon oncle Shimura. Enfant, j’ai appris la voie du sabre, j’ai appris à honorer mes ennemis, mais ayant tout perdu à Komoda, j’ai décidé de changer de voie : je crache sur les Mongoles. Je les tuerai au sabre, bien sûr, mais aussi au wakizashi, par derrière, comme un vil assassin, avec mes flèches explosives et mes fléchettes empoisonnées. La mort tombera du ciel, des toits, sous forme de flèches lourdes ou de bombes à la poudre noire. Je les brûlerai et j’achèverai même les fuyards. Je n’aurai aucune pitié et on finira par me surnommer le Fantôme.

Cela dit, même si tuer du Mongole par brochettes de trente est chouette, surtout quand il fait 40° dehors, il faut aussi savoir se relaxer. Le matin j’aime bien pister le renard sous le soleil levant. A midi, juste avant mes sushis, je compose en haiku sur le plaisir d’égorger un ennemi déjà à terre. En fin de journée, je gravis une montagne, j’écoute un musicien, ou je suis un oiseau doré vers un trésor ancien et oublié. En ville, je ne peux pas m’empêcher de me promener sur les toits, de voler des provisions et de grimper au sommet des pagodes avec mon grappin (forgé par le frère de mon acolyte Yuna). Et puis il y a les bains revigorants, sous les érables rouges avec la guerre comme horizon (parfois une patrouille passe de loin en loin alors que je me décrasse les doigts de pied).

Et quand vient la nuit, je redeviens le Fantôme.

(Ghost of Tsushima est un jeu vidéo développé par Sucker Punch et édité par Sony. Ce n’est ni un jeu vidéo historique, on nage dans le n’importe quoi niveau armures, sabres, etc, ni un jeu de fantasy – pas de magie, un peu de réalisme magique sous forme d’animaux qui vous guident de temps à autre. L’ensemble est super chouette et il y a même un mode Akira Kurosawa qui permet de jouer en N&B. Seul reproche, c’est extrêmement sérieux et il n’y aucun moyen de culbuter une paysanne consentante ou la trappeuse qui vient de vous griller un écureuil. Géralt de Riv’ qui s’est forgé d’autres habitudes, serait très déçu de son séjour à Tsushima.

Ghost of Tsushima est aussi le seul jeu vidéo à ma connaissance qui rend un hommage (involontaire ?) à La Ballade de Narayama de Shoei Imamura.)

Bless me ultima, Carl Franklin (2012)

1944. Nouveau-Mexique.

Une famille de fermiers accueille chez elle Ultima (Miriam Colon, vue en maman de Tony Montana dans le Scarface de De Palma). Ultima se dit guérisseuse. Certains villageois la traitent de sorcière et en ont peur, jusqu’à ce qu’ils aient besoin de son savoir. Elle vient dans ce foyer pour y mourir, une idée qui inquiète et fascine le plus jeune enfant de la famille, Antonio. Bientôt, entre la vieille guérisseuse et l’enfant une relation très forte se noue.

Une sorcière, un enfant et un hibou, tout de suite on pense à Harry Potter, difficile d’y échapper, mais rien à voir. Carl Franklin filme autre chose : les chicanos pendant la Seconde guerre mondiale, il filme la violence des superstitions, le pouvoir de l’Église, la magie toujours vive d’un monde ancien qui pourtant se meurt. Bless me, ultima n’est pas un film familial, il commence avec la mort violente d’un soldat démobilisé et se poursuit avec d’autres morts violentes. Revenus de la guerre, les frères d’Antonio dépensent leur argent au bordel et tout cela est tout à fait clair pour Antonio, enfant surdoué, curieux et philosophe à sa manière (son questionnement sur Dieu, la vie, la mort est permanent).

En adaptant le best-seller de Rudolfo Anaya, Carl Franklin propose un film à la fois très dur et très doux, beau mais déconcertant, car complètement déconnecté de ce que propose d’habitude Hollywood. D’une certaine façon, malgré ses paysages arides typiques, Bless me, Ultima est très « européen » et évoque Le Temps des gitans d’Emir Kusturica, c’est cependant moins fort car moins ambitieux. Le film navigue entre fantastique et réalisme magique, entre deux mondes : l’avant-Guerre et l’après-Guerre, entre religion et sorcellerie. Cet empilement de thèmes (sans doute présents dans le roman que je n’ai pas lu) lui nuit un peu, mais bon, ça reste quand même un film à voir, le dernier en date de Carl Franklin qui, depuis 2012, réalise des épisodes de série télé (Mindhunters, The Leftovers, Chance…)

Ce qu’on peut regretter, car c’est un réalisateur qui a fait de sacrés bons films : Le Diable en robe bleue et Un faux mouvement, par exemple.

Sharp objects, série TV d’après le premier roman de Gillian Flynn (2018)

Camille Preaker (Amy Adams) est journaliste. Elle a un lourd passé : elle a perdu sa jeune sœur, a été victime de violences sexuelles, a commencé à se taillader de partout, a été internée, a été témoin du désespoir absolu. De tout ça, elle n’est pas totalement sortie. Elle vit à Kansas City, où elle avance tant bien que mal dans sa carrière, quand son rédacteur en chef lui propose de retourner à Wind Gap, le patelin de son enfance, où deux adolescentes viennent d’être assassinées de façon effroyable.
Retourner à Wind Gap, c’est renouer avec sa mère, Adora (Patricia Clarkson, prodigieuse), et rencontrer sa demi-soeur adolescente, Amma. C’est retourner la boue du passé et patauger dans celle du présent, sans oublier la merde de porc, charmante bestiole qu’Adora élève de façon intensive.

Camille est brisée, Camille est alcoolique. Camille est incapable de se laisser aller dans les bras d’un homme. Mais elle va vite devenir obsédée par son enquête et la recherche de la vérité.

Sharp Objects est une série très réussie, très glauque certes, mais très réussie et qui comporte un lot de scènes à la limite du supportable. C’est une série incroyablement cruelle (toutes les scènes de sexe, ou presque, font mal au cœur tant elles sont sordides), une série qui s’attaque aux femmes sur tous les fronts, leurs rêves, leurs désirs, leurs faiblesses ; jamais un homme n’aurait pu écrire un tel brûlot, surtout de nos jours. Mais comme c’est écrit par une femme, Gillian Flynn, et qu’on sent qu’elle a mis beaucoup d’elle-même dans cette histoire : chapeau bas. Tous les acteurs sont excellents, Amy Adams évidemment, qui prend le risque de s’enlaidir et de se montrer sous un jour peu favorable. Mais aussi tous les enfants et adolescents, ce qui m’a particulièrement frappé, tant le jeu d’acteur des enfants est souvent décevant (Harry Potter, Stranger Things).

Pourtant dénué de rythme véritable, Sharp objects avance comme un bulldozer et écrase tout sur son passge. La fin est particulièrement réussie, trouvé-je.