Blade of the immortal, Takashi Miike (2017)

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Après avoir commis un massacre, au cours duquel il n’a pas pu s’empêcher de tuer le mari de sa sœur, corrompu, le samouraï déchu Manji est attaqué par une multitude d’adversaires qui veulent la prime mise sur sa tête. Pendant l’affrontement, il essaye de sauver sa sœur rendue folle par le deuil et échoue. Vainqueur, mais mortellement blessé, Manji attend la mort quand une vieille sorcière l’infecte avec des vers d’immortalité.

La jeune Rin a vu sa famille détruite : son père assassiné par Anotsu Kagehisha, sa mère enlevée par un des complices d’Anotsu. La gamine a juré de se venger. Afin d’y parvenir, elle engage Manji comme garde du corps.

Blade of the immortal est l’adaptation d’un manga à succès. Une des spécialités de Takashi Miike, le réalisateur japonais qui tourne plus vite que son ombre. Blade of the immortal est long, 2h20, et un brin épuisant. Il commence par une scène de bataille phénoménale et se clôt un peu de la même manière. Dans ce film de sabre totalement anachronique (armes, costumes, postures des personnages, coiffures mangas, dialogues et j’en passe), on retrouve l’humour noir de Miike, son sens de la provocation, et aussi foule d’hommages et clins d’œil plus ou moins fins à Kill Bill vol. 1, Zatoïchi, la trilogie Samurai avec Toshiro Mifune. Le diptyque Yoyimbo / Sanjuro. Sans oublier le cinéma de Hong Kong : The Blade de Tsui Hark et ses Chinois qui volent. Malheureusement le film est aussi d’une misogynie décomplexée qui ne fait pas honneur au réalisateur.

Pour tout arranger il ne « s’élève » jamais, se réduisant à une série d’affrontements : contre le violeur, le bandit coiffé en hérisson, l’immortel las de l’existence, la guerrière qui ne sait pas vraiment pourquoi elle se bat, le sabreur manchot, etc. Miike fait son Azumi, son chambara-pop ; ça va un moment, puis au trois cent cinquante quatrième mort (sur un millier environ) ça commence à devenir lassant, comme ces jeux vidéos où l’on ne fait que tuer des méchants, le plus vite possible. Dès que Miike laisse parler sa folie habituelle et/ou naturelle (hectolitres de sang, mutilations et perversions en tous genres), le spectacle remonte d’un cran, mais ces éclairs d’insanité sont trop rares pour faire de Blade of the immortal un grand film, comme l’était Izo, peut-être son chef d’œuvre.

Si Miike se permet quelques ellipses d’une rare audace, on regrettera des scènes bâclées, une mise en scène assez paresseuse, mécanique et répétitive, des armes en plastiques et des costumes qui semblent sortir d’un supermarché cosplay de Shinjuku.

Sôta Fukushi qui incarne Anotsu Kagehisha écrase tous les autres acteurs, notamment par sa présence androgyne.

A réserver aux complétistes de Miike.

Us, Jordan Peele (2019)

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Une famille américaine lambda – le papa, la maman, la fille aînée greffée à son smartphone, le fils cadet – partent en vacances à la plage. Ce sont des américains de la classe moyenne, assez aisés pour s’acheter un bateau, mais le petit modèle qui penche à gauche et dont le moteur fait preuve d’un certain caractère d’indépendance. Ils sont noirs, c’est un détail ou peut-être pas. Et la mère a un secret. Trente ans plus tôt dans le parc d’attraction en bord de mer, il lui est arrivé un truc. Elle a vu son double.

Attention critique avec spoilers.

L’idée sur laquelle repose le film : des millions de gens plus ou moins identiques à ceux d’au-dessus (les Américains) cachés dans les égouts, les métros désaffectés et autres tunnels de maintenance, qui se nourrissent de viande crue de lapin, et finissent un jour par tous sortir en même temps, cette idée est ridicule. Elle est même d’un ridicule hallucinant.

Fin de la critique ? Non… Parce que j’ai trouvé le film formidable.

