
Futur inaccessible (il n’aura jamais lieu).
Les guerres appartiennent au passé. Les maladies appartiennent au passé. Même les guerres corporatistes appartiennent au passé. Divisé en corporations qui ont remplacé les tribus et les pays, le monde vibre à l’unisson devant un jeu du cirque moderne, le Rollerball. Une piste circulaire, deux équipes, trois motos et une dizaines de joueurs en patins à roulettes par équipe, un point de marque et une balle en acier qui est tirée dans un rail le long de la piste circulaire à 200km/h, juste ce qu’il faut pour vous arracher le bras ou faire exploser une moto.
Jonathan E. de Houston, de la corporation Énergie, est le maître incontesté du Rollerball, il forme une équipe d’enfer avec Moonpie. La corporation Énergie fournit tout à Jonathan : un ranch où il se sent très bien, de jolies partenaires sexuelles dont il s’ennuie assez vite, des drogues. Et puis à la veille de la demi-finale contre Tokyo on lui demande de prendre sa retraite au cours d’une émission diffusée en mondiovision. Mais Jonathan adore le Rollerball et il n’est pas enclin à s’arrêter, surtout pas avant d’arriver en finale. La corporation essaye tout pour y parvenir et, de guerre lasse, change les règles du Rollerball espérant que Jonathan reste sur le carreau… comme tant d’autres.
1973 (dans notre passé cristallisé) : Les journaux français titrent » Tout va être plus cher : la totalité de notre économie est touchée par la hausse du pétrole », c’est le premier choc pétrolier et, pour certains, certains seulement, il met fin à l’illusion d’une énergie illimitée et bon marché. D’une certaine façon, Rollerball a été accouché par ce premier choc pétrolier. Nous est montré une société de castes où les grands problèmes de 1973 (le pétrole cher, la guerre froide et ses menaces nucléaires) ont été réglés définitivement. Il y a d’un côté les travailleurs qui jouissent du confort moderne et de leur divertissement préféré, extrêmement brutal (quand le film commence le record de morts durant une seule partie est de neuf), et de l’autre les cadres qui ont non seulement un confort plus grand encore, mais les plus belles femmes, les plus belles maisons, mais aussi tiennent le monde (dans un poing) grâce au Rollerball dont ils raffolent bien évidemment.
Le film qui est excellent de bout en bout (mais évidemment très daté sur le plan esthétique) est porté par James Caan (qui nous a quittés mercredi 6 juillet 2022). Jonathan E. est un personnage pas très malin, obtus et volontiers brutal, pas forcement un brelan de qualités qu’on associe d’habitude au héros américain. C’est néanmoins un personnage attachant, car il refuse de se faire broyer par le système, car le spectateur n’est pas dupe : Jonathan E. est un prisonnier, voire un esclave puisque rien ne semble lui appartenir alors que lui appartient à une puissante corporation. C’est évidemment un Spartacus des temps futurs, à la différence qu’il ne ne va pas mener une révolte, mais juste dire « non » à titre individuel.
Après Squid Game la violence dans Rollerball semble presque anodine, pourtant je me souviens de l’impact qu’elle avait eu en France quand le film est passé pour la première fois à la télévision ; le lendemain, on ne parlait que de ça à mon école. Le monde se divisait alors en deux catégories : ceux avaient pu le voir et ceux qui n’avaient pas pu le voir. Ce n’est pas la violence du spectacle qui distingue Rollerball des autres films du même genre, mais bien le personnage de Jonathan E., à qui le confort ne suffit pas, mais qui va jouer sa rébellion dans les règles de ses oppresseurs, jusqu’au bout. Philosophiquement, il tient davantage du personnage de samouraï sur la voie du Bushido que du palimpseste de cow-boy texan.
Rollerball fait réfléchir et montre à quel point une société où les inégalités progressent (comme la nôtre) est une bombe à retardement. On peut décorréler lutte contre le réchauffement climatique et lutte contre les inégalités, la preuve nos hommes politiques font ça toute l’année (et pas seulement en France), et pourtant ces deux problèmes ne m’ont jamais semblé aussi liés.
‘Freedom is obedience, obedience is work, work is life’
Cette citation est tirée du très mauvais film australien Les Traqués de l’an 2000, Turkey shoot, 1982 qui n’aurait sans doute jamais vu le jour sans Rollerball. Comme d’habitude, préférez l’original (plus subtil) à la copie.