Men, Alex Garland (2022)


Harper (Jessie Buckley) vient de perdre son mari. Après une énième dispute, il est tombé de l’appartement du dessus. Elle l’a vu passer, l’air surpris. Suicide ou accident, elle ne sait pas. Il venait juste de la menacer de se suicider si elle demandait le divorce. Harper quitte Londres pour louer un (petit) manoir dans le village de Cotson, à quatre heures de route. A peine arrivée, les faits étranges commencent à s’accumuler. Elle est poursuivie par un vagabond (nu) qui tente d’entrer par effraction dans sa maison de location. Et toute discussion qu’elle entame avec un homme du coin finit par prendre une tournure désagréable.

Dire que Men est un film étrange est pour le moins insuffisant. C’est un film d’horreur qui fait penser à Antichrist de Lars Von Trier, certains aspects du cinéma de Nicolas Winding Refn et les premiers films, très organique, de David Cronenberg. On y rencontre L’homme Vert, sculpté dans les édifices sacrés, mais aussi en chair et en feuilles.

« L’Homme vert signifie l’irrésistible vie […] Il est une image issue des profondeurs de la préhistoire ; il apparaît et semble mourir puis, après un long temps d’oubli, il revint a plusieurs reprises au cours de ces derniers deux mille ans. De par ses origines, il est bien plus ancien que notre ère chrétienne. Sous toutes ses formes, il est une image de renouveau et de renaissance. » William Anderson

Men est un film qui jouit de nombreuses qualités : la photo est superbe, notamment durant les scènes de forêt et celle du tunnel ; l’interprétation de Jessie Buckley est assez épatante. Mais ce qui retient surtout l’attention, c’est le jusqu’au-boutisme du réalisateur, sa volonté de mettre mal à l’aise, de secouer, notamment lors de la dernière séquence, cauchemardesque, hallucinante et qui risque de laisser plus d’un spectateur sur le carreau. Ce jusqu’au-boutisme est contrebalancé par certains aspects « ludiques », un peu incongrus (je ne spoile pas). A priori, les ingrédients sont bons, puissants, sauf qu’à vouloir mettre mal à l’aise ses spectateurs tout en jouant avec eux, Alex Garland finit par brouiller le message (les messages ?) de son film (qui par bien des aspects reste obscur). Dommage qu’on ne comprenne pas trop où veut en venir le réalisateur, qui se permet une ou deux scènes qui devraient – cerise sur le gâteau – faire péter les plombs de n’importe quelle féministe, même modérée.

Techniquement impressionnant, écartelé entre deux registres antagonistes, Men semble au final terriblement vain. La scène du tunnel et la scène finale marquent durablement. Ça ne suffit malheureusement pas à faire un film réussi.

Excision, Richard Bates Jr (2012)

Pauline, 18 ans, vit dans une famille de la classe moyenne américaine. Un père un peu mou, une mère un peu trop croyante et collante, une jeune sœur mignonne comme un cœur, mais atteinte de la mucoviscidose. Fascinée par la chirurgie, Pauline vit dans une univers fantasmatique morbide où elle rêve de dissection, de nécrophilie, d’ingestion de sang, humain ou animal. Perturbée, à n’en point douter, ce que personne ne semble vraiment remarquer, comme si tous les signes, les messages qu’elle envoyait volontairement et involontairement se perdaient dans une sorte de no man’s land confortable du genre : « ne fais pas de vagues, jeune fille », « les adolescents, vous savez ce que c’est ».

Excision est le film le plus connu de Richard Bates Jr, c’est un long-métrage perturbant, choquant, sans doute un peu indéfendable, mais diablement intéressant. Il présente de nombreuses qualités, à commencer par l’interprétation assez bluffante d’AnnaLyne McCord dans le rôle de Pauline. Tracy Lords, totalement convaincante, joue la mère. John Waters, un pasteur totalement dépassé. Malcolm McDowell, un professeur de mathématiques un brin agacé. Le casting est chouette, vraiment. Certains aspects du film rappellent The Cell de Tarsem Singh (bon, pour certains ça ne sera pas un compliment), d’autres évoqueront les débuts de carrière de David Cronenberg. On pourrait trouver pires références.

La qualité principale du film, à mon sens, tient dans son glissement inéluctable vers l’horreur. On s’attache à Pauline, on a envie de défendre ses différences, mais plus le film avance, plus on comprend combien elle s’éloigne de l’humanité et de la réalité. Jusqu’au moment où ses actes deviennent totalement indéfendables.

