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Rob Bilott (Mark Ruffalo, Ă©gal Ă lui-mĂȘme) travaille comme avocat-associĂ© dans un cabinet de Cincinnati, spĂ©cialisĂ© dans la dĂ©fense des entreprises de la chimie. Un jour, alors qu’il assiste Ă une importante rĂ©union, deux fermiers de Virginie Occidentale dĂ©barquent avec une tonne de cassettes vidĂ©os. Ils disent qu’on empoisonne leurs terres, qu’on tue leurs vaches. Ils connaissent la grand-mĂšre de Rob Bilott et c’est comme ça qu’ils ont eu son nom et celui du cabinet. Gentiment foutus dehors par la sĂ©curitĂ©, ils laissent derriĂšre eux leur carton de cassettes vidĂ©os. IntriguĂ©, Rob prend la route pour la Virginie occidentale et va rencontrer sa grand-mĂšre, puis il se rend Ă la ferme des Tennant (l’homme qui a fait irruption quelques jours plus tĂŽt dans son cabinet). Ce qu’il observe lĂ -bas dĂ©passe l’entendement : cent quatre vingt vaches enterrĂ©es dans un cimetiĂšre Ă vaches, des animaux survivants mais fous, les pierres d’une riviĂšre dĂ©capĂ©es, blanches comme de la craie. Le congĂ©lateur des Tennant contient des organes cancĂ©reux, des mĂąchoires de vache aux dents noirs. Une forme d’horreur (impossible de ne pas penser Ă la nouvelle de Lovecraft « La Couleur tombĂ©e du ciel« ). L’endroit semble frappĂ© par une malĂ©diction, devenu invivable.
Rob contacte le service juridique de l’industrie installĂ©e Ă cĂŽtĂ© de la ferme : Dupont de Nemours, l’inventeur du Teflon, entre autres. Au dĂ©but, la collaboration se passe bien, il a toutes les rĂ©ponses Ă ses questions, puis quand il dĂ©couvre dans des documents une substance non rĂ©pertoriĂ©e (donc non contrĂŽlĂ©e par l’Ă©tat), le C8, la situation s’envenime et ne pourra que mener Ă une action en justice.
C’est l’histoire de David contre Goliath. Un avocat, moyennement soutenu par le cabinet dans lequel il travaille, attaque Dupont de Nemours, une firme qui fait des milliards de dollars de bĂ©nĂ©fice par an, et tente de prouver qu’ils ont empoisonnĂ© une rĂ©gion entiĂšre et fait des dizaines de milliers de victimes : cancers, malformations congĂ©nitales, etc. Pas par accident, mais en connaissance de cause et depuis les annĂ©es 50. Ils sont inattaquables, ou se pensent comme tel : ils emploient la plupart des gens de cette rĂ©gion, crĂ©ent des dizaines de milliers d’emplois indirects, et inondent le coin d’infrastructures qu’ils payent rubis sur l’ongle. L’histoire se dĂ©roule sur des dizaines d’annĂ©es et c’est peut-ĂȘtre la plus grande rĂ©ussite du film, nous montrer le temps qui passe, les procĂ©dures qui s’enlisent, les acteurs de l’affaire qui vieillissent, qui meurent, qui changent d’avis ou d’allĂ©geance.
Le casting est impeccable (d’ailleurs Anne Hathaway est presque supportable, c’est dire), Ă part peut-ĂȘtre Bill Pullman qui fait un truc bizarre avec sa voix, qui semble forcĂ©, assez peu naturel (mais c’est un dĂ©tail). La construction scĂ©naristique (que j’ai trouvĂ© trĂšs inspirĂ©e de celle de Zodiac de David Fincher) fonctionne Ă la perfection. La rĂ©alisation est sobre, sans doute un poil trop sage, trop acadĂ©mique. Le rĂ©alisateur ne surprend jamais vraiment sur ce plan-lĂ . Il livre un film sĂ©rieux, boulonnĂ© Ă mort, en bĂ©ton armĂ© qui n’Ă©vite pas certains clichĂ©s de ce type d’Ă©popĂ©es judiciaires, comme les photos des vrais intervenants en fin de film.
Dark Waters est un film engagĂ©, cette assertion peut paraĂźtre anecdotique, mais en fait le film politiquement engagĂ© est une espĂšce en voie de disparition aux USA. Dans ses intentions, sa rigueur, il rappelle l’excellent Spotlight de Tom McCarthy.
Bref, ce n’est sans doute pas parfait, ça ne convaincra que les convaincus, mais c’est suffisamment puissant et rĂ©ussi pour laisser une empreinte durable. Vous ne regarderez plus jamais votre poĂȘle de la mĂȘme façon.