Comme cette idée est ridicule et que l’acteur, scénariste et réalisateur Jordan Peele est loin d’être un imbécile, c’est qu’elle veut dire quelque chose, jusque dans son tissu surexplicatif. D’abord à qui s’adresse le film ? Je pense qu’il s’adresse avant tout aux Noirs américains (et le fait que la police n’arrive jamais après le premier appel au secours de la mère n’est pas juste une péripétie scénaristique). La bande-son et l’hommage au Thriller de Michael Jackson semblent confirmer cette hypothèse. Oubliez les sept couches d’explications du film (c’est un masque !) et attachez-vous plutôt à la place de l’afro-américain dans la société américaine post-Obama, disons, et l’art du metteur en scène : ce qu’il montre et ce qu’il cache. Alors, peu à peu tout fait sens (en fait, tout fait sens, le film est d’une richesse prodigieuse) : la chaîne humaine à travers les États-Unis pour la fin de la faim, le sens du mot US, « nous » en anglais, mais aussi United States, les États-Unis. Nous le peuple des États-Unis…

Jordan Peele s’attaque à sa manière, la farce horrifique, au prix que coûte la classe moyenne aisée. Pas les riches, c’est tellement convenu (et il y a tellement peu de riches de couleur). Au vu du fonctionnement de l’économie américaine, pour qu’il y ait une classe moyenne aisée, il faut qu’il y ait une classe pauvre, oubliée, enterrée, terrée, qu’on ne veut surtout pas voir. Jordan Peele fait sortir les squelettes du placard et choisit une cible étonnante pour sa démonstration, la classe moyenne, et pourquoi pas les Noirs pendant qu’il y est. Il se moque ouvertement des Noirs aisés qui se désintéressent du sort des Noirs ghettoïsés et fréquentent des Blancs plus riches. Us est une fable politique tranchante, assez brutale et déguisée en comédie horrifique qui ne tient pas la route. Le sujet du film c’est la solidarité, mais aussi le risque d’un embrasement racial. Le Helter Skelter qu’espérait Charles Manson.

Le message est très clair : attention la vie est précaire et peut-être un jour vous deviendrez, de façon brutale, une de ces personnes que vous ne voulez pas voir… d’une côte à l’autre des USA. Les différences physiques entre la famille d’en haut et la famille d’en bas évoquent évidemment un système de santé à deux vitesse. Etc.

Le film est très riche : politique, religion, lutte des classes, gentrification et paupérisation. Le verset de la bible auquel il est fait référence à trois reprises est : « C’est pourquoi ainsi parle l’Eternel: Voici, je vais faire venir sur eux des malheurs Dont ils ne pourront se délivrer. Ils crieront vers moi, Et je ne les écouterai pas. »

2000 ans après l’échec du coup de pub de Junior « aimez-vous les uns les autres », Dieu n’écoute plus. Or on sait les liens très forts que la communauté noire américaine entretient avec la religion. Le Gospel… n’est pas vraiment chanté par les Blancs.

Dans Millenium People, l’écrivain anglais J.G. Ballard nous montrait que d’une classe moyenne risquant le déclassement pouvait tout à fait émerger un mouvement terroriste. Jordan Peele nous rappelle que la clochardisation, l’exclusion, le déclassement peut toucher une grande partie de la population américaine. Que l’équilibre-même du pays est précaire, et que paradoxalement entretenir la haine Blancs/Noirs est un moyen concret de stabiliser les USA. Les Noirs représentent environ 13% de la population américaine et de 39 à 44% de la population carcérale, selon les sources / méthodes de calcul.

Us est aussi un bijou de mise en scène : la scène d’ouverture, l’arrivée sur la plage de la famille, les scènes de tension, la scène avec la voiture en flammes.

C’est un film politique très puissant, très provocateur, qui porte le masque d’une comédie horrifique ridicule. Ce qui dit aussi des choses très intéressantes sur l’état du cinéma américain actuel.

Je conseille.

Traîné sur le bitume / Dragged accross concrete, S. Craig Zahler (2018)

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Brett Ridgeman (Mel Gibson) et Anthony Lurasetti (Vince Vaughn) sont deux flics particulièrement efficaces. Après avoir tabassé un trafiquant de drogue mexicain et s’être fait bêtement filmer par un témoin outragé, ils sont suspendus six semaines sans solde par leur supérieur, le Chief Lt Calvert (Don Johnson, qui n’apparaît que dans une scène mais quelle scène !).

Brett a 59 ans, sa femme souffre de la sclérose en plaques et sa fille adolescente est régulièrement agressée dans leur quartier pourri ; après toutes ces agressions viendra un viol, du moins c’est la conviction de la mère, ancienne femme flic handicapée par sa maladie. Alors Brett cherche une porte de sortie, quelque chose, un plan, un coup. Pour Anthony, âgé de vingt ans de moins, la situation est différente, il va demander sa copine en mariage et il espère qu’elle va accepter.

