Yakuza, Sydney Pollack (1974)


Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, pendant l’occupation du Japon par l’armée Américaine, l’homme d’affaires californien George Tanner (Brian Keith) a noué des liens très forts avec la pègre japonaise, et un yakuza en particulier : Tono. Contre une importante somme d’argent, Tanner a promis de livrer des armes à Tono, mais la cargaison n’est jamais arrivée au Japon et, en représailles, le yakuza a kidnappé la fille de Tanner, qui faisait ses études à Tokyo. Pour sortir de ce piège, Tanner recontacte un de ses vieux amis : Harry Kilmer (Robert Mitchum) qui était au Japon avec lui vingt ans plus tôt. Alors Policier militaire, Harry s’est lié avec une japonaise dont il a sauvé la vie, ainsi que la vie de sa fille, Hanako. Eiko possède un petit bar, le Kilmer, à Tokyo. Harry le lui a acheté avec de l’argent qu’il a emprunté à Tanner, après que la jeune femme a refusé de l’épouser. Eiko a un frère, Tanaka Ken (Takakura Ken), le yakuza du titre. Ken a passé la Seconde guerre mondiale dans une grotte des Philippines ; à son retour au Japon, il est devenu yakuza, puis a arrêté pour devenir professeur de kendo à Kyoto. Tanaka Ken a une dette envers Harry Kilmer et selon son code il doit l’honorer, même si cela va lui coûter la vie. Kilmer va se servir de cela pour rentrer en contact avec Tono. Une fois la machine lancée, les deux hommes ne pourront plus l’arrêter. Car le sang appelle le sang.

Sydney Pollack est un de mes réalisateurs préférés. Et Yakuza est de ses meilleurs films. C’est peut-être la coproduction américano-japonaise la plus réussie des années 70. Tout y est extrêmement juste : le scénario limpide alors que les liens entre les personnages sont complexes, plein de non dits, les décors, les scènes de jeu et les nombreuses scènes de combat. Le film culmine dans une tuerie d’une rare violence qui, d’une certaine façon, annonce The Killer Elite de Sam Peckinpah (1975), Black Rain de Ridley Scott et évidemment le diptyque Kill Bill de Quentin Tarantino.

Le casting est très réussi. Mitchum semble plus fragile qu’à son accoutumé. Takakura Ken (alors immense star au Japon) est impressionnant dans son rôle d’homme qui ne sourit jamais. Richard Jordan (le Duncan Idaho du Dune de David Lynch) est très touchant en jeune américain qui découvre le Japon et ses règles bien précises.

Tout est parfait. Yakuza est un grand film. Je le revois toujours avec un immense plaisir.

Je le possède en DVD ; il n’existe pas de blu-ray français à ma connaissance (alors que la restauration pour le Blu-ray disponible à l’étranger a très bonne réputation).

The Outsider, Martin Zandvliet (2018)

OutsiderLeto

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Osaka. 1954. Un Américain emprisonné (Jared Leto), qui ne parle pas japonais, se lie d’amitié avec un yakuza qui baragouine un tantinet la langue de l’Oncle Sam (Tadanobu Asano, égal à lui même). Les deux hommes passent un marché dans la grande tradition du « tu m’aides, je t’aide », qui devient là : « tu me fais sortir d’ici, je te fais sortir d’ici ».

Une fois dehors, Nick, dont on découvrira tardivement le prénom (et le nom de famille encore plus tardivement), trouve une place de choix dans la pègre japonaise, mais aussi dans le lit de la jolie Miyu (Shioli Kutsuna), la sœur cadette de son bon samaritain. Tous les ingrédients sont là pour que son parcours criminel tourne court… Nick survivra-t-il au monde obscur et implacable des yakuzas.

(Commençons par une anecdote sans intérêt, j’ai découvert l’existence de ce film en cherchant un visuel pour illustrer mon article sur The Outsider, la série télé.)

C’est Kinji Fukasaku qui a popularisé et fait connaître dans le monde entier le genre « film de yakuzas » avec des monuments comme : Guerre des gangs à Okinawa, Combat sans code d’honneur, Okita le pourfendeur, Le Cimetière de la morale. Dans l’ensemble ce sont d’excellents films et j’irai plus loin : tout ce qu’on voit dans les très bons polars de Takeshi Kitano vient de là, ou presque. En 1974, sortait Yakuza de Sydney Pollack (l’immense Sydney Pollack), première tentative américaine un peu sérieuse de se colleter au genre ou du moins à la figure du yakuza. L’année suivante, Sam Peckinpah abordera ce même genre de façon plus oblique et nettement moins subtile dans l’honorable The Killer elite. En 1989, Ridley Scott utilisera la figure classique du jeune Yakuza cruel opposé à ses aînés devenus respectables pour un film populaire un peu bidon mais plutôt sympathique : Black Rain.

On peut être raisonnablement inquiet devant un film qui nous conterait le destin d’un yakuza blanc, yankee de surcroit, en 1954, à Osaka, à une époque où le racisme anti-américain était sans doute à son paroxysme. Et logiquement The Outsider peine à convaincre : parfois l’illusion fonctionne on se croirait presque dans un film japonais, parfois elle ne fonctionne pas et on a l’impression de voir des comportements typiquement occidentaux plaqués sur le monde du crime nippon. La reconstitution est fauchée, on est très loin de ce qu’aurait proposé un Martin Scorsese. Jared Leto est égal à lui-même : ceux qui ne le supportent pas ne le supporteront pas davantage dans ce film que dans les autres. Plus intéressant, son personnage n’est pas ambigüe. Nick est une vraie ordure chez qui on ne sent guère de regret pour quoi que ce soit et aucune rédemption possible. C’est sans doute la vraie audace du film. Qui là, pour le compte, rappelle le cinéma de Fukasaku et lui rend un bel hommage.

Longuet, hésitant entre le naturalisme et la mythologie de la pègre japonaise, The Outsider ne bénéficie pas d’une réalisation inoubliable comme fut celle de Only God Forgives, par exemple. Même si le projet semble sincère, on préféra aller à la source, renouer avec le cinéma vénéneux et scandaleux de Kinji Fukasaku.