The Neon Demon, Nicolas Winding Refn (2016)

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Jesse (Elle Fanning) débarque à Los Angeles pour devenir mannequin. Elle vient de fêter ses seize ans et l’agence pour laquelle elle travaille lui demande de dire qu’elle a 19 ans, car 18 c’est tout de suite plus suspect. Jesse est naturellement belle, sa peau est parfaite, elle est lumineuse dans un monde de ténèbres, de jalousie, de souffrances physiques et psychologiques. Dans un monde où la beauté n’est pas une chose, mais… everything.

Je suis assez fan du cinéma de Nicolas Winding Refn, j’ai vu Drive un certain nombre de fois, il en est de même pour Valhalla Rising avec Mads Mikkelsen. Et j’aurais probablement honte de mentionner le nombre de fois où j’ai visionné Only god forgives. Disons que c’est beaucoup. J’ai vu tous ses autres films au moins une fois, même ses premiers films danois. J’avais déjà vu The Neon Demon en Blu-Ray et j’étais passé complètement au travers, gardant à l’esprit des images très fortes, mais n’arrivant pas à leur donner un sens réel, un poids, une symbolique. J’avais l’impression que ça ne racontait rien, ou disons pas grand chose. Film superficiel sur un art superficiel ? Cohérent dans son essence-même ? Expérience esthétique où le travail de la directrice de la photo, Natasha Braier, devient plus important que celui du réalisateur lui-même ? J’imagine que mes premières impressions un peu brumeuses ressemblaient à ça.

Le second visionnage ne m’avance pas davantage… J’avais oublié la scène du lion du montage qui rappelle La Féline de Paul Shrader. Les scènes nocturnes qui ramènent sur le Mulholland Drive de David Lynch. La scène de la piscine vide qui m’évoque le cinéma de Nicolas Roeg, sans que je sache trop pourquoi… L’ensemble me rappelle définitivement Starry Eyes, un petit film d’horreur plus classique, qui a ma préférence, même s’il est loin d’être parfait.

Alors évidemment il y a cette incroyable scène de nécrophilie, il y a cette fin « oculaire » totalement WTF et presque rétive à toute analyse. L’ensemble n’est pas inintéressant. Sur le plan esthétique c’est à tomber, mais c’est aussi longuet, un peu lancinant. Le pire, en ce qui me concerne : ça montre beaucoup, mais ça ne raconte pas grand chose.

 

The Fall – série télé (2013-2016)

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Belfast, 2012. Un tueur (Jamie Dornan) étrangle des femmes, les lave, les laisse mortes dans des positions suggestives. Une commissaire londonienne (Gillian Anderson) est appelée en renfort par la police de Belfast ; elle a mené les investigations de l’affaire Moon, son expérience en la matière ne peut être remise en question. Le tueur s’appelle Paul Spector, il est psychologue, spécialiste du deuil. Il est marié à une infirmière ; ils ont deux enfants. La commissaire s’appelle Stella Gibson, elle est célibataire, bisexuelle, libérée mais fragile. Sous le masque de glace d’un professionnalisme acéré, elle cache une psychologie craquelée par l’empathie et la compassion. Stella (la souris) poursuit Paul (le chat). Stella (la blonde) fascine Paul (qui ne tue que des brunes). Il ne peut en rester qu’un(e).

Rarement une série télévisée ne m’aura fasciné à ce point ; je me suis surpris à revoir des épisodes, pour savourer la précision des détails, la méticulosité du scénario, le jeu de Gillian Anderson. La mécanique narrative est un modèle d’horlogerie suisse, régulier, sans fausse note. Dès le premier épisode, l’identité du tueur est connue. Dès le premier épisode, la fragilité de Stella est palpable. Le suspense est ailleurs, dans les procédures, les expertises médico-légales, les points presse, les erreurs que commettent les uns et les autres.

Gillian Anderson joue là le rôle de sa vie ; elle n’a jamais été aussi belle (elle fête ses cinquante ans cette année, ce qui de son point de vue est sans doute un « mauvais cap »), jamais elle n’a été aussi fragile, aussi forte, aussi lumineuse dans sa volonté de faire le bien. De faire ce qui est juste. Jamie Dornan est époustouflant en serial killer méticuleux, mais toutefois dominés par ses pulsions perverses. C’est un anti Hannibel Lecter, un anti Dexter. Il est tellement vivant, anti-romanesque, quotidien, incarné, probable dans ses moindres détails. Effrayant dans son apparente banalité de bon père de famille. Mais aussi dans sa capacité intellectuelle à construire des meurtres, des actes, des alibis. Les seconds rôles ne sont pas en reste. Colin Morgan est habité, presque incandescent, dans son interprétation du policier Tom Anderson, amant malheureux de Stella. Il s’est approché trop près de l’étoile, il s’est brûlé les ailes.

