Zero Zero Zero, série TV d’après Roberto Saviano

//

Une famille américaine d’armateurs de La Nouvelle Orléans s’est spécialisée dans la livraison d’énormes quantités de cocaïne à travers le monde. La série commence quand un vieux parrain italien, qui vit plus ou moins comme un berger de Calabre, commande des centaines de kilos de cocaïne aux frères Leyra de Monterrey. On va suivre cette cargaison cachée dans des boîtes de piments à travers l’océan Atlantique, le continent africain et la Méditerranée. On va suivre de destin des Lynwood (Gabriel Byrne, Dan DeHaan et surtout Andrea Riseborough, l’héritière), les armateurs. On va aussi suivre la montée en puissance de Manuel Contreras (Harold Torres, hallucinant d’intensité), membre des forces spéciales, à Monterrey.

Bon le parcours d’un kilo de coke ou de quelques dizaines de kilos ou de quelques centaines de kilos, la taille ne change pas grand chose, ce n’est pas très original en soi. Il y a eu Traffic de Soderbergh, il y a pile vingt ans et, plus proche de nous, le méconnu mais tout à fait recommandable Running with the devil de Jason Cabell. Au début de la série, donc les deux trois premier épisodes, je trouvais que tout ça était très cliché. Mais au fur et à mesure que l’histoire avançait, elle devenait de plus en plus surprenante, non pas dans sa trame principale, extrêmement prévisible, mais plutôt dans ses détails, ses décors, ses personnages qui se révèlent tous plus complexes que ce qu’on croyait au départ. A part peut-être le petit-fils du parrain italien, que j’ai trouvé fade de bout en bout.

La série bascule dans quelque chose d’exceptionnel au cinquième épisode (on le sent venir avant). La maîtrise des prises de vue nocturnes rappelle celle de Michael Mann dans Collateral. La qualité du montage, de la mise en scène sont éblouissants. Le trois derniers épisodes sont particulièrement réussis. La série peut aussi s’enorgueillir du jeu de ses acteurs, notamment Andrea Riseborough qui est formidable de bout en bout et Harold Torres, hallucinant dans ses contradictions, qui incarne à lui tout seul la folie et la démesure des cartels de drogue mexicains.

Il ne faut pas se laisser décourager par le premier épisode, il faut un peu insister, déchirer la peau du lait pour regarder ce qui se cache en dessous.

Le résultat final est aussi brutal que convaincant.

Waco, série TV – Drew & John Erick Dowdle (2018)

waco

//

On a tous vu ces images : un immense bâtiment qui brûle au milieu des plaines du Texas. Après plus de cinquante jours de siège, la secte des Davidiens, la secte de David Koresh part en fumée, une tragédie qui a fait des dizaines de morts, dont dix-sept enfants. En fait tous ceux qui étaient présents sur les lieux au moment de l’assaut du FBI.

Il était inévitable que les Américains tournent une série sur cet épisode peu glorieux de leur histoire récente.

La première chose qui frappe ici c’est le casting, impeccable. Taylor Kitsch qui incarne un David Koresh à la fois horrible et capable d’une puissante bienveillance. Michael Shannon dans le rôle du négociateur du FBI, humain, trop humain. Rory Culkin qui incarne David Thibodeau, un des survivants de la tragédie. Shea Wigham, toujours aussi impressionnant, qui joue le rôle du chef tacticien du HRT (hostage rescue team), un homme ambitieux, mais aussi sans doute un peu trop avide d’action.

La seconde chose qui frappe c’est le contenu politique de la série. Législation sur les armes, législation sur le mariage au Texas (à partir de 14 ans), défiance envers l’état fédéral, liberté de culte. Pour un européen, le tissu politique de la série est proprement hallucinant. Gary Noesner, incarné par Michael Shannon, est un exemple assez parfait de liberal bienveillant, on l’imagine bien voter démocrate et discuter des vertus de l’Obamacare avec ses amis qui votent républicain. Il est la voix de la raison, la médiane, entre les fanatiques religieux, les libertariens amoureux de leurs fusils d’assaut et les partisans d’un FBI armé de tanks, qui en impose à tous les voyous du pays. Personne n’est épargné par la série, ni les modérés, ni les libertaires, ni les fanatiques religieux. Et en même temps, personne n’est montré sous un jour unique, totalement négatif, même pas David Koresh.