Premier long-métrage de son réalisateur, Excision n’est pas exempt de défauts : on peut le trouver assez simpliste (j’menfoutiste) sur la détection et le traitement de la maladie mentale ; certaines scènes gore sont un peu forcées.

Richard Bates Jr a réalisé d’autres films, malheureusement introuvables en France : Suburban gothic, Trash fire, Tone-Deaf. Je regrette sincèrement de ne pas pouvoir y avoir accès, mais j’ai peut-être mal cherché.

Excision n’étant pas disponible en DVD ou Blu-Ray français ; je garde ma copie digitale VOSTFR avec conviction.

Córki Dancingu, Agnieszka Smoczynska (2015)

Sur une plage de Varsovie, deux sirènes sortent de l’onde pour atterrir dans un cabaret « pour vieux » où elles entament un numéro de chant, tout en essayant de contenir leurs appétits monstrueux.

Córki Dancingu (The Lure en anglais) est un étrange film polonais qui mêle horreur, comédie musicale et érotisme. Il contient son lot de scènes perturbantes, amplifiées par la nudité « zéro poil » des deux très jeunes actrices qui évoquent, par conséquent, des enfants sexualisés à outrance. Les morceaux musicaux n’ont pas la puissance de ceux du Rocky Horror Picture Show, mais « passent ». La dimension perturbante du film qui mêle nudité full frontale, mutilations diverses et variées, déviances sexuelles et une certaine poésie est de loin ce qu’il y a de plus réussi. Nombre de scènes de ce film entrent en écho avec les débats actuels sur la société patriarcale, la domination masculine, etc.

Je me demande (sincèrement) quels auraient été les commentaires sur ce film s’il avait été réalisé par un homme.

Je conseille.

The Perfection, Richard Shepard (2018)

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Pendant dix ans, Charlotte (Allison Williams, formidable), s’est occupée de sa mère mourante. Elle a laissé de côté sa carrière de violoncelliste, passant du statut de virtuose promise à une immense carrière internationale à celui d’amatrice douée. Confrontée à l’agonie, pendant des années, elle a perdu beaucoup de sa santé mentale et a besoin de se reconstruire. Enfin libérée par la mort de sa mère, elle se rend à Shanghai pour renouer avec ses professeurs de violoncelle de la Bachoff Academy. Les retrouvailles sont chaleureuses et elle se voit propulsée au rang de juré pour un concours de jeunes talents locaux. Tâche qu’elle partage avec une autre violoncelliste virtuose de la Bachoff Academy : Lizzie (Logan Browning, qui n’est jamais aussi bonne que quand elle devient absolument insupportable – notamment lors de la scène d’anthologie où elle tombe malade dans un bus de la Chine profonde). Les deux femmes sont ensuite invitées à jouer ensemble. Et malgré le trac, le manque de pratique, Charlotte s’en sort haut la main. Tout finit ensuite dans de beaux draps d’un hôtel de luxe où Charlotte et Lizzie s’envoient en l’air, boivent plus que de raison et décident de faire un voyage roots dans la Chine continentale. Un voyage à la dure qui va terriblement mal tourner.

J’ai abordé The Perfection sans savoir de quoi le film parlait et ma foi ça m’a plutôt bien réussi. Peut-être que si j’avais su qu’il y était question d’une épidémie de fièvre hémorragique en Chine, j’aurais repoussé à plus tard sa vision.

Faire un film (comme écrire un roman ou une novella) est un tour de prestidigitation ; il n’est pas important que ça soit réel, ou même réaliste ; par contre il est important que le tour ne s’effondre pas sous le poids d’une illusion trop gauche. The Perfection tourne autour d’une idée qui ne fonctionne pas, on peut la tourner dans tous les sens, ça ne marche pas, ça n’a guère de sens et pourtant l’illusion fonctionne jusqu’au bout, car l’attention du spectateur est sans cesse détournée sur autre chose. Les scènes de musique, par exemple sont formidables, alors que le violoncelle est loin d’être ma passion musicale première. L’interprétation d’Allison Williams est souvent étonnante, loin d’être « calibrée » comme on en a l’habitude dans le cinéma américain.

The Perfection ne fonctionne pas, ou du moins ne devrait pas fonctionner, et se casser en deux au terme de la scène-pivot du premier tiers (je ne spoile pas, volontairement), mais c’est un tour de prestidigitateur qui a fonctionné sur moi : j’ai pris un grand plaisir à aller jusqu’au bout et à accepter le jeu de manipulation du réalisateur, avec le sentiment de jouer avec lui et non qu’il se jouait de moi. Le film est suffisamment fort pour qu’il reste longtemps en tête.  Il m’a rappelé Excision de Richard Bates Jr (dont j’attends toujours une édition Blu-Ray correcte, qui comme d’habitude existe en Allemagne, mais sans sous-titres français ou même anglais).