The Fall est épouvantable, éprouvant, à réserver aux adultes avertis ; les scènes de meurtre sont abominables. Les scènes de violence sont aussi rares qu’explosives. Les secrets des uns et des autres sont souvent inavouables. Mais derrière cette radicalité, se cache une ambition de marbre, inébranlable. Celle d’approcher au plus près la nature du mal. Ce qui, à mon sens, est le rôle primordial de l’art.

Jeu de massacre (Free Fire, Ben Wheatley – 2016)

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C’est l’histoire d’une vente d’armes qui va partir en sucette. Nous sommes fin des années 70 à Boston. Chris (Cillian Murphy), dont on imagine assez facilement qu’il fait partie de l’IRA (ou travaille pour eux) vient acheter un lot de M16 à Vernon (Shartlo Copley), un trafiquant d’armes sud-africain dont le QI est en compétition serrée avec sa pointure (difficile de dire qui va gagner). Vernon n’a pas de M16 mais il a trente AR70. Chris a le pognon, au dollar près. Tout devrait se passer sans problème… Mais la veille, Stevo, un des porte-caisses de Chris, s’est fait refaire le portrait par Harry, un des hommes de Vernon. Il est question d’une cousine de 17 ans à peine, d’une fellation qui a mal tournée et d’une balafre. Quand Harry aperçoit Stevo, les jeux sont faits… Let’s rock’n’roll.

Ben Wheatley est un des réalisateurs du moment les plus atypiques qui soient. Avec lui, ça passe ou ça casse. Et ça casse presque une fois sur deux. Si Kill List m’a impressionné, High Rise m’a vite fatigué. Si Touristes est vraiment un Himalaya de l’humour noir, English Revolution est un espèce de sommet anglais (un pays pas forcément connu pour ses montagnes) du WTF. Free Fire est constamment comparé à Reservoir dogs, et je comprends bien pourquoi : le jeu sur les dialogues, la cruauté (gratuite ?) de certaines scènes, mais le film de Tarantino est nettement plus ambitieux (montage, dialogues justement, écriture des personnages, bande-son) et nettement plus réussi car Free Fire s’effondre un peu une fois que la fusillade a commencé (un comble !). Ça tire certes dans tous les sens, le spectateur se marre, mais Wheatley n’arrive pas à réinjecter un élément scénaristique fort pour emballer sa machine et disons « élever le débat ». C’est plaisant à regarder, les acteurs sont au top, il y a un jeu absolument dément autour des accents des uns et des autres, mais Free Fire reste un chouette divertissement contre-culture quand Reservoir Dogs touchait quelque chose de plus profond sur la violence, la cruauté, la folie et la trahison. Tu as été méchant, Ben. Bravo, c’est bien, maintenant il te reste à être plus malin que méchant… Tout en restant méchant. C’est pas si facile.

Ginger Snaps Resurrection, Brett Sullivan (2004)

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Brigitte, contaminée par sa sœur Ginger, vit comme elle peut en se faisant des shoots d’aconit en intraveineuse. Elle voudrait se débarrasser de son virus lycanthrope, mais se retrouve juste capable d’en freiner les effets les plus voyants. Elle s’entaille les poignets régulièrement, car les processus biologiques de cicatrisation freinent sa transformation. Un soir, alors que le bibliothécaire du coin lui rend visite, ils sont attaqués par un loup-garou. Le corps du bibliothécaire disparaît et Brigitte, blessée, est internée dans un hôpital psychiatrique privé, à cause de ses auto-mutilations et de sa dépendance à l’aconit. Pour elle, le temps est compté. La bête se rapproche, tout comme sa transformation maintenant qu’elle est privée d’aconit.