Rapidement, on est en droit de s’interroger sur ce que nous montre la série tant cette histoire de fois a l’air plus compliquée que : d’un côté « une bande de chrétiens frappadingues armés jusqu’au dents mené par un gourou pédophile » et de l’autre « le gentil FBI a fait tout ce qu’il a pu, mais bon y’a eu un pépin ». C’est passionnant de voir l’accumulation d’erreurs, de part et d’autre, qui a mené à la tragédie. Waco est une série à thèse. On y assiste à une remise en question de la version officielle et cette remise en question est si brutale, si hargneuse, qu’elle n’est pas désagréable à regarder, mais proprement dérangeante. Et toute la cogitation engendrée n’en est que plus salutaire. On est très proche de la théorie du complot, mais sans y être. Attention terrain miné. L’ensemble m’a rappelé le grand cinéma politique de Sydney Lumet (Serpico, Une après-midi de chien), celui de John Schlesinger (Le Jeu du faucon), d’Alan J. Pakula (Les Hommes du président).

Certains reprocheront sans doute aux réalisateurs d’être trop bienveillants avec la secte, mais justement c’est peut-être davantage en nous-même qu’en ce qu’on nous montre que repose le nœud de notre embarras : car on nous montre des gens qui aiment leurs enfants, qui ont des croyances différentes des nôtres, qui sont menés par un prédateur sexuel qui est en fait plus un père polygame qu’un pédophile, on nous montre des croyants soudés qui entassent 200 000 dollars de fusils d’assaut, masques à gaz, et jouent du rock pour faire la fête. Tout ça est trop contrasté, pas assez cohérent pour être acceptable, l’ennemi n’a pas un visage détestable, plein et entier.

Si l’état du Texas n’acceptait pas les mariages à partir de 14 ans et si les États-Unis n’étaient pas aussi dingues de flingues, peut-être que tout ça ne serait jamais arrivé, peut-être. D’ailleurs le motif des femmes mariées / enceintes trop tôt est récurrent dans la série : la mère de Koresh, la mère de Thibodeau, les deux premières épouses de Koresh.

Très critiquée aux USA (on ne peut pas parler de série patriotique), Waco met mal à l’aise de façon durable. Cette série est extrêmement bien écrite, notamment au niveau des personnages. Ils sont malmenés, complexes, souvent lâches. Ils sont à notre image.

Mr Mercedes, saison 2

MrMercedes

//

(Impossible de parler de cette deuxième saison sans spoilier la fin de la première saison. Vous voilà donc prévenus.)

//

Dans le dernier épisode de la saison précédente, Holly Gibney fracassele crâne d’un Brady Hartsfield, a.k.a Mr Mercedes à l’aide d’une statue de bouledogue. L’immonde psychopathe fou d’ordinateurs était sur le point de faire sauter une bombe planquée dans un fauteuil roulant, au beau milieu d’un gala d’arts. Le geste de la jeune femme a permis de sauver des dizaines, des centaines de vies peut-être. Pendant ce temps, Bill Hodges n’était vraiment pas loin, mais faisait un joli accident cardiaque, ce qui ne l’a pas rendu des plus utiles. Ironie du sort, il se retrouve dans le même hôpital que sa proie préférée. Suspendu entre la vie et la mort, Brady Hartsfield ne peut plus nuire à personne. Vraiment ?

La saison 2 de Mr Mercedes diffère assez peu de la première. Le rythme est toujours mou, mais les personnages sont attachants. Surtout Holly Gibney. Ce qui sauve tout ou presque. Là où il y a une différence fondamentale, c’est que la série, qui était purement policière, bascule dans la science-fiction (ou le fantastique « médical ») et pas forcément la meilleure SF qui soit. On y observe les agissements révoltants (?) d’un couple de Frankenstein modernes incarné par Jack Huston (très bon en mari manipulé) et Tessa Ferrer. Cora Babineau est une épouse venimeuse à  souhait, arriviste sans foi ni loi, de la pire espèce ; elle provoque immédiatement un fort et irréversible sentiment de détestation. Si cette partie de l’intrigue est intéressante sur le plan moral (peut-être pas passionnante, mais intéressante), elle ne tient pas la route sur le plan narratif et il faut suspendre très haut son incrédulité pour avaler la couleuvre. D’ailleurs des trucs qui ne tiennent pas la route dans cette deuxième saison, il y en a à la pelle, treize à la douzaine, dont un procureur au manque de professionnalisme assez sidérant.

