The Outsider, Martin Zandvliet (2018)

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Osaka. 1954. Un Américain emprisonné (Jared Leto), qui ne parle pas japonais, se lie d’amitié avec un yakuza qui baragouine un tantinet la langue de l’Oncle Sam (Tadanobu Asano, égal à lui même). Les deux hommes passent un marché dans la grande tradition du « tu m’aides, je t’aide », qui devient là : « tu me fais sortir d’ici, je te fais sortir d’ici ».

Une fois dehors, Nick, dont on découvrira tardivement le prénom (et le nom de famille encore plus tardivement), trouve une place de choix dans la pègre japonaise, mais aussi dans le lit de la jolie Miyu (Shioli Kutsuna), la sœur cadette de son bon samaritain. Tous les ingrédients sont là pour que son parcours criminel tourne court… Nick survivra-t-il au monde obscur et implacable des yakuzas.

(Commençons par une anecdote sans intérêt, j’ai découvert l’existence de ce film en cherchant un visuel pour illustrer mon article sur The Outsider, la série télé.)

C’est Kinji Fukasaku qui a popularisé et fait connaître dans le monde entier le genre « film de yakuzas » avec des monuments comme : Guerre des gangs à Okinawa, Combat sans code d’honneur, Okita le pourfendeur, Le Cimetière de la morale. Dans l’ensemble ce sont d’excellents films et j’irai plus loin : tout ce qu’on voit dans les très bons polars de Takeshi Kitano vient de là, ou presque. En 1974, sortait Yakuza de Sydney Pollack (l’immense Sydney Pollack), première tentative américaine un peu sérieuse de se colleter au genre ou du moins à la figure du yakuza. L’année suivante, Sam Peckinpah abordera ce même genre de façon plus oblique et nettement moins subtile dans l’honorable The Killer elite. En 1989, Ridley Scott utilisera la figure classique du jeune Yakuza cruel opposé à ses aînés devenus respectables pour un film populaire un peu bidon mais plutôt sympathique : Black Rain.

On peut être raisonnablement inquiet devant un film qui nous conterait le destin d’un yakuza blanc, yankee de surcroit, en 1954, à Osaka, à une époque où le racisme anti-américain était sans doute à son paroxysme. Et logiquement The Outsider peine à convaincre : parfois l’illusion fonctionne on se croirait presque dans un film japonais, parfois elle ne fonctionne pas et on a l’impression de voir des comportements typiquement occidentaux plaqués sur le monde du crime nippon. La reconstitution est fauchée, on est très loin de ce qu’aurait proposé un Martin Scorsese. Jared Leto est égal à lui-même : ceux qui ne le supportent pas ne le supporteront pas davantage dans ce film que dans les autres. Plus intéressant, son personnage n’est pas ambigüe. Nick est une vraie ordure chez qui on ne sent guère de regret pour quoi que ce soit et aucune rédemption possible. C’est sans doute la vraie audace du film. Qui là, pour le compte, rappelle le cinéma de Fukasaku et lui rend un bel hommage.

Longuet, hésitant entre le naturalisme et la mythologie de la pègre japonaise, The Outsider ne bénéficie pas d’une réalisation inoubliable comme fut celle de Only God Forgives, par exemple. Même si le projet semble sincère, on préféra aller à la source, renouer avec le cinéma vénéneux et scandaleux de Kinji Fukasaku.

 

Tatouage / Irezumi (1966)

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Une jeune femme, Otsuya, issue d’une famille aisée de marchands, tombe amoureuse de l’apprenti de son père, Shinsuke, et l’embarque dans une fugue. Les deux amants se réfugient chez un ami de la famille à qui ils demandent d’intercéder en leur faveur pour un mariage. Mais l’ami de la famille, Gonji, se révèle être un escroc de la pire espèce. Il escroque les parents d’Otsuya, vend la jeune femme à un proxénète qui la drogue et la confie à un tatoueur. Puis ordonne enfin qu’on tue Shinsuke.

Tatouée d’une immense araignée dans le dos, animal fabuleux car à visage humain, la jeune femme change de nom et se transforme en geisha à succès. Et si elle « croque les hommes », c’est pour mieux nourrir ses projets de vengeance.

Tatouage / Irezumi est un classique du cinéma érotique japonais. De nos jours, il n’a plus grand chose d’érotique : aucun poil pubien n’est visible comme l’imposait la législation de l’époque, on ne voit que le haut des fesses de l’actrice (Ayako Wakao) et son dos tatoué. Par contre, l’histoire ne rechigne pas sur les violences faites aux femmes : ligotages, tentatives de viol, fessée à coups de bambou et autres pratiques pervertico-sadiques dont raffolent bien des Japonais (et que personnellement je trouve assez lamentables comme « ressorts érotiques », mais bon chacun ses goûts).

En fait, ce qui surprend le plus dans Tatouage c’est son côté comique, les meurtres sont interminables et ressemblent à des enfilades de maladresses slapstick (à un moment un personnage se fait sabrer par un samourai ; dans la vraie vie, il aurait pu difficilement partir en courant, ou même en boitillant, à la rigueur, en rampant sur quelques mètres…). Les dialogues sont à l’avenant : les personnages principaux passent leur temps à hurler qu’ils vont mettre fin à leur jour (mais allez-y ! bon sang) et puis il y a ce magnifique « Coucher n’est pas tromper » qui surclasse le « sucer n’est pas tromper » d’un célèbre comique français. La séance de déballage de la geisha/marchandise est aussi à hurler de rire. Le temps qu’elle arrive enfin à se foutre à poils, vous avez le temps de faire le thé et de cuire des cookies caramel/beurre salé. Encore si l’effeuillage était coquin, mais même pas, elle se démène avec toutes ses couches de vêtements et autres ceintures comme si elle était prisonnière de l’ensemble.

Le film possède un certain parfum fantastique, grâce au tatouage monstrueux, auxquels certains personnages prêtent une vie propre (on peut aussi penser que la jeune femme souffre de schizophrénie).

En fait, ce qui m’a le plus déçu c’est que le film se construit au tout début sur une histoire d’amour passionnée (tout découle de cette passion), mais le manque d’alchimie du couple Otsuya / Shinsuke est flagrant et ils ont beau passer leur jours et leurs nuits au lit (à un moment, leur hôte leur conseille de « prendre l’air » pour leur santé), ça ne marche pas vraiment.

Tatouage est un colosse aux pieds d’argile qui s’est lentement effrité sous mes yeux. Ce qui ne lui retire pas pour autant toutes ses qualités, esthétiques notamment. Comiques aussi (mais pas sûr que ça soit fait exprès).

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A ne pas confondre avec l’Irezumi de Yôichi Takabayashi (1982), titré La femme tatouée en français et qui raconte une toute autre histoire. Et qui est de loin bien meilleur.