 

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Lovely Molly, Eduardo Sánchez (2011)

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Molly (Gretchen Lodge), technicienne de surface dans un centre commercial, vient de se marier avec Tim (Johnny Lewis), routier absent cinq jours sur sept. Ils ont emménagé dans la grande maison familiale des parents de Molly, morts tous les deux. Molly a un passé tumultueux, elle n’a pas été épargnée par la vie, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce passé (hôpital psychiatrique, drogues dures), elle a essayé de l’oublier, elle n’arrive pas à en parler, même avec sa sœur, Hannah. Alors que Tim est absent, Molly commence à entendre des bruits dans la maison. Elle commence aussi à sombrer ; elle croit qu’il est revenu. Est-elle possédée par une force ancienne, est-elle tout simplement en train de se fissurer, vaincue par les fantômes de son passé, personne ne le sait.

Lovely Molly est le film d’horreur d’Eduardo Sánchez que Shaun Hamill avait conseillé aux lecteurs d’Albin Michel Imaginaire pour le dernier Halloween. C’est un film particulièrement éprouvant, au contenu « adulte », pour le moins. Si le scénario n’est pas très original, le film surprend à un autre niveau, notamment sa dimension sexuelle omniprésente, presque exacerbée. L’actrice Gretchen Lodge donne pour le moins de sa personne et montre toute l’étendue de son talent, tantôt séductrice, tantôt hilare, tantôt aux portes de la folie. Les rares scènes de violence sont extrêmement dures.

Moins original, moins abouti qu’It Follows de David Robert Mitchell, Lovely Molly marque par sa volonté de ne pas tout montrer, de laisser beaucoup d’éléments dans les zones d’ombre du récit. Imparfait, mais marquant.

 

Trick’r Treat, Michael Dougherty (2007)

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Halloween.

Dans une petite ville américaine, la fête va battre son plein. Des enfants cherchent des bonbons. Un homme veut montrer à son fils comment on sculpte un sale visage (sur une citrouille ? pas sûr). Des filles ont débarqué en ville, elles cherchent des hommes, des vrais ; pour l’une d’entre elles, un peu nerveuse, ce sera la première fois. Des enfants ont décidé de se rendre sur le lieu d’une terrible tragédie. Un vieil homme (Brian Cox), lié à la sus-dite tragédie, ignore que son heure est venue. Toutes ces histoires se mêlent, se superposent, divergent, racontent une soirée d’Halloween que vous n’oublierez jamais.

Dans une ambiance qui rappelle le Creepshow de George A. Romero (indisponble en blu-ray et franchement ça frise le scandale !), Trick’r treat de Michael Dougherty est un petit film d’horreur plein de vrais morceaux de comédie et plein de vrais grumeaux de sale esprit (qu’on croyait presque mort, Eli Roth mis à part). Sans parler des clins d’œil – très réussis – à certains classiques, comme le Halloween de John Carpenter.

Le film est un modèle de construction scénaristique, une diabolique mécanisme d’horlogerie qui vous incitera à le revoir pour identifier les « aiguillages » où se croisent puis divergent les différentes petites histoires qui le composent.

J’ai été agréablement surpris ; pour peu qu’on aime les films d’horreur on passe un super moment.

 

Grave / Denaeus – Richard Corben (Delirium)

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Après ma lecture du lovecraftien Ratgod, je continue mon exploration de l’oeuvre trop macho (?)  de Richard Corben avec ce gros volume publié par Delirium. Au sommaire des contes du cimetière (Grave) (ambiance Contes de la crypte) et une histoire « grecque » plus longue : Denaeus.

Pour tout dire, il m’aura fallu quelques jours pour venir à bout de l’album. Si les contes sont souvent bluffants d’un point de vue graphique, ils se révèlent vite assez répétitifs (mieux vaut picorer). Quant à Denaeus que j’ai lu en dernier, c’est (faute d’une meilleure définition) une espèce de salade mythologique grecque qui, une fois de plus, impressionne au niveau du graphisme, mais peine à convaincre au niveau du scénario, un tantinet en roue libre. D’ailleurs, la narration pêche un peu ça et là.