Outre les personnages auxquels on s’est attaché, on peut ajouter au crédit de cette seconde saison quelques scènes assez formidables, fruits de scénaristes un brin kamikaze qui n’ont pas eu froid aux yeux, ni au reste. La plus bluffante est sans doute celle du baiser – je n’en dis pas plus. Si Brendan Gleeson est évidemment très bien, il se fait littéralement voler la vedette par Justine Lupe (qui incarne Holly Gibney) et Breeda Wool, incroyable d’intensité, qui incarne l’ancienne meilleure amie de Brady Hartsfield.

Loin d’être la série de l’année, pleine de défauts, Mr Mercedes se laisse regarder avec plaisir. D’ailleurs, même si je vais faire une pause, je ne pense pas pouvoir résister aux sirènes de la troisième saison.

 

Mr Mercedes, première saison

MrMercedes

//

Au volant d’une puissante Mercedes volée, un homme affublé d’un masque de clown fauche des dizaines de personnes qui faisaient la queue pour trouver du boulot. Parmi ses seize victimes se trouvent une mère et son bébé.

Cette affaire va obnubiler un flic, Bill Hodges (Brendan Gleeson). Une fois à la retraite, nargué et harcelé par le tueur à la Mercedes, Bill va se remettre en chasse. Ce que le vieux flic alcoolique ignore c’est que sa proie se trouve beaucoup plus proche de lui qu’il n’a jamais osé l’imaginer.

Un peu orphelin d’avoir quitté Holly Gibney dans la série The Outsider, je me suis jeté sur Mr Mercedes dès que j’ai su qu’elle y avait un rôle (et quel rôle !) Le soucis, sans en être un, c’est que la Holly Gibney de Mr Mercedes est clairement très différente de celle de The Outsider.

Mr Mercedes est une série qui rappelle The Fall dans sa construction. Dès le premier épisode on sait qui est le tueur à la Mercedes. Et donc il n’y a aucun suspens à attendre de cette partie de l’intrigue. La force de la série (mais qui implique aussi sa principale faiblesse, à mon sens) c’est l’étude psychologique de Bill Hodges, du jeune tueur, des proches de Hodges, d’Holly Gibney. C’est, sur ce plan-là, fouillé, extrêmement réussi, mais au prix d’un rythme de tortue terrestre (coïncidence ? Bill possède une tortue comme animal de compagnie). Dix épisodes, c’est long, et il faut parfois un peu s’accrocher, tant l’intrigue progresse peu dans certains segments.

Là où la série surprend le plus, c’est par sa violence psychologique, rien ne nous est épargné : inceste, masturbation, alcoolisme, folie, cruauté, torture psychologique, déchéance, désespoir. Certains passages sont à la limite du supportable. Ce ne sont pas forcément les plus sanglants et ils impliquent bien souvent la mère du tueur, interprétée par une Kelly Lynch impressionnante.

Autre surprise, le choix des chansons et des morceaux de musique. Ce n’est pas tous les jours qu’on entend Season of the witch de Donovan, Pet Sematary des Ramones  ou Human Fly des Cramps dans une série télé. Sans oublier les Pixies. La série est d’ailleurs pleine de clins d’œil, à Fight Club, à d’autres œuvres de Stephen King (qui apparait brièvement dans l’épisode 6).

Deux autres saisons ont été tournées ; à la fois je crains le pire (j’ai bien été douché par la seconde saison de Preacher) et en même temps, j’ai assez envie de retrouver Holly Gibney.

The Outsider, série HBO d’après Stephen King (2020)

Outsider

//

(Disclaimer : je travaille chez Albin Michel. The Oustider est un fort recommandable roman de Stephen King publié pour la première fois en français chez Albin Michel en janvier 2019.)

//

Frankie Peterson, un jeune garçon, est assassiné de la façon la plus atroce qui soit dans le parc d’une petite ville sans histoires. Quelques jours plus tard, le coach de baseball Terry Maitland  (Jason Bateman) est arrêté devant tout le monde pendant un match. Des gens l’ont vu à proximité de la scène de crime, il est entré dans un bar à striptease couvert de sang et a griffé un des videurs. Son ADN et ses empreintes ont été trouvés sur le corps de la victime. Problème pour l’accusation : Terry Maitland était aussi à 100 kilomètres de là le jour du meurtre : il assistait à une conférence sur la censure en littérature où il a été filmé. Et une centaine de personnes, environ, peut témoigner de sa présence. Sans oublier ses empreintes trouvées sur un livre rare.

Si Terry Maitland n’a pas tué le petit Frankie Peterson, alors qui (ou quoi) a commis ce crime atroce ? Et pourquoi mettre en place une telle mise en scène qui demande des moyens considérables, impensables ?

