Chapelwaite, Jason & Peter Filardi (série TV)


Années 1850.

Le capitaine Boone (Adrien Brody) vient de perdre sa femme (d’origine asiatique) et se retrouve seul avec ses trois enfants. La grande, Honor, en âge de se marier ou presque, la cadette Loa qui a souffert de la maladie et porte une attelle à la jambe, Tane le petit dernier. Boone vient d’hériter d’une scierie dans le Maine et du domaine de Chapelwaite. Arrivé sur place, il se rend compte que le nom des Bonne n’est pas facile à porter, la famille a très mauvaise réputation, certains lui attribuent la maladie étrange qui a emporté plusieurs villageois. Le retour sur la terre ferme est rude, d’autant plus que les enfants, métis, sont victimes d’acte de racisme. En quête d’une gouvernante, Charles Boone finit par embaucher Rebecca Morgan, une jeune femme célibataire qui se destine à devenir écrivain et a vendu l’histoire des Boone à une publication prestigieuse (ce qu’elle se garde bien de dire).

Il y a un secret à Chapelwaite ; Charles Boone a lui aussi un secret, il se souvient de cette nuit lointaine, il était enfant, où son père a essayé de le tuer.

Chapelwaite est l’adaptation de la nouvelle « Celui qui garde le ver » de Stephen King qu’on trouvera dans le recueil Danse macabre. C’est, et de loin, un des texte les plus faibles du recueil, une sorte d’hommage Lovecraftien bancal écrit à une époque où Stephen King faisait encore ses gammes. Il y est question d’un ouvrage : De Vermis Mysteriis, ou les Mystères du Ver, qui a été inventé par l’écrivain Robert Bloch dans la nouvelle « Le Tueur stellaire » (1935). Petit frère moins connu du Necronomicon, De Vermis Mysteriis est censé avoir été écrit en prison par un certain Ludving Prinn, brûlé vif à Bruxelles par l’Inquisition au XVe siècle ou XVIe siècle ; d’après ses propres dires, Prinn était un survivant de la neuvième croisade (1271-1272).

Une nouvelle d’une trentaine de pages, pas très bonne, voilà donc le matérieu source de la série… autant dire que j’ai abordé celle-ci avec une très grande suspicion quant à sa qualité. Mais très vite cette suspicion a volé en éclats. Les acteurs sont excellents (y compris les enfants ! et en particulier Sirena Gulamgaus). La série est très éloignée de la nouvelle, dont elle s’inspire librement, et ne nous épargne rien des maux de l’époque : racisme, puritanisme exacerbé, superstitions, médecine mise en échec par la maladie, etc. C’est tendu dès le premier épisode et la tension ne retombera jamais vraiment. Si les showrunners se sont amusés avec tous les codes du genre horrifique, on retrouve aussi dans cette série certains mécanismes narratifs qui rappellent Simeterierre et d’autres œuvres de Stephen King postérieures à la nouvelle « Celui qui garde le ver ».

Au final, Chapelwaite est une très bonne série d’horreur, mais je finirai sur une mise en garde, c’est une œuvre d’une noirceur suffocante. J’ai été à plusieurs reprises surpris par la violence (surtout psychologique) de certaines scènes (et il y a aussi de nombreuses scènes de violence physique). Ici il n’y a pas d’humour pour contrebalancer la tragédie et les épreuves que traverse la famille Boone.

Il n’y a pas ou peu d’espoir.

Dans la tête de Sherlock Holmes | Cyril Lieron & Benoît Dahan


Londres.

3h12 du matin.

Un médecin à l’épaule démise court dans la rue. Il sera vite sifflé par un bobby. Il porte une pantoufle d’homme et une pantoufle de femme.

Visiblement désorienté, il a échappé de peu à un destin funeste et a besoin de Sherlock Holmes pour comprendre ce qui lui est arrivé, car il a perdu la mémoire après s’être rendu à un spectacle exotique.

L’affaire se corse quand le cadavre d’une vendeuse de chapeaux et accessoires est retrouvé dans le Limehouse Basin. Comme le médecin hébétée, elle a assisté au même spectacle exotique. Et comme il se doit, c’est à elle qu’appartient la pantoufle suscitée.

