Polar, Jonas Åkerlund (2018)

Polar-NEtflix

//

Duncan Vizla est un tueur professionnel. Du genre à être payé un million de dollars par contrat. Il travaille pour Damoclès, une entreprise criminelle qui lui doit pas loin de huit millions de dollars de pension. Pour Duncan, l’heure de la retraite a sonné. Il a cinquante ans et chez Damoclès on part à la retraite à cinquante ans. C’est comme ça et la CGT n’a pas son mot à dire, pas plus que le MEDEF. Alors qu’il ne lui reste plus que quinze jours à tirer avant sa retraite effective, on lui demande de régler un dernier problème de cent trente kilos, viagra non compris : un tueur mexicain du nom de Pedro, qui a eu le bon goût de se planquer en Biélorussie. Avec l’aide d’une pute locale et de son gamin de huit ans environ, Duncan honore son contrat et s’aperçoit alors qu’il a été piégé.

Jonas Åkerlund est un réalisateur capable du pire et du encore plus pire que pire. C’est pas donné à tout le monde. Sa marque de fabrique : le mauvais goût totalement assumé. Du genre à filmer Johnny Knoxville avec une érection de vingt-trois centimètres, des filles réduites à leur popotin savamment écarté par la ficelle d’un string fluo ou à leur poitrine généreuse en pleine acrobatie aérienne. Outres les culs bombés et les nichons parfum quarante mégatonnes, il aime filmer le sang qui remonte dans l’aiguille juste avant un fix, les plaies ouvertes, les giclures de sang, les gens au crâne éclaté ou à l’œil arraché à la cuillère à pamplemousse. Généralement il filme ça – über-cool – comme un clip de gangsta rap faisant l’éloge du corps féminin ou une vidéo de Ramnstein sur l’éducation des petites filles. Blood, brains and boobs. On est très loin de Peter Greenaway ou de Stanley Kubrick. Même en étudiant sa filmo à la loupe ou à l’endoscope, il est vraiment très difficile de trouver un bon film. Jonas aime le poisseux, le visqueux et le répugnant ; ce qui peut vite devenir épuisant dans le cadre d’un long-métrage.

Mais bon, Jonas n’est pas infaillible, nul ne l’est à part mon maître à penser Laurent Wauquiez, et donner le rôle de Duncan Vizla à Mads Mikkelsen semble être, pour le moins, la meilleure idée de sa carrière (celle d’Åkerlund, pas celle de Wauquiez). Au programme : Duncan tue, Duncan bois, Duncan va aux putes, Duncan morfle, Duncan baise, Duncan loue un film, Duncan fait une bonne action, Duncan essaye de devenir humain, Duncan se fait trahir, Duncan morfle comme jamais, Duncan tue tout le monde. En résumé, Mads nous fait toute la palette, la totale. Avec le super bonus. La cerise sur le gâteau. Le cocktail au litchi en entrée et la gnôle avec la Viêt à poil fond du godet en digestif. Il y a plein de morts qui clignotent façon guirlande de bordel. C’est joli comme une ligne de coke sur le cul d’une black.

J’ai bien aimé. Ouais, vraiment. C’est un peu comme Sabotage de David Ayer : on sent que c’est foncièrement, irrémédiablement mauvais et en même temps c’est plutôt cool, ça glisse tout seul comme une bonne bière ambrée bien glacée.

Si vos enfants ont plus de dix-sept ans, n’hésitez pas à le regarder en famille, ils vont apprendre des trucs ; ça les changera de Squeezie et de La Casa de papel.

Starve, B. Wood, D. Zezelj, D. Stewart

starve

Le chef Gavin Cruikshank fut une star de l’émission de télé-réalité Starve. Après son coming out, sa séparation avec sa femme, il s’est exilé en Asie du sud-est. Mais son contrat l’oblige à revenir à New York, sinon il perdra tout ; l’occasion pour lui de tisser des liens avec sa fille de dix-sept ans, Angie, dont il ne s’est jamais vraiment occupé. Ensemble, ils vont participer à la nouvelle saison de Starve où tous les coups sont permis, y compris les coups de batte de baseball.