Rarement une série télé ne se sera autant focalisée sur la façon dont le commun des mortels réagit face à l’inexplicable / le surnaturel. Depuis la nuit des temps, il y a ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. Il y a les cyniques, les crédules, les esprits ouverts, les esprits libres, ceux dont la foi est inébranlable et ceux qui doutent et qui douteront jusqu’à leur dernier souffle. Tout un éventail de comportements. Le policier chargé de l’enquête, Ralph Anderson (Ben Mendelsohn), est un incrédule, un rationnel a priori inébranlable. Holly Gibney (Cynthia Erivo) est un esprit à part, ouvert, hyper-réceptif. Ensemble, épaulés par d’autres policiers et l’avocat de la famille Maitland, pourront-ils percer le mystère qui entoure le meurtre  de Frankie Peterson ?

The Outsider, adapté à l’écran par Richard Price (Clockers, entre autres) est une sacrée bonne série. On reconnaît à la fois la profondeur psychologique des personnages de Stephen King et les obsessions de Price, notamment sa méticulosité. Price a toujours été un scénariste réfractaire au spectaculaire, en quête de véracité ; d’une certaine façon, il se contraint et se réinvente dans cette série « fantastique » qui ne manque pas de morceaux de bravoure. Si le premier épisode souffre de quelques coquetteries scénaristiques un peu vaines, la suite avance comme un bulldozer, notamment grâce à Cynthia Erivo qui, totalement bluffante dans le rôle d’Holly Gibney, devient sans mal le corps et l’âme de cette enquête surnaturelle. Le septième épisode In the pines, in the pines, scénarisé par Dennis Lehane est notamment très réussi.

On peut évidemment trouver quelques défauts à l’ensemble. Paddy Considine fait des efforts méritoires pour passer pour un ancien taulard américain, mais reste un peu trop anglais et félin pour le rôle. La série aurait pu sans doute être réduite à huit épisodes un peu plus longs. Mais bon, ce ne sont au final que des broutilles.

Jusqu’à sa conclusion, The Outsider n’a de cesse de monter en puissance.

Preacher saison 2 | True Detective saison 3 | Black Coal |

TrueDetective3

//

Bon je fais mon premier « en bref » depuis que je tiens ce blog, me semble-t-il. Je ne sais pas si c’est un effet collatéral du confinement ou plutôt un manque de choses intéressantes à dire sur les séries et les films que j’ai vus ces derniers temps.

//

Je me suis infligé la seconde saison de Preacher, j’avais quand même plutôt aimé la première. Hé ben la seconde est pas bien passé du tout : je me suis ennuyé, mais ennuyé. Jesse Custer (quel connard !) m’est souvent sorti par les yeux. Tulip avait perdu de son abattage et était limite conne par moments. Quant au vampire irlandais, bon y’a une bonne idée avec l’arrivée de son fils, mais ça ne donne pas grand chose au final. L’ensemble est moins drôle, plus sérieux trouvé-je. Et le pire dans tout ça, c’est qu’ils ne font rien ou presque du cadre : La Nouvelle Orléans.

J’ai acheté le troisième coffret (avant de regarder la saison 2), mais là j’ai un gros doute sur mon envie de m’y plonger.

//

Dans la saison 3 de True Detective, deux enfants disparaissent dans l’Arkansas de 1980, un garçon de 12 ans, une fille de 10 ans. Le garçon est trouvé mort dans une grotte, les mains jointes, la fille n’est pas retrouvée. Deux policiers mènent l’enquête, un Noir qui a fait la guerre du Viêt-Nam et un blanc qui a fait celle de Corée. Un suspect est désigné sans mal : un Indien divorcé, vétéran à moité clochardisé, qui collecte les ordures et traînait dans le même coin que les enfants, le soir où ils ont disparu.

C’est vraiment une drôle de saison qui se passe à trois époques différentes, 1980, 1990 (quand la fille réapparaît) et 2015 quand une journaliste s’intéresse à l’affaire et cherche à lui trouver un angle « complotiste ».

Y’a du bon et du moins bon. La vraie fausse bonne idée, c’est d’avoir voulu remettre en place un système narratif analogue à celui de la saison 1, y’a des moment ça fait copié-collé et panne d’inspiration tragique. Par ailleurs, les scènes de ménage entre le flic Noir et sa femme écrivaine semblent assez peu naturelles, et j’ai trouvé certains de leurs dialogues particulièrement mal écrits (ce qui est rare chez HBO). L’histoire en elle-même est plutôt intéressante, mais elle ne tient pas vraiment la route : dès 1980 les flics (ils sont une centaine à bosser sur l’affaire) ont toutes les pièces du puzzle (j’avais compris dès le deuxième épisode sur huit). L’ensemble fait un peu fabriqué en jouant avec les infos cachées des époques précédentes et il n’y avait vraiment pas matière à faire huit épisodes. Par contre, cette saison 3 est ponctuée par des scènes, brèves mais exemplaires, qui vont de la baise extrêmement viscérale à l’interrogatoire percutant en passant par une fusillade très maîtrisée.