Suite directe de Ginger Snaps, Ginger Snaps Résurrection change carrément de tonalité tout en restant dans le registre de la série B horrifique sympathique. Exit le portrait d’une adolescence qui s’ennuie, exit aussi le personnage hilarant de la maman des sœurs Brigitte et Ginger. Ginger Snaps Résurrection est globalement plus sombre, notamment par le biais de scènes sexuelles qui s’apparentent quasiment toutes à des viols. Les personnages secondaires sont assez intéressants comme Alice, qui gère l’hôpital psychiatrique, l’infirmier à gueule d’ange qui échange de la drogue contre des faveurs sexuelles ou Ghost qui veille sur sa grand-mère entièrement brûlée (ce pan du scénario ne tient aucunement la route quand on connaît l’étendue des soins que nécessitent les grand brûlés). Ce n’est jamais franchement mauvais, ce n’est jamais totalement convaincant (le nombre d’incohérences et d’idioties scénaristiques est assez élevé).

Mineur.  Mais somme toute assez plaisant si on arrive à débrancher son détecteur à conneries scénaristiques pendant 90 minutes.

(Jaquette française pour le moins mensongère, Katharine Isabelle (Ginger) n’apparaît que très brièvement dans le film, centré autour du personnage de Brigitte.)

Fargo – saison 1

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Lester Nygaard (Martin Freeman) est courtier en assurances dans la petite ville américaine de Bemidji (Minnesota).  Un jour, dans la rue, il est maltraité par un ancien camarade d’école : Sam Hess. Ce gros connard qui possède une compagnie de transport routier est lié aux « gens de Fargo », la mafia. Au terme de l’altercation, Lester se casse le nez contre une vitrine. A l’hôpital, il raconte sa pitoyable histoire à l’inquiétant Lorne Malvo (Billy Bob Thornton, peut-être dans le rôle de sa vie), qui vient d’avoir un accident de voiture. Plus tard, Lorne Malvo se rend dans une boîte de strip-tease et assassine Hess d’un coup de couteau dans le crâne, alors que la victime suait à grosses gouttes en plein ébat tarifé. Ce premier meurtre va déclencher l’apocalypse sur Bemidji.

S’il y a un truc que je ne fais jamais, mais jamais, c’est revoir une série télé. Mais bon, la chair est faible, l’esprit aussi, et j’ai craqué, je me suis replongé avec plaisir dans cette première saison de Fargo. La mémoire est une mécanique complexe assez fascinante. La mienne est notoirement foireuse. Donc je me souvenais de Lester, de Malvo, des Solverson fille et père (Keith Carradine, j’adore cet acteur), mais j’avais complètement oublié toute la partie de l’intrigue avec le roi des supermarchés Milos Stavros (Oliver Platt). Fort logiquement, c’est ce qui m’a semblé le moins convainquant dans toute cette histoire. Sinon, Fargo c’est méchant, c’est drôle et certains des personnages sont bouleversants comme celui de Molly Solverson (Allison Tolman, qui porte plutôt bien ses kilos en trop). Lorne Malvo est particulièrement tordu et c’est sans aucun doute ce qui le rend unique.

Bon, ça n’a absolument aucun rapport, mais maintenant j’ai envie de revoir la première saison de Twin Peaks.

Inherent Vice, Paul Thomas Anderson (2014)

InherentVice

Larry « Doc » Sportello (Joaquin Phoenix) est détective privé. En Californie. A une époque qui suit de très près l’affaire Charles Manson. Doc semble carburer à un régime marijuana / bière en canette / gaz hilarant, quasi-exclusif. Un jour, sa petite amie d’avant, Shasta (Katherine Waterston, fille de Sam Waterston, en photo ci-dessus, ne me remerciez pas) vient lui rendre visite. Elle s’est liée intimement avec un homme marié qui n’est autre que Michael Z. Wolfmann (Eric Roberts), un magnat de l’immobilier acoquiné avec des bikers néo-nazis. Shasta pense que l’épouse de son amant (avec l’aide de son amant à elle, faut suivre) mijote un mauvais coup et que ce serait bien de prévenir le procureur, et ça tombe bien car Sportello couche avec une substitut du procureur : Penny, très stricte d’apparence, mais les apparences sont parfois trompeuses. Surtout à cette époque-là, troublée. Peu de temps après, Shasta et Wolfmann disparaissent. Ensemble ? Séparément ? C’est ce que Doc Sportello va essayer de déterminer.

