Conan le Cimmérien – Chimères de fer dans la clarté lunaire | Virginie Augustin

Planche 6

Je n’ai pas encore lu tous les Conan de Glénat publiés sous la direction de Jean-David Morvan et Patrice Louinet. Le moins que je puisse dire c’est que certains m’ont énormément déçu et c’était souvent ceux dont l’histoire me semblait la plus prometteuse. Chimères de fer dans la clarté lunaire souffre d’être l’adaptation d’une histoire typique de Robert E. Howard, typique presque jusqu’à la caricature, mais Virginie Augustin réussit le tour de force d’en faire une excellente BD, avec très peu de dialogues, elle nous donne le point de vue d’une femme, Olivia, sur le personnage de Conan. Et étonnamment, via un sous-texte très habile, une façon crue et assez inattendue de mettre en scène les violences faites aux femmes, cette BD devient une sorte de commentaire sur le rôle des femmes dans les récits commerciaux des années 30, en particulier,, mais aussi en fantasy plus généralement.

De toute la série, c’est sans doute ma préférée, car Virginie Augustin ne tente pas de réinventer graphiquement Conan (comme s’y est risqué Emmanuel Civiello avec son Dieu dans le sarcophage), elle répond parfaitement à la construction mentale que je me fais du personnage : musclé, cheveux noirs longs et raides, yeux bleus. Conan est un idéal celte, il pose l’éternelle question de qui est le plus civilisé : l’homme soi-disant civilisé ou le barbare, qui est le plus noble, le moins vil, le plus franc. Le fer plie, l’acier casse ?

Les planches sont belles, la narration est extrêmement maîtrisée (j’ai juste tiqué sur un enchaînement de deux cases qui m’a semblé un peu confus ; l’effet désiré était sans doute un peu trop subtil pour moi).

Vraiment une très belle BD de Conan, une des plus respectueuse de l’œuvre de Robert E. Howard.

Elle plaira je crois autant aux lectrices de fantasy qu’aux lecteurs et c’est sans doute en cela qu’elle impressionne le plus.

PS : Dans les pages bonus il y a un Conan dessiné par Cromwell et putain de bordel de merde il envoie de l’acier trempé le bonhomme !

Le Monde sans fin | Jancovici/Blain.

🌪

Quand un illustrateur, Christophe Blain (Gus, Isaac le pirate) et un ingénieur spécialisé dans le changement climatique, Jean-Marc Jancovici (créateur du bilan carbone, excusez du peu) s’associent pour produire une épaisse BD (191 planches) sur l’impasse énergétique et le changement climatique, il y a de quoi être intéressé. Surtout quand ladite BD a un succès phénoménal (plus de 300 000 exemplaires vendus depuis le 18 octobre 2021).

L’objet-livre est imposant, lourd, et pour tout dire un peu tristoune. Bon, passons. L’essentiel est à l’intérieur. Avec humour, Christophe Blain met en images le constat totalement terrifiant que Jean-Marc Jancovici dresse de notre dépendance énergétique et de ses conséquences concrètes sur le climat. On va dans le mur et on y va en appuyant sur la pédale d’accélérateur à fond. Youpi !

C’est clair, argumenté, effrayant. Le raisonnement global est difficile à mettre en échec ; mais certains s’y essayeront, sans doute pour continuer à toucher leurs jetons de présence.

Problème : je me suis largement ennuyé. J’ai eu l’impression, à quelque détails près, de n’avoir rien appris de plus et juste répété tout le travail de recherches que j’avais fait pour mon recueil de nouvelles 7 secondes pour devenir un aigle… il y a presque dix ans maintenant. Le coût d’extraction du pétrole a augmenté de façon spectaculaire durant la dernière décennie ce qui, malheureusement, pousse les industriels à chercher l’or noir dans des endroits où avant on n’allait pas. Bon, j’ai déjà écrit là-dessus et il n’y avait pas besoin d’être devin pour analyser la trajectoire de la chute.