Carmen Ejogo qui campe une prof’, pacifiste, écrivaine, mère de deux enfants, tout ça sans que jamais sa sexualité particulièrement incendiaire soit émoussée, est éblouissante. Ce qui est intéressant dans ce personnage, c’est justement la dimension solaire, très positive, très saine de son approche de la sexualité. Elle est le cœur de cette saison 3, son âme vive.

Mahershala Ali est plutôt un bon acteur, mais là je l’ai trouvé en dents de scie. Étrangement, Stephen Dorff m’a semblé bien meilleur, bien plus étale (malgré sa ridicule perruque dans les segments 1980 – sérieux, on ne voit que ça !).

//

De tous les polars chinois qui sont arrivés jusqu’à chez nous ces dernières années (The looming storm, Wrath of silence), Black coal est celui qui m’a le plus convaincu. On y suit un ancien flic alcoolique enquêtant sur une jeune veuve employée de pressing qui est liée à deux meurtres à priori sans lien et distants d’un paquet d’années. Sorte d’étude sur les rapports humains très difficiles, notamment entre les hommes et les femmes, dans la Chine d’aujourd’hui, il y a du Antonioni dans ce film, celui d’Identification d’une femme. On y trouve aussi une scène de fusillade très étrange. Le rythme est lent, lancinant, et certains rebondissement sont difficilement compréhensibles.

On pourrait être rebuté par la misogynie apparente de l’ensemble, mais il me semble que c’est plus malin que ça.

C’est pas totalement réussi, ça part sans doute dans trop de directions différentes (comme un feu d’artifices en plein jour), mais c’est vraiment intéressant si on supporte ce genre de films, tout en faux-rythme.

 

 

 

Preacher|saison 1 (série TV)

preacher

//

Le personnage du centre s’appelle Jesse Custer. Texan (et du Texas de l’ouest, pas le coin le plus sympa de « l’état grand comme la France) », ancien braqueur de banques, Jesse a hérité de l’église de son père et est devenu Preacher (Prêtre en VF, faut qu’on m’explique) pour honorer une promesse bien imprudente, celle de servir le bien et la justice. Quand on est un expert en fusils d’assaut et en fractures ouvertes, ben c’est un certain challenge.

Le personnage de gauche (qui est bien à sa place, à gauche) est un vampire irlandais de 119 ans, du genre fainéant, glandeur, menteur, indéfendable, qui déteste The Big Lebowski, aime l’alcool, la drogue et les femmes (il n’est expert que dans les deux premières catégories).

Quand au personnage de droite c’est Tulip, l’amour de toujours de Jesse Custer, une ancienne braqueuse de banques qui a un compte à régler avec Carlos et qui peut vous enseigner, en dix-sept minutes et quarante-trois secondes, comment fabriquer un bazooka avec des boîtes de conserve et de l’alcool de maïs de contrebande.

Un jour, une force céleste s’échappe de sa boîte à café, fait exploser quelques prêtres et prédicateurs avant de se fixer sur Jesse Custer.

A Annville, Texas, va y avoir du sport !

Il y a longtemps que j’avais pas autant pris mon pied devant une série télé. Toutefois, il y a un prérequis, il faut complètement oublier que c’est tiré d’un comics de Garth Ennis et Steve Dillon. Vos paupières sont lourdes, je vais compter de 10 à 1 et quand j’aurais fini vous aurez oublié l’existence de ce comics.

10… 9… 8… 7… 6… 6… 6… 5… 4… 3… 2… 1.

C’est trash (ambiance tripes éclatées, fractures ouvertes, visage transformé en anus géant par une décharge de chevrotine), c’est globalement de très mauvais goût, mais putain qu’est-ce que c’est bon. Avec quasiment un morceau de bravoure par épisode. Il me semble que la confrontation entre les deux gardiens (de la boîte à café) et le séraphin dans la chambre de motel restera longtemps en mémoire du plus blasé des téléspectateurs.

