Le Gang Kelly, Justin Kurzel (2019)

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Edward Kelly (1854 ou 1855 – 1880) est un hors-la-loi australien, issue d’une famille d’immigrĂ©s irlandais pauvres, dont le statut rĂ©el, 140 ans plus tard, est loin d’ĂȘtre totalement tranchĂ©, car cette fripouille, voleur de chevaux et tueur de flics, avait aussi du Robin des bois en lui et s’est dressĂ© contre les abus manifestes d’une police australienne aux mains d’une aristocratie locale, de descendance anglaise, qui considĂ©rait volontiers les non-Anglais comme la lie de l’humanitĂ© (son destin rappelle un peu celui du Sicilien, Salvatore Giulano). Son histoire est sur certains aspects tellement incongrue (il a livrĂ© sa derniĂšre bataille en portant un heaume et une armure de 44 kilos) qu’elle a donnĂ© lieu Ă  plusieurs films et tĂ©lĂ©films. Dont un avec Mick Jagger en 1970 (dont le tournage impliqua l’absence des Rolling Stones Ă  Woodstock) et un autre avec Heath Ledger en 2003.

S’inspirant du roman de Peter Carey True History of the Kelly Gang (VĂ©ritable histoire du gang Kelly en VF), Justin Kurzel relĂšve le gant et dĂ©cide de raconter cette histoire une nouvelle fois. Son parti-pris est cru. Le film s’ouvre quasiment sur une scĂšne de gorge profonde : dans leur misĂ©rable maison en tĂŽle ondulĂ©e (anachronisme qui semble assumĂ©, puisque c’est loin d’ĂȘtre le seul dans le film), Ellen Kelly s’Ă©touffe Ă  moitiĂ© sur le sexe d’un policier (interprĂ©tĂ© par Charlie Hunman), pendant que Ned regarde par un trou dans le mur et que son pĂšre, dehors, Ă  quelques pas de lĂ , s’occupe de la petite derniĂšre.

Ambiance. La misĂšre Ă  son paroxysme. Tout est lĂ  dans une seule scĂšne. L’abus de pouvoir qui Ă©touffe, qui humilie, qui rabaisse, qui allume la mĂšche qui brĂ»lera jusqu’au drame. Mais aussi une certaine complicitĂ© / ambiguitĂ©, que la rĂ©signation ne peut pas totalement expliquer.

Plus tard, aprĂšs la mort du pĂšre (qui aimait porter des robes), la mĂšre vend son fils Ned Ă  Harry Powell (Russell Crowe) un voleur de chevaux. Elle l’Ă©change contre 15 livres, mais pas bĂ©gueule ajoute une partie de jambes en l’air en bonus. Harry apprendra beaucoup de choses Ă  Ned : Ă  tuer, Ă  voler, Ă  ne pas plier. Et mĂȘme d’une certain façon, Ă  mourir comme un hors-la-loi. Cette premiĂšre partie du film (qui en comporte en tout trois : Boy, Man, Monitor) est de loin la plus rĂ©ussie. Elle met en miroir une nature Ă©poustouflante de beautĂ© (une bonne partie du film montre l’Australie sous la neige) et une misĂšre des plus crasses. Vol, meurtre, prostitution, inceste, soumission de classe, quasiment rien n’est Ă©pargnĂ© au spectateur qui manque un peu de souffle face Ă  ce cortĂšge d’horreurs. DĂ©cidĂ©ment cette premiĂšre partie est vraiment trĂšs forte.

Puis, patatras, le soufflet retombe et le film déçoit dĂšs le dĂ©but de la seconde partie, s’enlisant dans des considĂ©rations sexuelles (travestisme du frĂšre de Ned, relation quasi incestueuse entre Ned et sa mĂšre, homosexualitĂ© refoulĂ©e) qui lassent Ă  force de revenir Ă  la charge sans cesse, sans trop qu’on comprenne oĂč le rĂ©alisateur veut en venir. George MacKay qui incarne Ned Kelly adulte, manque de prĂ©sence, il n’a pas la folie d’un Christopher Walken jeune, il n’a pas l’intensitĂ© hallucinante d’un Klaus Kinski au sommet de son art. Et opposĂ© Ă  Nicholas Hoult, il se fait dĂ©vorer vivant. Dans les seconde et troisiĂšme parties la dimension sociale du dĂ©but s’effiloche, recule, alors qu’au contraire il y avait tant Ă  dire sur les motivations de Ned Kelly et, surtout, la mĂ©canique qui l’a amenĂ© jusqu’Ă  la potence. L’objet filmique devient alors une sorte de fantasy queer ultraviolente, anachronique par bien des aspects. Et pour tout dire un peu vaine.

MalgrĂ© les fusillades et les pĂ©ripĂ©ties de la fin, on finit par s’ennuyer.

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