Ne vous méprenez pas, je pense que c’est une bonne BD, doublé d’un très bon projet de vulgarisation / pédagogique, mais à réserver à des lecteurs qui n’y connaissent pas grand chose.

Une fois cette BD refermée, le constat est doublement désespérant : 1/ ça fait maintenant quarante ans, voire plus, qu’on sait TOUT ça (le vocabulaire s’est affiné, les outils d’analyse se sont diversifiés et ont gagné en précision, mais la problématique de la pollution n’est pas nouvelle, loin de là, ni celle des énergies dites fossiles) ; 2/ depuis quarante ans nous n’avons fait AUCUN progrès, bien au contraire, et évidemment ce n’est pas en pissant sous la douche ou en échangeant nos ampoules par des LED que la situation va changer.

Face à des dirigeants qui sont dans le déni ou croient à une transition énergétique magique du type lapin blanc qui sort immaculé et bien nourri d’un chapeau noir charbon, le citoyen se trouve complètement abandonné ou presque.

La prochaine étape ? Ce sera celle des pénuries, des tempêtes et de la violence, c’est ma conviction, et j’espère de toutes mes forces avoir tort.

Comme dirait l’autre :  » a storm is coming « .

Wolcano, la sorcière du cul | Shyle Zalewski

(ça c’est de la couverture !)

Quatre hontes et un encensement (ça existe encensement ? Oui, bon, on s’en fout…)

Honte n°1

Je ne me souviens plus qui est la blogueuse ou le blogueur qui m’a donné envie de lire cette bédé (j’imagine que c’est une fille, mais bon je me trompe sans doute). Je note les références des bédés qui m’intéressent dans mon téléphone portable, mais c’est vrai que je ne commente jamais la liste. Donc un jour j’ai lu un truc sur cette bédé, je l’ai ajoutée à ma witch list et, des mois plus tard (faut pas déconner non plus), j’ai fini par la commander à mon libraire.

Honte n°2

Jusqu’à aujourd’hui je pensais que Shyle Zalewski était canadienne. Bon c’est bizarre comme cheminement intellectuel, mais BD indépendante rigolote avec de la fantasy, des sorcières et du cul, c’est devenue dans ma tête : « tiens ça doit être une canadienne de Vancouver qui a pondu ça ». Et donc le site Delcourt me met la honte pour au moins vingt-six minutes :

SHYLE ZALEWSKI est né en 1988 à Soissy. Shyle Zalewski est auteur de bande-dessinées, mais également musicien, compositeur et fondateur du label et maison d’édition Pantypop. Influencé par le côté D.I.Y. (Do It Yourself) de la culture punk, il bricole depuis la fin de l’université des objets, peintures, CD et bande-dessinées avec ses propres petites mains. Adepte du lo-fi pour la musique qu’il produit entre autres sous le nom Edam Edam ; et de l’auto-édition pour les livres, ses récits sont spontanés et adolescents, on y retrouve des histoires de dinosaures, de culottes « petit bateau » qui glissent aux chevilles, des anecdotes de robots ma foi fort sympathiques, d’apocalypse sentimentale, de milkshakes à la fraise et de fin du monde. Wolcano  est sa première BD d’autobio-fantasy, où Shyle narre métaphoriquement ses humeurs et ses aventures à travers cet avatar de sorcière. Shyle s’amuse à détourner gentiment les idées reçues sur le genre, le sexe, l’art, ou encore, tout simplement, le récit fantastique.

Franchement, quelle idée de naître à Soissy (je parie que vous savez même pas où ça se trouve).

Honte n°3 :

Je suis bien embêté pour vous parler de cette bédé, car il y a un truc, un twist, un mindfuck… appelez ça comme vous voulez. Delcourt l’évente dans sa présentation, mais moi je n’avais pas lu ladite présentation avant de lire la BD et mon esprit vierge (enfin, vous voyez ce que je veux dire) a clignoté quelques secondes quand j’ai compris de quoi parlait vraiment cet album. Il suffirait que j’utilise un seul mot et tout le sel du truc serait perdu ou presque, ça ne serait qu’une bédé rigolote de plus. Donc mon conseil : achetez-là en sachant que c’est alternatif et irrévérencieux, drôle et réussi, mais ne lisez aucun commentaire, aucune critique avant de commencer votre lecture.