Dominic Cooper est complètement décalé ; si le choix peut paraître bizarre (surtout dans les deux trois premiers épisodes), au final ça fonctionne pas mal. Cassidy et Tulip (vus auparavant dans la série anglaise Misfits) sont excellents.  Jackie Earle Haley (l’inoubliable Rorschach du Watchmen de Snyder) fait un méchant à la fois grotesque et réussi. « Le dieu de la viande ! Le Dieu de la viande ! » Fallait y penser.

Dans le genre série qui ne se prend pas au sérieux, la première saison de Preacher explose sans mal Supernatural (que pourtant j’aime beaucoup). C’est sans doute beaucoup plus ambitieux, mais sans jamais être prétentieux.

On notera aussi un soin très particulier apporté à la bande-son, avec plein de chouettes chansons, de bons morceaux.

Franchement pour se divertir, y’a pas mieux (à condition d’avoir un sens de l’humour aussi tordu que le mien).

Mindhunter, Joe Penhall (2017-2019)

mindhunter

 

//

Fin des années 70, malgré une direction particulièrement réticente, deux agents du FBI commencent à interviewer les plus célèbres tueurs du pays afin de comprendre leur psychologie (à une époque où l’appellation « tueur en série » n’existe pas encore). Leur travail est encadré par une brillante universitaire homosexuelle, Wendy Carr. Parmi les criminels qu’ils vont rencontrer, l’un d’eux sort du lot : l’ogre de Santa Cruz, Ed Kemper (2m06, 135 kilos), tueur nécrophile au QI de 140. En répondant sincèrement (ou pas) aux questions des deux agents, Ed Kemper leur sera d’une immense utilité pour comprendre l’univers fantasmatique des serial killers. Ces deux agents sont Holden Ford et Bill Tench. D’un côté, un jeune loup égocentrique, narcissique et prétentieux. De l’autre, un vieux de la vieille, un brin tanné par la vie, qui sait placer les anecdotes exactement au bon moment. Le mariage de la carpe et du lapin. Ensemble, bon gré mal gré, ils vont pénétrer un monde de ténèbres, de meurtres épouvantables et de pratiques sexuelles tordues. Et vont essayer de passer de la théorie (du profilage) à la pratique (l’enquête de terrain).

Mindhunter est une série américaine récente (2017-2019) crée par Joe Penhall. Les réalisateurs engagés sont souvent prestigieux, citons entre autres David Fincher (très impliqué dans le projet), Andrew Dominik et Carl Franklin. Initialement prévue pour cinq saisons, pour le moment seules les deux premières ont été tournées et un gros doute semble planer sur la production d’une troisième saison.

Si la première saison est particulièrement convaincante, dans sa mise en place, son déroulé et ses enjeux, la seconde saison m’a semblé un brin moins percutante ; j’ai eu personnellement beaucoup de mal avec le drame « parallèle » dans lequel est impliqué le fils de Bill Tench. J’ai trouvé parfois le scénario un peu trop fabriqué et le neuvième épisode de la seconde raison, rajouté en cours de route pour donner une éventuelle conclusion à la série, est plus long que les autres et en même temps, maladroitement dense. Y transparaît une volonté de donner à tous une scène possiblement « conclusive ». Mouais.

Tout cela dit, les sessions avec les tueurs, qui reprennent mot pour mot leurs déclarations (« historiques ») au FBI, sont souvent saisissantes, même celle avec Charles Manson (Damon Herriman, qui jouait le même Manson dans Once Upon a time in… Hollywood). Sur le plan psychologique (et même psychiatrique), l’ensemble semble solide, très sérieux, ce qui change de beaucoup de films sur le sujet, qui sont approximatifs, voire parfois totalement fantaisistes.

Au final, malgré les quelques réserves évoquées en amont, la série est globalement très réussie et passionnante. Le duo Joe Penhall/David Fincher a retrouvé/recréé le ton du film Serpico (1973) et ce n’est donc pas un hasard si Un après-midi de chien de Sydney Lumet sert longuement d’exemple de négociation au début de la saison 1.

Pour aller plus loin : Ed Kemper en vrai.

Westworld | saison 1

westworld-hbo

//

A l’ouest rien n’a changé.

Pourtant, tout y est nouveau.