Raconté par le personnage secondaire de Sortilège (c’est son nom, parfois raccourci en Lège), Inherent Vice réussit la gageure de faire vivre à l’écran la prose de Thomas Pynchon, via une voix off très maîtrisée. Néanmoins un film n’est pas un livre et malgré toutes ses scènes réussies (mais parfois un peu forcées, probablement pour prétendre au statut de scènes-culte) le film de Paul Thomas Anderson paraît un tantinet émoussé et, paradoxalement, un peu à l’étroit. Joaquin Phoenix est étonnant, la plupart du temps méconnaissable. Katherine Waterston est belle comme un rayon de soleil sur un plage de Californie déserte, avec quelques rouleaux sous l’horizon. Josh Brolin est plus vrai que nature en flic frustré. Le monde décrit est corrompu, mollement mité par un monde hippie à l’agonie, qui va vite se déliter en minuscules communautés vouées à l’oubli. Les pouvoirs de l’argent vont définitivement gagner sur ceux de l’esprit et recouvrir tout le paysage, jusque là unanimement désertique, ou presque. Charles Manson a définitivement enterré le flower power. Sa croix gammée tatouée sur le front n’y changera rien.

Agréable, longuet, mais agréable, Inherent Vice reste mineur. On a connu Paul Thomas Anderson plus inspiré. Jamais il ne retrouve dans ce film l’incandescence de There will be blood ou l’audace de Magnolia. Et au fil du film, on ne peut s’empêcher de penser à The Big Lebowski des frères Coen, à The Nice Guys de Shane Black pour de mauvaises raisons, les deux comédies sus-citées ayant davantage d’abattage.

La féline, Paul Shrader (1982)

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Quand on s’intéresse un tant soit peu au cinéma fantastique, La Féline de Jacques Tourneur (1942) apparaît comme un film incontournable. Dans ce classique, une immigrée serbe récemment arrivée à New York, Irina, interprétée par Simone Simone, craint de se transformer en panthère si elle a une relation charnelle avec un homme. Son mariage avec un ingénieur va immanquablement mener à une tragédie.

En 1982 sort La Féline de Paul Shrader, une sorte de remake très malin, où une ancienne enfant de la balle, Irina (Nastassja Kinski, fille de), arrive à La Nouvelle-Orléans pour retrouver son frère Paul Gallier (Malcom McDowell) qu’elle n’a pas vu depuis l’âge de quatre ans.

Tout dans la conception du film a été fait pour choquer le public de l’époque et l’auréoler d’un parfum de scandale avant même sa sortie, tout jusqu’au casting. Nastassja Kinski avait défrayé la chronique à cause de sa relation avec Roman Polanski entre 1976 et 1979, entamée alors qu’elle n’avait que quinze ans, et que Polanski restait accusé de viol sur une mineure de treize ans par la justice californienne. (Plus tard, la réalité rattrapa l’oeuvre de fiction, quand Pola Kinski accusa son père Klaus Kinski de viols répétés et Nastassja ajouta aux révélations de sa sœur qu’il avait aussi tenté de la violer.) En 1982, personne n’avait oublié que Malcom McDowell avait, trois ans plus tôt, interprété Caligula dans le scandaleux film éponyme. Côté scénario la barre aussi a été placée assez haute avec une longue scène de prostitution, plusieurs scènes de nu (Nastassja à plusieurs reprises en full frontal – difficilement imaginable de nos jours dans un film américain, Malcom McDowell nu lui aussi), une scène de mutilation particulièrement brutale.

Les dialogues ne sont pas en reste :

Paul Gallier: You want to fuck him, don’t you? You dream about fucking him! Your whole body burns, it burns all along your nerves, in your mouth, your breasts… you go wet between your legs.
Irena Gallier: Stop it!
Paul Gallier: Every time it happens… you tell yourself it’s love. But it isn’t. It’s blood. And death. You can’t escape your nightmare without me, and I can’t escape my nightmare without you. I’ve waited a long time for you.

Le cocktail ne serait pas complet si le sujet du film n’était pas l’inceste, un sujet qui intéressait déjà Paul Shrader en 1976, avec son scénario pour le classique de Brian de Palma Obsession. Car seul l’inceste pourrait permettre à Irina et Paul de faire l’amour sans se transformer. Intéressant renversement des valeurs où le péché mène à l’amour et à la « normalité ».

Trente six ans plus tard, le film a certes perdu un peu de sa superbe, les effets spéciaux des scènes de début, en Afrique, ont mal vieilli, mais les visions de Shrader restent marquantes. Pour tout dire, sacrilège ultime, je le préfère au classique de Jacques Tourneur. Il y a beaucoup plus d’humour noir dans l’écriture, la Nouvelle-Orléans cadre plus avec l’histoire que New York, et la fin me semble magnifique par sa symbolique et sa cruauté frontale.