Sur la foi d’un tuyau solide, Brett et Anthony collent aux basques d’un criminel hyperorganisé : Lorentz Vogelmann. Ils espèrent empêcher un échange de drogue et récupérer tout ou partie du liquide – Anthony veut empêcher le crime, Brett veut le fric. Ils se trompent. Sur toute la ligne.

Dragged across concrete (le titre français, j’y arrive pas) est le troisième film de l’écrivain et réalisateur S. Craig Zahler après Bone Tomahaw en 2015 et Section 99 en 2017. Ayant beaucoup aimé les deux précédents, j’avoue avoir abordé mon visionnage avec une certaine fébrilité. Malheureusement, c’est le plus long film des trois (2h39 minutes) et le moins réussi, de très loin.

Il y a je dois dire quelque chose d’un peu incompréhensible dans ce spectacle tout en faux rythme et soudain traversé par un flash de violence pur ou de violence décalée (la marque de fabrique de Zahler – tout ceux qui l’ont vue se souviennent de la scène de la gourde dans Bone Tomahawk). Zahler ne rate pas tout, certaines scènes font mouche, on est souvent surpris par la tournure que prennent les événements (il y a une péripétie que j’ai vraiment pas vu arriver), mais il a trop voulu faire un film leonien ou plutôt tarantinien (auquel il rend hommage dans une scène précise), ce qui est un peu la même chose puisque le cinéphile Tarantino s’abreuve goulument à la source Sergio Leone depuis son second long-métrage. Sur le fonds, le film dit aussi des choses sur le racisme, les préjugés, la colère de ceux qui sont injustement haïs en permanence. L’amitié. La justice. Le « système ». Comment peut-on demander à des flics mal payés, qui doivent respecter un million de règles, d’affronter des criminels richissimes qui n’en respectent aucune ?

Le résultat est hétérogène, avec des scènes très réussies et d’autres dont on ne comprend pas bien l’intérêt. C’est trop dilué. Il y a clairement quarante minutes en trop.

Destroyer, Karyn Kusama (2018)

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Erin Bell (Nicole Kidman) est une flic qui a des problèmes de flic et des problèmes de mère. D’une certaine façon, elle est au bout du bout du bout. Sa gueule pue l’alcool, sa démarche pue l’alcool, ses collègues soit la plaignent soit se foutent ouvertement de sa gueule (cela dit « ceux qui savent ce qu’elle a enduré » la plaignent). La fille d’Erin, âgée de seize ans, part en vrille, elle a plus ou moins abandonné ses études et traîne avec un connard plus âgée qu’elle, avec qui elle fait la tournée des bars. Un jour, Erin reçoit par la poste, à son bureau, un billet marqué, résultat d’un braquage qui a mal tourné (euphémisme). Ce billet taché de violet va la renvoyer des années et des années en arrière… quand elle était flic infiltrée dans un gang de Los Angeles et essayait de faire tomber Silas (Toby Kebbell).

Destroyer est un géant aux pieds d’argile. Le film s’effondre (et se vautre) pour pas grand chose. 1/ une erreur scénaristique si grosse qu’elle laisse pantois, d’autant plus que toute l’audace du film tient sur la scène (d’ouverture) durant laquelle a lieu ladite erreur. 2/ la performance forcée de Nicole Kidman, qui au jeu du avant (belle) et après (Bell défoncée), fait le job, tout en faisant  sans cesse penser à la prestation de Charlize Theron dans Monster de Patty Jenkins. Destroyer est raté, se traîne un peu (deux heures), mais reste attachant. On se surprend à pardonner beaucoup à Karyn Kusama qui tente quelque chose à la Michael Mann ou à la Kathryn Bigelow (Blue Steel, sans doute à réévaluer), avec certes moins de Maestria en termes de mise en scène pure. La réalisatrice s’aventure dans un genre cinématographique dans lequel ne s’expriment quasiment que des hommes.

Et puis il y a quelque chose de singulier dans ce film, une volonté de montrer le coût réel d’une erreur. La réalisatrice met les doigts dans la plaie à vif, encore et encore. Cette obstination, cette fascination laisse à penser que Karyn « Girlfight » Kusama reste une réalisatrice à suivre. Et qui lui faudrait filmer quelque chose de plus conséquent que le concept « enlaidir Nicole Kidman pour montrer que c’est une putain d’actrice ».