Quelque part sur le territoire des États-Unis existe un immense parc d’attraction ambiance western, au prix d’entrée fort couteux, où on peut baiser et tuer des robots à l’apparence humaine parfaite qui… eux ne peuvent ni vous dire non ni vous blesser en retour. Dans ce parc, un certain nombre d’histoires se nouent et se dénouent. Une maquerelle (Thandie Newton) accède à la conscience et entame un jeu dangereux avec ses « créateurs ». Un vieux démiurge (Anthony Hopkins) prépare un nouveau spectacle et garde jalousement le plus grand des secrets de Westworld. Le conseil d’administration du parc veut se débarrasser de ce vieil homme et/ou mettre la main sur son savoir unique. Le fantôme d’un certain Arnold plane sur toutes les créations. Un homme en noir (Ed Harris), qui aime tuer et violer, cherche le centre d’un mystérieux labyrinthe, car il veut accéder à un niveau de jeu plus élevé que celui que propose de prime abord le parc d’attraction.

Westworld est une série de luxe, si deux ou trois scènes d’effets spéciaux laissent à désirer (la vue de Paria, l’excavatrice de Ford), tout le reste sent la production haut-de-gamme. A tel point que chaque dollar investi semble briller à l’écran. Les acteurs sont tous impeccables, avec peut-être une mention particulière pour Jeffrey Wright que j’ai toujours trouvé très bon et semble là trouver le rôle de sa vie. Les décors sont réussis et/ou crédibles. Les amoncellement de robots morts, nus, font froid dans le dos et évoquent immanquablement certaines images de la Shoah. Oui, Westworld est indéniablement une série HBO (donc un peu scandaleuse, à la provocation parfois facile).

Westworld est aussi une série ludique qui joue avec certains codes maison (la nudité, dont la nudité masculine ; la violence ; le viol). Série qui n’oublie pas de rendre hommage au produit-phare de la chaîne, Game of Thrones, avec divers clins d’œil (la broche de Logan, les visages blancs dans le bureau de Ford), sans oublier la musique de Ramin Djawadi. On peut aussi s’amuser à essayer de reconnaître les chansons que joue le piano mécanique du Mariposa : The Rolling stones, Nirvana, Radiohead, The House of the Rising Sun… Série riche, haut-de-gamme, ludique, volontiers provocatrice, audacieuse, donc. Waouh, rien que ça. Mais aussi un brin complaisante (ce qui ne surprendra personne de la part de HBO).

Malheureusement, Westworld est surtout une série ambitieuse qui veut absolument jouer la carte du mindfuck et qui le fait assez mal dans l’ensemble, car il y a beaucoup d’esbroufe dans ce spectacle, et certaines idées renversantes ne tiennent pas la route deux minutes quand on y réfléchit sérieusement. Un parc d’attraction où les gens tirent à balles réelles, dans lequel des enfants viennent passer leurs vacances, un parc d’attraction qui glorifie la prostitution et le viol (putes robots ou pas, on a quand même un peu de mal à y croire). Des personnages « humains »  qui se révèlent être des robots. Des leviers de contrainte sur les créateurs qui semblent bien maigres. Les scénaristes s’en sont donnés à cœur joie, c’est une des grandes traditions de la série télé américaine, cette volonté de repousser sans cesse les limites de ce que le spectateur peut avaler. Jusqu’au point de rupture, parfois.

Malgré ces défauts (qui nous font décrocher, ici ou là), Westworld reste une série plaisante, pleine de détails gratifiant pour le spectateur malin/érudit qui clignotent comme des récompenses de jeux vidéos, un spectacle qui fait souvent mouche là où ne l’attend pas : la critique d’un capitalisme déconnecté du réel, du travail et des travailleurs humains, la critique d’une société où les rapports humains se révèlent si complexes qu’un sextoy y devient ce qui est le plus proche d’un partenaire agréable, fiable, sans reproche (et qu’on peut donc brancher et on débrancher à l’envi, voilà l’idéal, homme ou femme logés à la même enseigne). Pour l’investisseur comme pour le jouisseur, le robot semble avoir beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients. Ce qui le rend supérieur à l’humain. Dans Westworld, tout le monde ou presque préfère baiser avec des robots plutôt qu’avec des êtres humains, ce qui en dit long sur la société future telle que la série l’imagine. Le quotidien (c-à-d la famille) qu’on fuit de toutes ses forces, à coups de milliers de dollars, voire davantage, y semble être le plus grand ennemi du l’humanité.

On appartient tous à quelqu’un, a écrit un jour un grand philosophe américain, par conséquent le plus important c’est de bien choisir son maître. L’argent, le sexe et l’amour sont des maîtres impitoyables.

Too old to die young | Nicolas Winding Refn & Ed Brubaker

yaritza

« Va leur dire à tous que c’est la grande prêtresse de la mort qui t’a libérée ! »

 

Strong sexual content. Adult content. Graphic violence. Graphic language. Rape. Nudity.