L’objet-livre est très réussi, mais certains choix de traduction m’ont laissé au mieux perplexe. Grave Denaeus n’est pas et de loin ce que Richard Corben a produit de meilleur, mais ses fans retrouveront son style inimitable, la puissance indéniable de son dessin. Ce volume me pousse d’ailleurs à acquérir d’autres titres de Corben. Pour ma part, son Grand Prix d’Angoulême est tout à fait mérité. Quant au côté « macho », il me semble toujours compliqué de déconnecter un acte créatif de l’époque qui l’a vu naître, c-à-dire par exemple juger le racisme de Lovecraft avec nos yeux du XXIe siècle connecté / mondialisé.

Les gros seins de Richard Corben (et ses giclures de sang / cervelle et autres tripailles) me vont très bien.

Pour finir, je laisserai le dernier mot à Moebius :

Richard « Mozart » Corben, s’est posé au milieu de nous comme un pic extraterrestre. Il trône depuis longtemps sur le champ mouvant et bariolé de la BD planétaire, comme la statue du commandeur, monolithe étrange, sublime visiteur, énigme solitaire.

GraveCorben

Grave (bien!)

grave-film-critique

Pour certains (je crains d’en faire partie), voir un film français se solde dans 99% des cas par une expérience douloureuse. Je ne goûte guère à la comédie hexagonale produite à la pelle, ni vraiment au polar hexagonal… à quelques exceptions près qui doivent tous avoisiner le demi-siècle d’existence, voire davantage. Quant aux drames français, oui, drame est bien le mot approprié. D’ailleurs, si on me demande quel est dernier film français que j’ai vraiment aimé, je risque de remonter à Trouble Every Day de Claire Denis, pas vraiment une nouveauté.

Après une série noire, Gods of Egypt (ridicule, baroque jusqu’à la nausée et même pas marrant), Blade Runner 2049 (trois tentatives, une semaine où j’ai beaucoup travaillé, il est vrai), perdu pour perdu, je me suis dit j’allais regarder Grave (Raw) que j’avais en blu-ray depuis parution.

Tout le monde connait l’histoire, je crois : une jeune étudiante végétarienne, ultra-douée, entre en première année d’école vétérinaire et est obligée lors du bizutage de manger un rein de lapin cru. Ce qui va éveiller en elle un appétit trop longtemps contenu.

Eh bien, je me suis régalé. C’est con, mais con : la scène de pisse, la scène d’épilation, le bras dans le cul de la vache. C’est un espèce d’imaginaire horrifique féminin que j’ai trouvé complètement rafraîchissant. Assez inédit à dire vrai. Laurent Lucas est excellent, comme souvent. La jeune Garance Marillier crève l’écran. Julia Ducournau fait parler les jeunes comme ils parlent vraiment. Il y a quelques scènes (de fête estudiantine, notamment) qui ont presque un caractère documentaire. Ça m’a un peu rappelé Excision de Richard Bates Jr.

J’attends maintenant le prochain film de Julia Ducournau avec impatience.

(La musique adoucit les morts ?)

A Cure for Wellness / A Cure for Life

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Un jeune col blanc de Wall Street (Dane DeHaan, parfait dans le rôle) est envoyé dans un sanatorium de Suisse pour récupérer M. Pembroke, le patron de sa firme qui doit signer d’importants papiers avant que l’action ne s’écroule définitivement. Dressé au sommet d’une colline, comme le château de Frankenstein, comme le château du comte Dracula, avec un village à ses pieds, le sanatorium est dirigé par le docteur Volmer (Jason Isaacs, fidèle à lui-même – donc impeccable d’une certaine façon). Alors que Pembroke n’est pas décidé à rentrer à New York, Lockhart (le jeune col blanc) découvre un endroit de plus en plus inquiétant. Un terrible accident de voiture, sur le chemin du village, l’oblige à rester malgré lui au sanatorium. Ce n’est pas très important, lui dit-on : personne n’a jamais voulu en partir. Car ici tout le monde est heureux.