Honte n°4 :

Je n’aime pas les bédés avec des couvertures souples. C’est sans doute du snobisme, une façon de dire : « moi j’ai un vrai travail, je peux me payer une baraque et pas un mobile home en carton mou ». C’est minable, voir indéfendable, mais c’est comme ça : je fuis comme la peste les BDs avec des couvertures souples. Là comme je l’avais commandée et que je ne savais pas à quoi ressemblait l’objet avant de le récupérer, ben voilà, j’ai dans ma collection une bédé à couverture souple que j’aime bien (en fait, j’en ai plusieurs, mais j’ai grave honte de l’avouer).

Un encensement :

Wolcano, la sorcière du cul c’est très chouette, c’est plus fin que ce que le titre laisse supposer, c’est un album qui donne la pêche et je vais désormais suivre la carrière de Shyle Zalewski avec attention.

Un peu de musique pour conclure (tu ne m’avais pas préparé à ça, vieux coq espagnol) :

Femme sauvage, Tom Tirabosco (Futuropolis)

Couverture (détail)

Le monde tel que nous l’avons connu a pris fin. La société nord-américaine s’est effondrée, victime du capitalisme.

« J’ai toujours pensé que les humains étaient une espèce toxique.
Des super prédateurs.
Les humains, à part tout bousiller et rendre ce monde plus laid, je ne sais pas à quoi ils servent…
Celui qui nous a inventés, il aurait pas dû, car au final, il faut bien reconnaître qu’on est juste des gros cons…
Les gros cons de la création. » 4e de couverture.

Une jeune femme (activiste d’Extinction Rébellion) prend la route vers le nord, vers le Yukon où elle veut rejoindre un groupe de rebels. Son odyssée va la mener à faire une autre rencontre.

[Attention critique avec spoilers]

Femme sauvage de Tom Tirabosco est une belle BD noir&blanc publiée en 2019 par Futuropolis. Sur le plan politique, elle ne convaincra que les convaincus de l’équation capitalisme+patriarcat=fin de l’humanité (c’est sa principale faiblesse, à mon humble avis). Le propos est naïf, même si le texte est farci de nombreuses citations de Henry David Thoreau, mort de la tuberculose à 44 ans, faut-il le rappeler. Mais bon cette naïveté, ce concentré d’idéaux est totalement raccord avec le projet, donc difficilement attaquable, tout ça a l’air produit par une saine colère et une formidable sincérité. Là où Tirabosco surprend d’avantage c’est dans son scénario qui au final mêle naturalisme et imaginaire. Il nous montre deux femmes sauvages : l’héroïne (autrefois urbaine) et l’amérindienne géante qu’elle va rencontrer dans les bois. La rebelle des villes et la chamane des bois. Cette autochtone avec ses gros seins qui pendent, son surpoids et sa force de colosse évoque à la fois la vénus de Willendorf et une déesse de la fertilité. La rencontre des deux femmes, ce qui les rassemble est assez émouvant, tout comme ce qui les sépare d’ailleurs. Leur destin final est plus symbolique, foudroiement technologique pour l’une et engloutissement naturel pour l’autre.

Car il y a beaucoup de symboles dans cet ouvrage, les événements ont presque tous un sens, ils mènent quelque part, ils servent le discours, il rappellent les idéaux, aiguillonnent la réflexion. Évidemment cela renforce l’aspect naïf de l’ensemble (on a presque envie de dire programmatique – alors qu’en fiction l’adjectif a quand même tout d’un gros mot).

Très honnêtement, car des ouvrages post-apocalyptiques j’en ai lus des dizaines dans ma vie, ce que j’ai le plus aimé ici, c’est le dessin, il est souvent très inspiré. Certaines visions sont magnifiques. Comme dans la vraie vie, le vulgaire et le sublime se côtoient.