[tentative de résumé]

Martin Jones (Miles Teller, étonnant) est policier. Un soir, son partenaire Larry (Lance Gross) est  assassiné par Jesus (Augusto Aguilera) sous les yeux de Martin. Auparavant, les deux flics (à Los Angeles) ont été impliqués dans le meurtre de Magdalena, la mère de Jesus, fortement liée à un Cartel mexicain. A Los Angeles, Martin va commencer à vivre une double vie : d’un côté policier, de l’autre tueur pour un gang opposé au cartel. Réfugié au Mexique, Jesus va faire la connaissance de Yaritza (Cristina Rodlo, éblouissante), la grande prêtresse de la mort, spectaculaire tueuse de violeurs, maquereaux et autres esclaves sexuels, pas effarouchée à l’idée de tuer les hommes de son propre cartel.

[\tentative de résumé]

Too old to die young est la meilleure série que j’ai vue depuis très longtemps. Les titres des épisodes (des lames de tarot) ne laissent pas  beaucoup planer de doute : Refn a de nouveau voulu rendre hommage à Alejandro Jodorowski. Par exemple le personnage de Yaritza est à la fois une lame de tarot : la grande prêtresse (qui éclaire ce qui est caché) et Nuestra Señora de la Santa Muerte (« Notre dame de la Sainte Mort »), ou Santísima Muerte, important personnage du folklore mexicain qui personnifie la mort, de manière similaire à la Grande faucheuse dans les folklores européens.

Too old to die young est lent, lancinant, très esthétique et en même temps d’une folle richesse. La photo de Darius Khondji (sur 7 épisodes) entre en résonance avec les ambiance musicales de Cliff Martinez. L’expérience très chargée d’ésotérisme est proprement hypnotique, et paradoxalement requiert une très grande attention malgré son rythme ample et délié. Avec Too old to die young, Refn continue via une série télé (qui casse absolument tous les codes des séries télés) son travail cinématographique sur les violences faites aux femmes. Le dixième épisode, la coda « Le monde », qui ne fait que trente minutes, alors que les autres épisodes durent plutôt une heure et demi, est un véritable « explication de texte » sur le sujet, ou révélation pour rester dans le schéma de la grande prêtresse. On pense beaucoup à David Lynch en regardant cette série, le grand David Lynch de Lost Highway.

Je ne me fais aucune illusion : ceux qui n’ont pas aimé Only god forgives (ouvertement dédié à Jodorowsky) n’aimeront pas davantage Too old to die young. Mais quelle audace, quelle folie que cette série. Quant au huitième épisode, il vous retourne littéralement la tête, il vous fait comprendre que vous avez pris la série dans le mauvais sens, que vous êtes passé à côté de son propos, que vous avez cru à tort que Martin était le personnage principal parce que c’est lui qui avait été introduit en premier.

Toute la série tourne autour des relations hommes-femmes (le premier dialogue entre Martin et Larry annonce absolument tout ce qui va suivre, comme une douloureuse prémonition), du pouvoir que les hommes ont sur les femmes et du pouvoir que certaines femmes ont sur les hommes. J’y ai vu (sans doute à tort) un commentaire particulièrement malin sur l’après #meetoo. Il est aussi beaucoup question de pédophilie et d’ascendance dans Too old to die young : Martin, trente ans, a pour petite amie une jeune femme très brillante qui n’avait que seize ans la première fois qu’ils ont couché ensemble. Comme le fait implicitement remarquer une policière à un moment, même si leur relation est sincère ce n’est pas pour autant qu’elle est légale. L’ascendant « de fait » que Martin a sur cette adolescente a facilité leur relation (d’autant plus qu’elle a été entamée en période de deuil, suite au suicide de la mère de la jeune femme), relation qui n’aurait jamais dû commencer. Inconsciemment (si on lui laisse le bénéfice du doute), Martin s’est comporté comme un prédateur.

Nicolas Winding Refn a une fois de plus tapé très fort. Ce n’est pas pour tout le monde, ça laissera sans doute 90% des spectateurs sur le carreau, mais pour les autres, ceux qui arriveront à y entrer, ce sera un vrai choc. Contrairement à The neon demon, Too old to die young n’est pas une magnifique coquille vide, bien au contraire, c’est si riche que j’ai regardé certains épisodes deux fois de suite, notamment le huitième qui m’a complètement retourné.

C’est comme certains livres, il faut s’accrocher au début, accepter les choix radicaux du réalisateur, mais une fois qu’on est dedans, on ne peut plus lâcher…