Il y a bien longtemps qu’une série de BDs (ici un diptyque) ne m’avait procuré autant de plaisir. Lieron & Dahan impressionnent par leur respect de l’œuvre d’Arthur Conan Doyle, par le scénario qui, sur le fond comme sur la forme, est impeccable, par le découpage des planches qui invite au jeu de pistes. Car souvent ce sont à de vrais puzzles que le lecteur est confronté.

Franchement, je ne vois rien à redire, c’est du magnifique boulot. Toutes mes félicitations.

On notera aussi que les objets livres sont incroyables en terme de fabrication (couverture découpée, énigme résolue par transparence, etc.)

(La critique est courte car, de mon point de vue, il n’y a rien à critiquer.)

Des bêtes fabuleuses, Priya Sharma (UHL HS-2022)


Eliza est herpétologiste, c’est à dire qu’elle est une spécialiste des serpents, qu’elle manipule avec une facilité déconcertante, surnaturelle diront certains. Elle vit en couple avec Georgia, une photographe réputée. L’une est laide, l’autre est belle.

Eliza, bien qu’élève douée, n’a pas eu la vie facile. Si elle ferme les yeux et pense à son enfance, elle se souvient qu’à l’époque ses petits camarades se moquaient de sa laideur. Que sa mère Kath n’était pas la plus affectueuse au monde et que son oncle Kenny avait été condamné à dix-huit de prison pour meurtre et vol.

Eliza a ses secrets… Ils sont sombres, nombreux, perturbants.

Heureusement, elle peut compter sur le réconfort des serpents.

« Des bêtes fabuleuses » est une fabuleuse nouvelle d’horreur, fabuleusement illustrée par Anouck Faure, fabuleusement traduite en français par Anne-Sylvie Homassel qui continue à impressionner, surtout dans ce registre. C’est une nouvelle, d’une cinquantaine de pages, qui m’a rappelé les textes les plus vénéneux de Lucius Shepard, mais avec une approche beaucoup plus féminine et sans doute moins baroque, en tout cas sur le plan stylistique. C’est un texte facile à lire, qui glisse tout seul, mais perturbant… qui hante longtemps.

Cette nouvelle se trouve au sommaire du HS 2022 de la collection Une Heure Lumière du Bélial’ (vous trouverez la démarche à suivre pour en faire l’acquisition sur le site de l’éditeur).

Rollerball, Norman Jewison (1975)


Futur inaccessible (il n’aura jamais lieu).

Les guerres appartiennent au passé. Les maladies appartiennent au passé. Même les guerres corporatistes appartiennent au passé. Divisé en corporations qui ont remplacé les tribus et les pays, le monde vibre à l’unisson devant un jeu du cirque moderne, le Rollerball. Une piste circulaire, deux équipes, trois motos et une dizaines de joueurs en patins à roulettes par équipe, un point de marque et une balle en acier qui est tirée dans un rail le long de la piste circulaire à 200km/h, juste ce qu’il faut pour vous arracher le bras ou faire exploser une moto.

Jonathan E. de Houston, de la corporation Énergie, est le maître incontesté du Rollerball, il forme une équipe d’enfer avec Moonpie. La corporation Énergie fournit tout à Jonathan : un ranch où il se sent très bien, de jolies partenaires sexuelles dont il s’ennuie assez vite, des drogues. Et puis à la veille de la demi-finale contre Tokyo on lui demande de prendre sa retraite au cours d’une émission diffusée en mondiovision. Mais Jonathan adore le Rollerball et il n’est pas enclin à s’arrêter, surtout pas avant d’arriver en finale. La corporation essaye tout pour y parvenir et, de guerre lasse, change les règles du Rollerball espérant que Jonathan reste sur le carreau… comme tant d’autres.

1973 (dans notre passé cristallisé) : Les journaux français titrent  » Tout va être plus cher : la totalité de notre économie est touchée par la hausse du pétrole », c’est le premier choc pétrolier et, pour certains, certains seulement, il met fin à l’illusion d’une énergie illimitée et bon marché. D’une certaine façon, Rollerball a été accouché par ce premier choc pétrolier. Nous est montré une société de castes où les grands problèmes de 1973 (le pétrole cher, la guerre froide et ses menaces nucléaires) ont été réglés définitivement. Il y a d’un côté les travailleurs qui jouissent du confort moderne et de leur divertissement préféré, extrêmement brutal (quand le film commence le record de morts durant une seule partie est de neuf), et de l’autre les cadres qui ont non seulement un confort plus grand encore, mais les plus belles femmes, les plus belles maisons, mais aussi tiennent le monde (dans un poing) grâce au Rollerball dont ils raffolent bien évidemment.

