Morgane, Stéphane Fert (scénario & dessin), Simon Kansara (scénario)


(Disclaimer : j’ai acheté cette BD parce que je publierai le 18 janvier prochain Morgane Pendragon de Jean-Laurent Del Socorro et que je voulais comparer les deux œuvres, ce qui ma foi s’est révélé très intéressant.)

Morgane est la demi-sœur d’Arthur le bouseux, fils anonyme d’Uther Pendragon. Pour qu’Arthur soit conçu, le magicien Merlin a changé l’apparence d’Uther et celui-ci a pris par la ruse Ygrène (bon, si vous avez vu Excalibur de John Boorman vous savez tout ça). Alors que Morgane se rêve reine de Bretagne (mais quelle drôle d’idée !), c’est Arthur qui finit par arracher Excalibur du rocher. Et Arthur encore qui la tue, en utilisant le pouvoir de l’épée magique, avant de l’abandonner dans la forêt, où elle sera plus tard sauvée par Merlin (le fils du Diable). Mais pourquoi ? Dans quel but ?

J’avoue, j’ai eu beaucoup de mal au début avec cette bande-dessinée au dessin atypique. Je trouvais le scénario convenu, un peu mollasson, jusqu’à ce que, le premier tiers passé, les scénaristes (Stéphane Fert et Simon Kansara) abattent enfin leurs cartes. Et là, d’un seul coup, ce qui était vu et revu (mais pas sur le plan graphique, loin de là) est devenu un objet unique qui joue, excusez du peu, un peu dans la même cours des grands que Peau d’homme d’Hubert et Zanzim. Les auteurs revisitent la légende arthurienne, y injectent du Shakespeare (le fameux monologue de Dame Macbeth), du Baudelaire, répondent à certains mouvements sociaux comme #metoo, dénoncent l’hypocrisie des chasses aux sorcières. Se lancent dans quelques péripéties qui ressemblent à des scènes coupées de Monty Python sacré graal. Ils osent beaucoup en termes de thèmes adultes (inceste, trahison, zoophilie (!), cruauté gratuite, manipulation et bien sûr folie).

Au bout d’un moment, les surprises s’enchaînent (la scène avec Cernunnos est d’une audace incroyable, je ne l’avais pas vu venir, pour le moins). Et au fur et à mesure que l’histoire se déroule le plaisir grandit jusqu’au final, d’une grande subtilité. On peut être un peu déconcerté par le dessin et la narration (perfectible ça et là, chipotons pour le plaisir de chipoter), mais il faut reconnaître que c’est ce dessin si particulier qui donne sa force au projet et en permet toutes les audaces narratives.

Une très belle bande-dessinée, donc, qui plaira sans doute plus au public féminin qu’à un public masculin en quête de grandes aventures guerrières ; une belle réussite dont on ne louera jamais assez la dimension ludique.

A lire et à relire.

Goat mountain, O. Carol / Georges Van Linthout (d’après David Vann)


Trois hommes et un garçon âgé de 11 ans partent chasser le cerf à Goat Mountain, dans le nord de la Californie en 1978. Le fils, le père, le grand-père et un ami de la famille. Très vite, un drame terrible a lieu. Un homme meurt et les responsables de sa mort se retrouvent face à un dilemme, un choix impossible.

Je n’ai pas lu le roman de David Vann, mais une chose est sûre la BD qui en a été tirée est une des choses les plus asphyxiante qui m’ait été donné de lire ces dernières années. La chasse est un objet littéraire étonnant, au potentiel quasi illimité (je ne saurais trop vous conseiller Scènes de chasse en blanc ou, dans un registre opposé, Le Vieux qui lisait des romans d’amour), c’est aussi un sujet de cinéma très fort exploré par Michael Cimino (Voyage au bout de l’enfer), John Boorman et tant d’autres. Goat Mountain est un récit d’une noirceur effrayante, presque surnaturelle.
« Je ne suis pas une bête sauvage, je suis pire : un homme » hurle Jon Voight dans le Runaway Train d’Andreï Kontchalovski (d’après un scénario d’Akira Kurosawa).
On ne saurait mieux dire.

D’un point de vue technique, j’ai été plus impressionné par le travail sur les couleurs que par le trait en lui même, qui est expressif et puissant, c’est déjà ça. Mais dont la brutalité ne conviendra sans doute pas à tout le monde. La narration est bonne, mais elle impressionne moins que celle d’Ugo Bienvenu sur Sukkwan Island, il y a deux trois endroits où j’ai trouvé le découpage maladroit. Et la fin m’a semblé un peu précipitée.

Yakuza, Sydney Pollack (1974)


Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, pendant l’occupation du Japon par l’armée Américaine, l’homme d’affaires californien George Tanner (Brian Keith) a noué des liens très forts avec la pègre japonaise, et un yakuza en particulier : Tono. Contre une importante somme d’argent, Tanner a promis de livrer des armes à Tono, mais la cargaison n’est jamais arrivée au Japon et, en représailles, le yakuza a kidnappé la fille de Tanner, qui faisait ses études à Tokyo. Pour sortir de ce piège, Tanner recontacte un de ses vieux amis : Harry Kilmer (Robert Mitchum) qui était au Japon avec lui vingt ans plus tôt. Alors Policier militaire, Harry s’est lié avec une japonaise dont il a sauvé la vie, ainsi que la vie de sa fille, Hanako. Eiko possède un petit bar, le Kilmer, à Tokyo. Harry le lui a acheté avec de l’argent qu’il a emprunté à Tanner, après que la jeune femme a refusé de l’épouser. Eiko a un frère, Tanaka Ken (Takakura Ken), le yakuza du titre. Ken a passé la Seconde guerre mondiale dans une grotte des Philippines ; à son retour au Japon, il est devenu yakuza, puis a arrêté pour devenir professeur de kendo à Kyoto. Tanaka Ken a une dette envers Harry Kilmer et selon son code il doit l’honorer, même si cela va lui coûter la vie. Kilmer va se servir de cela pour rentrer en contact avec Tono. Une fois la machine lancée, les deux hommes ne pourront plus l’arrêter. Car le sang appelle le sang.

Sydney Pollack est un de mes réalisateurs préférés. Et Yakuza est de ses meilleurs films. C’est peut-être la coproduction américano-japonaise la plus réussie des années 70. Tout y est extrêmement juste : le scénario limpide alors que les liens entre les personnages sont complexes, plein de non dits, les décors, les scènes de jeu et les nombreuses scènes de combat. Le film culmine dans une tuerie d’une rare violence qui, d’une certaine façon, annonce The Killer Elite de Sam Peckinpah (1975), Black Rain de Ridley Scott et évidemment le diptyque Kill Bill de Quentin Tarantino.

Le casting est très réussi. Mitchum semble plus fragile qu’à son accoutumé. Takakura Ken (alors immense star au Japon) est impressionnant dans son rôle d’homme qui ne sourit jamais. Richard Jordan (le Duncan Idaho du Dune de David Lynch) est très touchant en jeune américain qui découvre le Japon et ses règles bien précises.

Tout est parfait. Yakuza est un grand film. Je le revois toujours avec un immense plaisir.

Je le possède en DVD ; il n’existe pas de blu-ray français à ma connaissance (alors que la restauration pour le Blu-ray disponible à l’étranger a très bonne réputation).