Get Out – Jordan Peele (2017)

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Chris Washington est un brillant photographe. Après cinq mois de liaison avec Rose Armitage, celle-ci lui propose de rencontrer ses parents : Dean qui est neurochirurgien et Missy qui est psychiatre.  En chemin, les deux jeunes gens renversent un chevreuil. Le week-end ne commence pas très bien, surtout que Chris est mal à l’aise parce qu’il est noir et Rose blanche. Même dans l’Amérique post-Obama, une telle histoire d’amour ne va pas forcément de soi. Mais Chris n’est pas au bout de ses surprises, car les Armitage qui habitent une magnifique maison isolée, ont des domestiques noirs et semblent littéralement adorer tout ce qui est noir de peau.

Si vous ne voulez pas de spoilers : arrêtez votre lecture ici et sachez juste que c’est un très chouette film d’horreur/science-fiction (oui oui, science-fiction – car on y voit au moins deux sciences à l’oeuvre) avec de très bonnes scènes de comédie dedans.

[Critique avec spoilers]

Get out commence donc comme un remake contemporain du classique de Stanley Kramer : Devine qui vient dîner ce soir, où une jeune californienne présente son fiancé à ses parents : un brillant médecin, noir, veuf, plus âgé qu’elle, incarné par l’excellent Sidney Poitier, qui fut pour beaucoup dans le changement du statut de l’acteur noir dans le cinéma américain (regardez Dans la chaleur de la nuit, formidable polar social). La ressemblance s’arrête pourtant là, même si Get out parle évidemment de racisme, de préjugés, etc.

Dans un premier temps, le film est une habile comédie de mœurs, plutôt fine, subtile même, bien pensée, extrêmement bien filmée, qui prend le temps de développer ses protagonistes. Puis l’angoisse monte, et le film devient un film d’horreur paranoïaque où s’alternent scènes de comédie et scènes de tension, plus ou moins extrêmes. Dans un troisième mouvement, le film mord à pleine dents le territoire de la science-fiction, mais toujours avec cette alternance de scènes de comédie, portées par LiRel Howery, incroyablement drôle et juste, dans le rôle du meilleur ami de Chris (la scène dans le commissariat est à se pisser dessus). Ça fait beaucoup d’ingrédients pour un seul film, mais ça marche si on ne s’attarde pas trop sur les détails.

En fait Get out a un seul défaut notable : son scénario est construit pour ménager le suspens et/ou fabriquer un suspens artificiel. Deux scènes dénotent, la scène où Chris trouve les photos de Rose, cette scène shunte une explication façon « le méchant de James Bond vous explique », le procédé est louable mais reste un poil maladroit. La second écueil, plus problématique, vient à la fin avec la scène de préparation, décalée, des patients (je n’en dis pas plus), seul mécanisme scénaristique que Jordan Peele a trouvé pour produire une fois encore du suspense dans sa machine narrative et pour montrer frontalement les détails chirurgicaux, atroces, de l’opération qui attend Chris.

Bon, je ne dis rien de la dimension science-fictive parce qu’elle est principalement allégorique et donc à ranger dans la catégorie science=magie. C’est assez drôle, car elle rejoint tout un faisceau de réflexions de l’auteur australien Greg Egan (dont j’apprécie particulièrement les nouvelles, que j’ai relues pour le prochain Bifrost – le 88 consacré donc à Greg Egan).

Get out bénéficie d’un solide cast : Daniel Kaluuya est parfait dans le rôle de Chris, Allison Williams a le rôle le plus divers du casting et s’en tire bien, Caleb Landry Jones a l’air toujours aussi « malade »/malsain. (Commentaire sexiste pur, mais dans les limites de la décence : Erika Alexander est magnifique).

Un brin manipulateur, Get out n’est pas un film parfait, mais il ne faut pas s’en priver pour autant.

Money Monster – Jodie Foster

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Lee Gates (George Clooney, ahurissant) est un odieux personnage, égocentrique, présentateur de télévision, vedette toute-puissante d’une émission sur Walt Street qui ressemble davantage à un concours de t-shirt mouillés en Floride qu’à la bourse telle que nous l’expliquait jadis France Info :  «Bonjour, ici JeanPierre Gaillard, en direct de la Bourse de Paris.» Donc Gates (et sa productrice incarnée par Julia Roberts) en fait des tonnes : stripteaseuses, gants de boxe, extraits de film d’horreur des années 50. Et, pour couronner le tout, il a des liens pas forcément très sains avec les patrons dont il vante les mérites (toute ressemblance avec le personnage de Jack Barron inventé par Norman Spinrad en 1969 est évidemment totalement fortuite, mais quand même, par moments on se dit que… peut-être…).

Lee Gates est tombé amoureux d’un patron : Walt Camby (Dominic West, visqueux comme il sait si bien faire), pas amoureux gay refoulé, je te sucerai bien le gros oretil trempé dans le champagne, non plutôt, amoureux d’avoir les poches pleines au point de craquer. Lee regarde Walt avec des $ dans les yeux. Donc il conseille sans retenu le fonds Camby, à la télévision, devant des millions de personnes, en forçant un poil le trait, juste un poil (enfin, vous voyez le tableau, comme on dit en réunion commerciale : il en met plein les murs). Jusqu’au jour où l’action chute de 75$ à 8,50$, ruinant un certain nombre de personnes. Dont une assez stupide pour avoir mis toutes ses économies dans le même panier (ne faites jamais ça !).

Kyle Budwell (Jack O’Connell) a la rage, et c’est pistolet au poing qu’il débarque en plein direct de l’émission pour comprendre comment un fonds, vanté plus sûr qu’un plan d’épargne par Lee Gates, a pu s’évaporer à hauteur de 800 millions de dollars.

Si vous cherchez un film sur la finance du niveau de The Big Short, Le loup de Wall Street ou Margin call, passez votre chemin. Money monster n’est pas un film sur la crise des subprimes. L’intrigue, le pot-aux-roses est ici secondaire (c’est d’ailleurs sans doute la faiblesse la plus notable du projet).  Jodie Foster s’intéresse plutôt aux femmes et aux hommes : elle dresse le portrait de gens aux priorités totalement divergentes, elle montre la porosité entre le spectacle et la vérité. Money Monster est un film sur la collusion. Sur l’ivresse du pouvoir, de l’argent, de l’ego. C’est aussi le portrait extrêmement réussi d’un homme, Lee Gates, qui comme tout ces gens de la finance refuse de voir les hommes et les femmes de chair et de sang, ruinés, minés, licenciés, par les catastrophes boursières. Ces gens qui ne s’en remettront pas, ou même difficilement. Le casting est impeccable. Une fois de plus, Julia Robert (49 ans) est impériale. La mise en scène, le montage sont très réussis. Jodie Foster, derrière la caméra, c’est épatant. J’attends maintenant avec impatience l’épisode de Black Mirror qu’elle a réalisé, le premier de la quatrième saison.

Avec Money monster, Jodie Foster se place comme digne héritière de Sidney Lumet, on pense à son Network (1976). Ah si elle pouvait continuer sur cette lancée…