The Strangers – Na Hong Jin (2016)

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Dans un petit village de Corée du sud (qui donne son nom original au film : Goksung et qui existe vraiment), un certain nombre de drames ont lieu : meurtres, suicides, un incendie, une épidémie d’urticaire surinfecté.
Trois visions de la même série d’événements s’affrontent.
Le diable est parmi nous et c’est cet étranger (un Japonais) qui vit en ermite dans la montagne, sa cabane gardée par un terrifiant molosse noir. Vision chrétienne.
Les gens ont mangé de mauvais champignons et une épidémie d’urticaire, de folie et d’hallucinations collectives s’en est suivie. Avis médical imparfait, les docteurs ne savent pas, ne sont pas sûrs.
L’équilibre du village est rompu par un fantôme, un esprit extrêmement malfaisant. Vision du chaman, animiste et bouddhiste. Seul problème : le Japonais n’est pas un fantôme…

Ajoutez à cela un personnage féminin énigmatique (ange ou démone), un flic peureux, un diacre qui fait office d’interprète du Japonais, un prêtre qui conseille au flic de faire confiance en la médecine, etc.
Le film s’ouvre sur une citation de la bible, c’est une sorte de clé de code pour comprendre les enjeux. Le diable ou un fantôme ? Un ange ou une démone ? Un être de chair et de sang ou un esprit malfaisant ?
Jusqu’à la fin (qui est double) le réalisateur invite le spectateur à se placer dans une perspective plutôt chrétienne (ce qui rejoint dans la démarche le très intéressant et marquant Je viens avec la pluie de Tran Anh Hung). Il est sans doute utile de préciser qu’à Goksung, dans notre monde, des chrétiens ont été martyrisés au XIXe siècle.

Goksung brasse toutes les croyances&religions (ou presque) répandues en Corée du sud. Mais il n’oppose pas la religion catholique au chamanisme bouddhique. Les deux systèmes religieux interprètent différemment (en parallèle) les événements en cours à Goksung. Pour les catholiques, il faut faire confiance (à Dieu et à ses anges, sur le plan spirituel ; aux médecins, sur le problème de santé publique), pour le chaman, il faut rééquilibrer ce qui a été déséquilibré, en tuant le démon/fantôme/esprit malfaisant (ce qui donnera lieu à la scène la plus hallucinante du film, une cérémonie chamanique filmée avec brio, et qui ressemble étrangement à certaines cérémonies vaudous / haïtiennes).

La première fois que j’ai vu The Strangers, il m’a semblé raté et en même temps proche du chef d’œuvre. Raté dans sa rythmique imparfaite et son utilisation un peu grand-guignolesque d’une imagerie démoniaque occidentale qui me semble dépassée (ce qu’a, à mon sens, très bien compris / assimilé Lars von Trier dans Antichrist puis son goguenard The house that Jack Built). Na Hong-Jin (The chaser, The Murderer) a voulu tourner une série télé sans le savoir : il a multiplié les intrigues, les personnages, les épisodes. Il aurait pu faire de Goksung un formidable pendant coréen au Shokuzai de Kurosawa Kiyoshi, ou à Twin Peaks. D’ailleurs en parlant de Twin Peaks, on retrouve du David Lynch dans ce film, notamment via l’utilisation d’objets qui font le lien entre certains personnages : des photos, une herbe accrochée à l’entrée d’une maison, un appareil photo à flash intégré. Il y a aussi deux parentés évidentes (peut-être involontaires) mais quand même très fortes : Les diables de Ken Russell, L’Exorciste de William Friedkin.
A la seconde vision, j’ai beaucoup plus apprécié le film et ai eu envie de rajouter une influence qui ne m’avait pas sauté aux yeux la première fois, celle du Rashomon d’Akira Kurosawa.

Il existerait, parait-il, un montage plus long du film (qui en l’état fait quand même 2h36) ; je serais très curieux de le voir.

Sinon, je laisse le mot de la fin au réalisateur : « En Corée, pas mal de personnes me voient comme le Diable incarné, un réalisateur maléfique. Ça me va. »