« Nous sommes capables de faire des choses merveilleuses, nous sommes capables de faire des choses terribles », disait Sam J. Miller au sujet des personnages de son roman La Cité de l’orque.

C’est le nœud du problème, rien n’est tout noir, rien n’est tout blanc.

Femme sauvage est un album vraiment intéressant ; je ne regrette pas de l’avoir acheté et lu. Par contre, je regrette que le dessinateur ne se soit pas associé à un scénariste plus ambigu.

Idées Noires, Franquin (l’intégrale complète)

Idées noires - BD, informations, cotes

Les éditions Fluide glacial ont eu la bonne idée de publier en un volume unique toutes les Idées noires de Franquin (16,90€). Ce sont des gags d’une page, en N&B, l’équivalent BD de nouvelles à chute fredricbrownienne, où le dessinateur belge André Franquin s’en prend à ses têtes de turc préférées : les chasseurs, les militaires et les cadres supérieurs dans le vent, mais guère décoiffés. Il se moque même du macronisme (si si !) bien des années avant la naissance politique de sa majesté Emmanuel Macron Premier (et espérons dernier). Vous trouverez sans mal la page Retour vers le futur macroniste ; pas sûr qu’elle vous fasse rire. Mais j’ai trouvé que tout y était… en quelques cases.

Pour Chris Marker, L’humour est la politesse du désespoir. Quel homme poli ce Franquin !

Géante, Núria Tamarit (dessins) Jean-Christophe Deveney (scénario)

Géante de Jean-Christophe Deveney, Nuria Tamarit - BDfugue.com

Un jour un bucheron trouve un bébé dans un des plis de la montagne où il travaille et vit avec sa femme et leurs six fils. Le bébé est de sexe féminin. Considéré comme un don du ciel, il reçoit le prénom de Céleste. Céleste grandit peu à peu au milieu de ses six frères pour atteindre la peu pratique taille de 20 mètres. Elle a envie de découvrir le monde, elle a envie de connaissance, et va vite se rendre compte qu’il n’est pas si facile d’être une géante parmi les hommes, souvent pleins de préjugés.

Cette bédé qui rappelle par bien des aspects Peau d’homme, est une jolie surprise, qui sous la forme d’un généreux conte de fées brasse bien des sujets : la différence, bien évidemment, l’importance du savoir, les rapports homme-femme, l’envie de maternité et la malédiction que peut représenter la stérilité. Sur le plan scénaristique c’est un peu plus fouillis que Peau d’homme, moins tenu (les sujets abordés sont aussi plus nombreux, il convient de le préciser), mais ça reste une lecture agréable et qui n’a de cesse de surprendre. Le dessin, très typé, de la dessinatrice espagnole Núria Tamarit, est tout à fait adapté à l’histoire qui nous est proposée.

Décidément une jolie surprise.

L’objet-livre est superbe (quoi qu’un peu cher) et peut donc se transformer en un très beau cadeau.

Algues vertes – L’histoire interdite | Inès Léraud & Pierre Van Hove

Prix éthique Anticor 2021 – Prix de la BD bretonne 2020 – Prix du journalisme 2020 – Prix des mémoires de la mer 2020 – Prix de la BD sociale et historique 2020

[3615 My Life]

Pendant ces dernières vacances, j’ai fait un gros craquage BD, une grosse dizaine d’albums que j’avais repérés tout au long de l’année, principalement de la science-fiction et de la fantasy. Des trucs récents, des choses plus anciennes. Parmi tous ces albums, il y a résolument un intrus, une singularité : Algues vertes – l’histoire interdite.

[/3615 My Life]

Je pense que c’est la première fois que je me lance dans un reportage BD de 160 pages. J’avoue qu’avant de commencer ma lecture j’étais très dubitatif. Si je veux lire quelque chose sur l’écologie (histoire de bien me foutre en l’air le moral), d’habitude je prends un bouquin sérieux écrit par un ou des scientifiques sérieux. Bon là, l’approche est résolument différente : ludique mais sérieuse, caustique mais sérieuse.