Once upon a time in… Hollywood

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Rick Dalton (Leonardo Di Caprio) est un acteur sur la pente descendante, il a été le héros d’une série télé western du type Au nom de la loi et contrairement à Steve McQueen (dont il ne cesse de croiser la route, d’une façon ou d’une autre) il n’est jamais devenu une star hollywoodienne. Il n’arrête pas d’incarner les méchants d’un soir et se noie dans l’alcool. Rick est ami avec sa doublure Jeff (Brad Pitt) qu’il emploie aussi comme homme à tout faire et chauffeur (Rick ne peut plus conduire après un énième accident en état d’ivresse). Un jour Sharon Tate et son mari Roman Polanski viennent s’installer dans la maison d’à côté. On est en 1969. A une époque charnière. Le monde va changer. Hollywood va changer et il n’y aura pas de retour en arrière.

Once upon a time in… Hollywood est un film étrange qui progresse de bal(l)ade en voiture dans Los Angeles nocturne en dialogues ciselés, qui s’arrête le temps de deux morceaux de bravoure (la scène avec Bruce Lee, la scène avec la famille Manson et le pneu crevé). Et puis survient le final, explosif, audacieux, paroxystique et tellement jouissif. 2H30 de bla bla et de crissements de pneus pour en arriver là. Trop long ? Oui et non, car chaque scène a son rôle, non pas dans ce qu’elle dit de la carrière de Rick Dalton, mais ce qu’elle dit d’Hollywood en 1969.

Leonardo Di Caprio est bluffant. On n’en attendait pas moins et on n’est jamais déçu. Brad Pitt est méconnaissable, non pas qu’il soit grimé, mais il navigue dans un registre qui lui est inhabituel. C’est plein de clins d’œil, de références, c’est pétillant comme ces trucs chimiques atroces qu’on se mettait sous la langue, enfants, jusqu’à en avoir les larmes aux yeux.

J’ai bien aimé, ça m’a réconcilié avec Tarantino dont je n’avais pas tellement aimé les derniers films, boursoufflés par une certaine prétention, alourdis par une auto-complaisance certaine.

 

 

Le Crocodile de la mort, Tobe Hooper (1976)

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Le Crocodile de la mort / Eaten Alive de Tobe Hoper s’ouvre sur une scène d’anthologie. Un client de bordel « I’m Buck… and I’m rarin’ to fuck. » (incarné par Robert Englund, quelques années avant qu’il ne devienne Freddy Krueger) essaye de sodomiser une prostituée (Marilyn Burns, déjà vue dans Massacre à la tronçonneuse). La fille, une débutante visiblement pas faite pour le métier (on la comprend), n’est pas du tout d’accord. S’ensuit une altercation de boudoir qui se termine par la mise à la rue de la fille ; Buck lui n’est pas perdant puisque la patronne lui offre deux filles pour le consoler (l’histoire ne dit pas s’il finit par en sodomiser une, les deux, ou aucune). La gouvernante noire du bordel donne un peu d’argent à la fille remerciée et lui conseille de passer la nuit au Starlight Hotel de Judd (c’est sans doute ce qu’on appelle un « licenciement sec » ou « à sec »). Le Starlight Hotel. Tout un poème : un établissement de dernière catégorie, un bouton plein de pus accroché aux lèvres du bayou qui ferait passer le Bates Motel pour un cinq étoiles… et derrière lequel barbote, cerise sur le gâteau, un crocodile africain « immortel ». De sa visite au Starlight Hotel, la fille ne sortira pas vivante. Entre passer deux jours le cul sur un sac de petits pois congelés et… ce qui finit par lui arriver, elle n’a probablement pas fait le bon choix.

Quelques jours/semaines plus tard débarquent son père (Mel Ferrer) et sa sœur Libby, juste après une famille dysfonctionnelle avec fifille et petit chien, puis arrive au milieu des festivités le célèbre Buck avec sa conquête de la soirée. Le chien – yeah ! – sera la première victime d’une nuit particulièrement faste du point de vue du croco (dont on finit par se demander comment il peut encore avoir faim).

Le Crocodile de la mort / Eaten Alive de Tobe Hooper, tourné deux ans après Massacre à la tronçonneuse, et une fois de plus inspiré par un fait divers texan (ça a l’air bien le Texas), est atroce de bout en bout. William Finley (le phantom du Paradise) est en roue libre total (faut le voir pour le croire), la photo est dégueulasse et poisseuse, l’ambiance « tournée en studio un soir de cuite à la tequila low cost » est unanimement sordide et si on rit quand le toutou à sa mémère passe à la casserole africaine, le reste du temps on se partage entre ennui et consternation.

Il faut croire que Quentin Tarantino a beaucoup aimé, puisqu’il fait dire à Michael Bowen dans Kill Bill vol. 1 la fameuse tirade « I’m Buck.. and I’m here to fuck. »