A Cure for Wellness est une étrange salade composée de Frankenstein, du Cauchemar d’Innsmouth et de certains ressorts narratifs chers à l’écrivain Ira Levin. Le tout placé dans une Suisse ensoleillée où Rammstein entre en collision avec une médecine steampunk, très XIXe siècle parallèle. Rajoutez à cela une durée inconcevable de 2H26 et, a priori, vous avez tous les ingrédients pour un pot-pourri… plus pourri qu’autre chose. Eh ben, non, ce n’est pas si simple. D’abord A Cure for Wellness est un film d’horreur, un vrai, et donne parfois l’impression d’être le film d’horreur le plus cher de l’histoire du cinéma. Dire que les décors sont réussis est un euphémisme. Tout y est baroque, grandiloquent, mais aussi steampunkisant. Souvent étonnant, sur le simple plan esthétique (il y a des idées à la Terry Gilliam dedans, le Terry Gilliam de Brazil / L’Armée des douze singes). C’est aussi un film « pour adultes », avec des thèmes extrêmement ambigus voire perturbants : inceste, expérimentations scientifiques (avec d’inévitables réminiscences nazies), exploitation du mal-être. Et des scènes à l’avenant : masturbation, nudité (principalement de personnes âgées), menstrues et j’en passe (je ne veux pas spoilier les deux scènes à la limite du soutenable) . J’avoue que je ne m’y attendais pas, pas dans un film à quarante millions de dollars de budget. Effet de surprise garanti. La mise en scène est volontiers impressionnante – on pense au Shining de Kubrick, excusez du peu. Et le film est traversé par un humour tordu, érudit. Tout ça est plein de clins d’œil, de portes dérobées, de petits coups de coude littéraires dans les côtes, etc.

Le résultat final est certes trop long (2h26 ! Sérieux ?), mais la richesse de l’ensemble compense en grande partie sa longueur. Et si le réalisateur cède à certaines facilités (Jason Isaacs dans le rôle du « méchant » de service), il rend hommage à un cinéma américain « adulte » qu’on croyait perdu corps et âme. Et à un cinéma Hammer&co qui n’a jamais eu autant de moyens financiers.

Une dernière chose m’a frappé, les meilleurs films « lovecraftiens » sont presque toujours ceux qui abordent l’univers de Lovecraft d’une façon oblique ou détachée, comme L’antre de la folie de John Carpenter (un des rares scénarios du producteur Michael de Luca). Même s’il est situé en Suisse et ne contient aucun Grand Ancien (en dehors du Capital), A Cure for Wellness devrait plaire aux fans de Lovecraft.

Brimstone, Martin Koolhoven (2016)

Brimstone

Dans une petite communauté américaine, Liz (Dakota Fanning), muette mais pas sourde, officie en tant que sage-femme avec l’aide de sa fille. Elle est terrifiée par le révérend (Guy Pearce) ; à raison, ces deux-là ont un passé commun particulièrement tourmenté. Un jour, à la fin d’un office, Liz est confrontée à un accouchement qui se présente très mal. Et la voilà plongée très vite dans un terrible dilemme : elle doit choisir entre la mère et l’enfant. Une fois son choix fait, le pasteur se rapproche d’elle pour lui faire comprendre qu’elle s’est substituée à Dieu et qu’il y aura par conséquent un châtiment. Liz le sait depuis longtemps (depuis une époque où elle s’appellait Joanna)  : il y a des choses pires que la mort…

Sous des guenilles de western crépusculaire à la Unforgiven (qui date déjà de 25 ans), Brimstone est un film d’horreur, époustouflant, avec des scènes frontales d’une brutalité assumée (éviscération, mutilation, viol). Au delà de sa radicalité étouffante, presque mécanique, Brimstone est un film étrange ; je ne pense pas que son scénario (un poil too much), partiellement construit à rebours, fonctionne totalement… une fois les pièces du puzzle remises en place dans le bon ordre (il y a trop de coïncidences « malheureuses »), mais le tour de magie fait toutefois son effet, car le réalisateur/scénariste vous prend à la gorge tout de suite et ne desserre pas son effort pendant près de 2H30. Brimstone est une inexorable descente aux enfers, métaphorique en diable, à la fois viscérale et intellectuelle, via laquelle Martin Koolhoven explore inlassablement la nature du mal. Ici, c’est la concupiscence qui est au centre de l’intrigue, la concupiscence et l’inceste (justifié par un passage de la Bible, tant qu’à faire). Sur ce plan, Brimstone est terrible, obsessionnel, sans pitié aucune, c’est un couteau qui racle un os, encore et encore, tant qu’il reste de la chair dessus. Le réalisateur place sous une menace terrible, d’une injustice révoltante, pas moins de trois générations de femmes, de mère en mère en fille. La réussite de l’entreprise, son impact assuré, tient à Guy Pearce, qui incarne un des pires « méchants » de l’histoire du cinéma ; le fantastique n’est pas très loin. On peut voir en lui une imparfaite incarnation du diable, ce que semble nous souffler le titre original, Brimstone signifiant soufre.

Le feu, la boue, le sang, les viscères, les violences faites aux femmes sont les motifs récurrents de ce voyage au bout de l’enfer.