Cette bande-dessinée très précise, très bien chapitrée, est une tuerie. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec le film Spotlight même si les sujets n’ont absolument rien en commun. Au-delà du problème connu des algues vertes qui s’amassent sur les plages bretonnes par tonnes, voire dizaines de tonnes, et causent la mort de chiens, chevaux, sangliers et même joggers en pourrissant et en dégazant leur H2S, Inès Leraud démonte tous les mécanisme qui sont à l’origine du phénomène, elle remonte dans le temps avant d’explorer les liens sulfureux qui unissent les mondes politique et agroalimentaire.

L’enquête semble très rigoureuse (tous un tas de document est disponible en annexe), la scénariste œuvre avec détermination, certes, mais une très grande prudence, ne rajoutant aucun effet dramatique. Comme dirait le FBI : les faits, juste les faits. Et ces faits suffisent largement à vous faire froid dans le dos.

Cela ressemble à une grande enquête du Canard Enchaîné méticuleusement transformée en BD ; c’est très réussi. C’est aussi désespérant, puisque la conclusion c’est qu’au lieu de s’attaquer à la maladie on ne soigne que son symptôme le plus visible en jetant à la déchetterie chaque année des mètres-cubes et des mètres-cubes d’algues vertes ramassées au bulldozer.

Jolies ténèbres, Kerascoët | Vehlmann

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Dans une forêt, le corps d’une petite fille pourrit. Elle a été visiblement assassinée. Autour de ce corps vivent des esprits, de minuscules fantômes, des lutins, des bestioles diverses et variées qui se nouent et se dénouent dans mille aventures souvent cruelles et qui semblent bien peu connectées. Quelle est l’histoire de ce corps ? Quel rôle y joue l’homme seul qui vit dans une cabane non loin ?

Jolies ténèbres est une de mes bande-dessinées préférées. A chaque lecture, il me semble découvrir quelque chose de nouveau, une passerelle que je n’avais pas vue, un clin d’œil qui m’avait échappé, une parabole qui m’était passé au-dessus de la tête. C’est un conte, un vrai : noir, cruel, perturbant, qui renoue avec les racines profondes du conte européen. On pense aux frères Grimm évidemment, aux sanglantes premières versions du Petit chaperon rouge, aux choquantes histoires d’inceste et d’amours contre-natures comme Peau d’âne.

C’est une œuvre d’une grande originalité, d’une grande beauté graphique, dont l’imaginaire ressemble un peu à la collision frontale du Tim Burton qu’on aime (Beetlejuice ! Beetlejuice ! Beetlejuice !) et d’Hayao Miyazaki.

Si Kerascoët et Fabien Vehlmann n’ont sans doute pas inventé l’horreur kawai, ils ne sont pas non plus très loin du compte.

A découvrir de toute urgence, si vous ne connaissez pas !

Peau d’homme, Hubert & Zanzim (Glénat)

🎭

(3615 my life : Je profite des vacances d’été pour lire enfin quelques unes des bédés que j’ai accumulées ces derniers mois, cadeaux ou achats. Celle-là, bien qu’elle soit publiée par mon éditeur, Glénat, je l’ai payée avec mes sous.)

L’histoire ? Tout le monde la connaît, non ?

Dans l’Italie de la Renaissance (ou un fantasme de l’Italie de la Renaissance, peu importe), la jeune Bianca doit se marier avec Giovanni. Dans sa famille, on possède un secret bien gardé, une peau d’homme. Bianca s’en sert pour devenir le jeune Lorenzo, et s’en va découvrir le monde des hommes. Ce qu’elle découvre la choque : tout ce mépris pour les femmes, toutes ces infidélités qui ne sont tolérées que dans un seul sens.

Alors que le frère de Bianca, fou de Dieu consumé par son désir pour les corps féminin, n’a de cesse de gagner en puissance au conseil de la cité, la jeune femme entame une relation homosexuelle avec Giovanni sous la peau de Lorenzo et s’aperçoit bien vite que son futur mari n’aime que les hommes, et surtout qu’il n’aime que Lorenzo. Catastrophe !