Difficile pour moi de passer à côté d’un album de Danijel Zezelj, dessinateur de BD né en Croatie, mais installé depuis longtemps (milieu des années 90, je crois) à New York. J’ai découvert Zezelj un jour, par hasard, dans une librairie de BD avec son album Tomsk-7, chez Mosquito, qui se trouvait en pile, parmi les coups de cœur du libraire. Et je suis immédiatement tombé sous le charme de son dessin (il y a malheureusement souvent beaucoup à redire des scénarios qu’il illustre ou signe).

Sur le plan du dessin, Starve ne fait pas partie des œuvres les plus marquantes de Zezelj, même si certaines pages sont magnifiques, mais si le soucis du détail sur certaines cases urbaines est bluffant. Ça reste du comics, probablement produit rapidement. Mais ça reste aussi du Zezelj ; on y retrouve sa capacité constante à réinventer la ville sur le plan graphique. Pour tout dire, j’ai beaucoup de mal avec la mise en couleurs de Dave Stewart, maronnasse et triste, qui écrase un tantinet le trait du Croate. Par contre, c’est plutôt intéressant sur le plan du scénario, la BD (en dix épisodes) ne va pas du tout là où on l’attend, et même si certaines péripéties sont difficiles à digérer (comme l’épisode du thon rouge), il y a plein de trouvailles très chouettes, comme l’installation de Cruikshank dans le désert culinaire de Brooklyn. Brian Wood nous dépeint un futur presque indifférenciable de notre présent, tout est dans ce « presque » : il a poussé les curseurs un petit cran au-dessus : pollution, inégalité, bouleversements climatiques. L’aéroport JFK est sous trente centimètres d’eau.

A mon avis, Starve n’est pas la BD avec laquelle il est souhaitable de découvrir l’art de Zezelj (j’aime beaucoup Industriel, oeuvre radicale qui a la particularité de ne contenir aucune bulle, aucun texte), mais ça reste une bande-dessinée d’anticipation sociale plutôt étonnante, avec de véritables points forts, mais aussi d’indéniables points faibles. Par moments, on pense à J.G. Ballard ou Jonathan Lethem.

 

Ginger Snaps Resurrection, Brett Sullivan (2004)

Ginger_snaps_2

Brigitte, contaminée par sa sœur Ginger, vit comme elle peut en se faisant des shoots d’aconit en intraveineuse. Elle voudrait se débarrasser de son virus lycanthrope, mais se retrouve juste capable d’en freiner les effets les plus voyants. Elle s’entaille les poignets régulièrement, car les processus biologiques de cicatrisation freinent sa transformation. Un soir, alors que le bibliothécaire du coin lui rend visite, ils sont attaqués par un loup-garou. Le corps du bibliothécaire disparaît et Brigitte, blessée, est internée dans un hôpital psychiatrique privé, à cause de ses auto-mutilations et de sa dépendance à l’aconit. Pour elle, le temps est compté. La bête se rapproche, tout comme sa transformation maintenant qu’elle est privée d’aconit.

Suite directe de Ginger Snaps, Ginger Snaps Résurrection change carrément de tonalité tout en restant dans le registre de la série B horrifique sympathique. Exit le portrait d’une adolescence qui s’ennuie, exit aussi le personnage hilarant de la maman des sœurs Brigitte et Ginger. Ginger Snaps Résurrection est globalement plus sombre, notamment par le biais de scènes sexuelles qui s’apparentent quasiment toutes à des viols. Les personnages secondaires sont assez intéressants comme Alice, qui gère l’hôpital psychiatrique, l’infirmier à gueule d’ange qui échange de la drogue contre des faveurs sexuelles ou Ghost qui veille sur sa grand-mère entièrement brûlée (ce pan du scénario ne tient aucunement la route quand on connaît l’étendue des soins que nécessitent les grand brûlés). Ce n’est jamais franchement mauvais, ce n’est jamais totalement convaincant (le nombre d’incohérences et d’idioties scénaristiques est assez élevé).

Mineur.  Mais somme toute assez plaisant si on arrive à débrancher son détecteur à conneries scénaristiques pendant 90 minutes.

(Jaquette française pour le moins mensongère, Katharine Isabelle (Ginger) n’apparaît que très brièvement dans le film, centré autour du personnage de Brigitte.)