Le film qui est excellent de bout en bout (mais évidemment très daté sur le plan esthétique) est porté par James Caan (qui nous a quittés mercredi 6 juillet 2022). Jonathan E. est un personnage pas très malin, obtus et volontiers brutal, pas forcement un brelan de qualités qu’on associe d’habitude au héros américain. C’est néanmoins un personnage attachant, car il refuse de se faire broyer par le système, car le spectateur n’est pas dupe : Jonathan E. est un prisonnier, voire un esclave puisque rien ne semble lui appartenir alors que lui appartient à une puissante corporation. C’est évidemment un Spartacus des temps futurs, à la différence qu’il ne ne va pas mener une révolte, mais juste dire « non » à titre individuel.

Après Squid Game la violence dans Rollerball semble presque anodine, pourtant je me souviens de l’impact qu’elle avait eu en France quand le film est passé pour la première fois à la télévision ; le lendemain, on ne parlait que de ça à mon école. Le monde se divisait alors en deux catégories : ceux avaient pu le voir et ceux qui n’avaient pas pu le voir. Ce n’est pas la violence du spectacle qui distingue Rollerball des autres films du même genre, mais bien le personnage de Jonathan E., à qui le confort ne suffit pas, mais qui va jouer sa rébellion dans les règles de ses oppresseurs, jusqu’au bout. Philosophiquement, il tient davantage du personnage de samouraï sur la voie du Bushido que du palimpseste de cow-boy texan.

Rollerball fait réfléchir et montre à quel point une société où les inégalités progressent (comme la nôtre) est une bombe à retardement. On peut décorréler lutte contre le réchauffement climatique et lutte contre les inégalités, la preuve nos hommes politiques font ça toute l’année (et pas seulement en France), et pourtant ces deux problèmes ne m’ont jamais semblé aussi liés.

‘Freedom is obedience, obedience is work, work is life’

Cette citation est tirée du très mauvais film australien Les Traqués de l’an 2000, Turkey shoot, 1982 qui n’aurait sans doute jamais vu le jour sans Rollerball. Comme d’habitude, préférez l’original (plus subtil) à la copie.

Midnight mass, Mike Flanagan (2021)

… silent night…

Luc 11:11
Concept des Versets

Quel est parmi vous le père qui donnera une pierre à son fils, s’il lui demande du pain ? Ou, s’il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent au lieu d’un poisson ?


Crockett Island.

De nos jours.

L’île a été prospère, portée par la pêche, puis une marée noire a ruiné son économie. Bev Keane a pesé de tout son poids pour que les habitants acceptent les compensations de l’industrie pétrolière, mais le compte n’y est pas, et l’île n’a de cesse de se paupériser, de perdre ses habitants.

Fils de pêcheur, Riley Flynn revient au pays après une longue incarcération. Il a provoqué la mort d’une jeune fille en conduisant sous l’emprise de l’alcool.

Au même moment, un nouveau prêtre arrive à Crockett Island : Paul Hill, qui remplace monseigneur Pruitt, revenu très malade d’un voyage à Jérusalem payé par les fidèles de Crockett Island.

Alors que les premiers miracles ont lieu, suite à l’arrivée du prêtre Hill aux prêches enflammés, Riley, trop cartésien pour son bien, commence à poser les bonnes questions aux bonnes personnes.

Voilà une mini-série, 7 épisodes comme cela va de soi, que j’ai beaucoup aimée. Peut-être pas la plus spectaculaire du catalogue Netflix, mais clairement une des plus attachantes, grâce à sa galerie de personnages : le shériff musulman, le fils prodigue, le père pêcheur (Henry Thomas), la jeune métis en fauteuil roulant (double peine), le prêtre aveuglé par sa volonté de bien faire les choses, la grenouille de bénitier plus néfaste qu’une encéphalite spongiforme…

Midnight mass est une réussite de plus à porter au crédit de Mike Flanagan, le nouveau maître de l’horreur intelligente.