Voilà un mariage qui s’annonce mal.

Sans grand suspense, j’ai beaucoup aimé cette bande-dessinée, ce conte qui parle de notre époque en faisant semblant de parler de la Renaissance. Il y est beaucoup question de sexe, sexualité, genre, pratiques sexuelles et j’ai été assez surpris d’y voir des sexes en érection, des scènes d’amour homosexuelles et même une scène de massage prostatique. A toute cette joie, ces plaisirs de la chair décomplexés, le scénariste oppose l’ignominie de la nuit de noce avec le drap taché de sang exposé au balcon. Il oppose une sexualité imposée, cadrée, notamment par les us et l’Église à une sexualité nettement moins hypocrite et beaucoup plus épanouissante.

Quelques anachronismes mineurs n’émoussent en rien la portée universelle du conte. Et ma foi Peau d’homme me semble presque d’utilité publique, à partir de 13 ans. Toute une partie de l’ouvrage m’a semblé rendre hommage au Moine de Matthew Gregory Lewis, mais j’ai sûrement surinterprété.

The Boys, Eric Kripke (Amazon)

Alors qu’il se trouve dans la rue à discuter avec sa petite amie, Hughie Campbell (Jack Quaid) est témoin de l’explosion d’icelle. Recouvert de sang et de débris humains, il met un certain temps à réaliser qu’elle a été heurtée de plein fouet par l’homme le plus rapide du monde, le super-héros A-train (Jessie T. Usher). A-train fait partie des Sept, avec The Deep (l’homme-poisson en VF, alors qu’il était super drôle de le nommer Le Profond), Princesse Maeve, l’énigmatique Black Noir, Translucide, Homelander et la nouvelle recrue Starlight (Stella en VF). Suite à ce décès, Hughie fait la rencontre d’un agent du FBI William Butcher (Karl Urban) qui étrangement possède un fort accent anglais. Hughie va vite comprendre que Butcher est en guerre contre les super-héros et notamment contre le plus puissant d’entre eux, Homelander (Anthony Starr, tour à tour hilarant et terrifiant, ce qui n’est pas le moindre des tours de force de cette série).

J’AI ADORÉ.

(Et j’ai presque envie d’en rester là au niveau des commentaires, tant la découverte de la série et de ses audaces fait partie du plaisir.)

The Boys est l’adaptation d’un comics de Garth Ennis et Darick Robertson que je n’ai jamais réussi à lire tant le dessin me rebutait. C’est une sorte de travail de démolition des super-héros comparable à celui que fut Watchmen (le comics d’Alan Moore) en son temps. Dans The Boys on retrouve le monde d’aujourd’hui : réseaux sociaux, marketing à outrance, hypocrisie et cynisme politiques, novlangue de communication, etc, plus des super-héros. Alors que la série est volontairement trash (du sang et du cul à presque tous les étages), elle est aussi étonnamment profonde avec des personnages complexes, des scènes extrêmement fortes sur le plan moral, comme le discours de Stella/Starlight ou la scène de la prise d’otages dans l’avion.

Les acteurs sont globalement au top, notamment Karl Urban et Anthony Starr. Ceux qui ont les rôles les plus ingrats sont pas mal non plus comme The Deep (Chace Crawford). Évidemment comme il y a plein de personnages, on est très vite tenté d’avoir ses préférés ; celui de Princesse Maeve, souvent « dessiné en creux », est attachant.

La série est très plaisante, avec d’improbables moments de montagnes russes où l’on passe de l’hilarité à l’inquiétude, sans transition d’une scène à l’autre. Arrivé au dernier épisode qui est particulièrement réussi, on n’a qu’une envie : enfiler sa cape, ses gants et foncer tête la première dans la saison 2.

(Il y a quelque chose de profondément ironique à ce que ce soit « le grand méchant » Amazon qui produise et diffuse cette série.)