Bad Blood, Jonathan Maberry / Tyler Crook

BadBlood

J’ai découvert l’illustrateur Tyler Crook avec la très bonne (bien qu’inégale) série southern gothic Harrow County publiée par Glénat Comics. Un peu en manque, j’ai hésité entre BPRD, la série spin off de Hellboy dont Crook a dessiné plusieurs arcs (mais je suis loin d’avoir déjà tout Hellboy), et ce stand-alone, Bad Blood en cinq épisodes. J’avoue que la présence de Jonathan Maberry au scénario n’était pas pour me rassurer. Pour avoir lu quelques uns de ses thrillers en VO, je sais qu’il officie plutôt dans la grosse série B qui tache – pas forcément ce qu’il y a de plus raccord avec le dessin très typé de Crook.

Bad Blood raconte le destin tragique de deux personnages : Trick Croft qui souffre d’un cancer du sang et Lolly, strip-teaseuse junkie longtemps abusée par son père qui rêve d’être transformée en vampire par un vampire. Après avoir involontairement empoisonné un seigneur aux dents longues via sa chimio, Trick découvre le monde de ténèbres qui l’attend derrière de grands rideaux de velours rouge.

Bon le scénario n’est pas très fin (il n’est pas non plus mauvais), la fin est expédiée et l’ensemble laisse un certain goût de déception. Il y avait matière à faire un ou deux épisodes de plus, au moins un autour du personnage de Jonas Vale. Maberry ne fait pas grand chose de nouveau avec ses vampires (il survole leur histoire plus vieille que l’humanité) et son « twist de la mort qui tue » est tellement attendu qu’il ne surprend guère (et pour tout arranger, il ne tient pas vraiment la route). La narration de Tyler Crook n’est pas exempte de défauts, certains enchaînements de cases sont mal fichus. Rien de dramatique, mais ça accroche parfois un peu, comme une mauvaise traduction.

L’ensemble reste sympa, mais sans plus.

Ratgod – Richard Corben

couv_ratgod

 » Arkham, Massachussets, dans les années 1920. Clark Elwood, professeur au sein de la célèbre université de Miskatonic, rencontre la belle Kito, qui va immédiatement le séduire.

Mais Kito est originaire d’un village reculé, dissimulé aux yeux des hommes et de la civilisation moderne dans les vastes forêts ancestrales du Massachusssets, où se pratiquent encore des rituels païens en hommage à de monstrueuses divinités oubliées… »

[En fait Kito parle Tlingit, donc elle est plutôt originaire du sud de l’Alaska. D’ailleurs, il est dit que son village de Lame Dog se trouve à « de nombreux jours de voyage, en voiture, d’Arkham ».]

Ratgod de Richard Corben (77 ans aujourd’hui, 1er novembre 2017) est un comics en cinq épisodes rendant ouvertement hommage à l’oeuvre de H.P. Lovecraft en général et au Cauchemar d’Innsmouth en particulier, mais comme Alan Moore ou Victor LaValle (auteur de The ballad de Black Tom – à paraître au Bélial’), Corben s’amuse du racisme de Lovecraft. Jusqu’à jouer avec la notion de métissage, poussant le bouchon très loin, comme le veut la tradition souvent perdue Heavy Metal / Métal Hurlant. Certains passages de cette BD rappellent Robert E. Howard davantage que Lovecraft, Clark Elwood est un personnage clairement howardien par certains aspects (pas tous).

Ratgod a un peu les mêmes qualités (graphiques) et les mêmes défauts (scénaristiques) qu’un Hellboy de Mike Mignola. En d’autres mots : le dessin est à tomber, mais le scénario est loin d’être exemplaire, avec manipulations scénaristiques un peu lourdingues (la taïga « préhistorique » de la première page), deus ex machina et cartouches explicatifs old school. La narration est parfois heurtée/chaotique (on a, à quelques endroits, l’impression qu’il manque une case de liaison dans l’art séquentiel de Corben qui ne l’a pas dessinée, sans doute car cette case « intermédiare » ne l’intéressait pas sur le plan graphique). Dans d’autres parties de la BD, pages 104 à 107 de l’édition française par exemple, le découpage est magistral.

Malgré ces petites réserves, j’ai beaucoup aimé.