Femme sauvage, Tom Tirabosco (Futuropolis)

Couverture (détail)

Le monde tel que nous l’avons connu a pris fin. La société nord-américaine s’est effondrée, victime du capitalisme.

« J’ai toujours pensé que les humains étaient une espèce toxique.
Des super prédateurs.
Les humains, à part tout bousiller et rendre ce monde plus laid, je ne sais pas à quoi ils servent…
Celui qui nous a inventés, il aurait pas dû, car au final, il faut bien reconnaître qu’on est juste des gros cons…
Les gros cons de la création. » 4e de couverture.

Une jeune femme (activiste d’Extinction Rébellion) prend la route vers le nord, vers le Yukon où elle veut rejoindre un groupe de rebels. Son odyssée va la mener à faire une autre rencontre.

[Attention critique avec spoilers]

Femme sauvage de Tom Tirabosco est une belle BD noir&blanc publiée en 2019 par Futuropolis. Sur le plan politique, elle ne convaincra que les convaincus de l’équation capitalisme+patriarcat=fin de l’humanité (c’est sa principale faiblesse, à mon humble avis). Le propos est naïf, même si le texte est farci de nombreuses citations de Henry David Thoreau, mort de la tuberculose à 44 ans, faut-il le rappeler. Mais bon cette naïveté, ce concentré d’idéaux est totalement raccord avec le projet, donc difficilement attaquable, tout ça a l’air produit par une saine colère et une formidable sincérité. Là où Tirabosco surprend d’avantage c’est dans son scénario qui au final mêle naturalisme et imaginaire. Il nous montre deux femmes sauvages : l’héroïne (autrefois urbaine) et l’amérindienne géante qu’elle va rencontrer dans les bois. La rebelle des villes et la chamane des bois. Cette autochtone avec ses gros seins qui pendent, son surpoids et sa force de colosse évoque à la fois la vénus de Willendorf et une déesse de la fertilité. La rencontre des deux femmes, ce qui les rassemble est assez émouvant, tout comme ce qui les sépare d’ailleurs. Leur destin final est plus symbolique, foudroiement technologique pour l’une et engloutissement naturel pour l’autre.

Car il y a beaucoup de symboles dans cet ouvrage, les événements ont presque tous un sens, ils mènent quelque part, ils servent le discours, il rappellent les idéaux, aiguillonnent la réflexion. Évidemment cela renforce l’aspect naïf de l’ensemble (on a presque envie de dire programmatique – alors qu’en fiction l’adjectif a quand même tout d’un gros mot).

Très honnêtement, car des ouvrages post-apocalyptiques j’en ai lus des dizaines dans ma vie, ce que j’ai le plus aimé ici, c’est le dessin, il est souvent très inspiré. Certaines visions sont magnifiques. Comme dans la vraie vie, le vulgaire et le sublime se côtoient.

« Nous sommes capables de faire des choses merveilleuses, nous sommes capables de faire des choses terribles », disait Sam J. Miller au sujet des personnages de son roman La Cité de l’orque.

C’est le nœud du problème, rien n’est tout noir, rien n’est tout blanc.

Femme sauvage est un album vraiment intéressant ; je ne regrette pas de l’avoir acheté et lu. Par contre, je regrette que le dessinateur ne se soit pas associé à un scénariste plus ambigu.

Algues vertes – L’histoire interdite | Inès Léraud & Pierre Van Hove

Prix éthique Anticor 2021 – Prix de la BD bretonne 2020 – Prix du journalisme 2020 – Prix des mémoires de la mer 2020 – Prix de la BD sociale et historique 2020

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Pendant ces dernières vacances, j’ai fait un gros craquage BD, une grosse dizaine d’albums que j’avais repérés tout au long de l’année, principalement de la science-fiction et de la fantasy. Des trucs récents, des choses plus anciennes. Parmi tous ces albums, il y a résolument un intrus, une singularité : Algues vertes – l’histoire interdite.

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Je pense que c’est la première fois que je me lance dans un reportage BD de 160 pages. J’avoue qu’avant de commencer ma lecture j’étais très dubitatif. Si je veux lire quelque chose sur l’écologie (histoire de bien me foutre en l’air le moral), d’habitude je prends un bouquin sérieux écrit par un ou des scientifiques sérieux. Bon là, l’approche est résolument différente : ludique mais sérieuse, caustique mais sérieuse.

Cette bande-dessinée très précise, très bien chapitrée, est une tuerie. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec le film Spotlight même si les sujets n’ont absolument rien en commun. Au-delà du problème connu des algues vertes qui s’amassent sur les plages bretonnes par tonnes, voire dizaines de tonnes, et causent la mort de chiens, chevaux, sangliers et même joggers en pourrissant et en dégazant leur H2S, Inès Leraud démonte tous les mécanisme qui sont à l’origine du phénomène, elle remonte dans le temps avant d’explorer les liens sulfureux qui unissent les mondes politique et agroalimentaire.

L’enquête semble très rigoureuse (tous un tas de document est disponible en annexe), la scénariste œuvre avec détermination, certes, mais une très grande prudence, ne rajoutant aucun effet dramatique. Comme dirait le FBI : les faits, juste les faits. Et ces faits suffisent largement à vous faire froid dans le dos.

Cela ressemble à une grande enquête du Canard Enchaîné méticuleusement transformée en BD ; c’est très réussi. C’est aussi désespérant, puisque la conclusion c’est qu’au lieu de s’attaquer à la maladie on ne soigne que son symptôme le plus visible en jetant à la déchetterie chaque année des mètres-cubes et des mètres-cubes d’algues vertes ramassées au bulldozer.

Wolfen, Michael Wadleigh (1981)

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Il y a des films que vous regardez à l’adolescence et qui vous marquent durablement. Pour ma part, ce fut, entre autres, Rollerball de Norman Jewison (1975), vu à la télé (peut-être, je ne me souviens plus trop, dans le cadre des Dossiers de l’écran) ; La Chair et le sang de Paul Verhoeven, vu au cinéma avec ma mère en 85 (j’ai le souvenir qu’elle avait été littéralement estomaquée par la profusion de scènes de sexe et de violence dans le film, comme pour L’année du dragon, même année que nous avions vu en famille avec mon « petit » frère) ; Wolfen, vu à la télé, puis loué en cassette vidéo. Tous ces films se rattachent à des trucs qui passionnent l’adulte que je suis devenu : la violence pour Rollerball, eros&thanatos pour La Chair et le sang, la provocation aussi, et les Amérindiens et l’écologie pour Wolfen.

A priori, Wolfen est un bête « film de monstres », Le pacte des loups à New York (il y a même une scène de Karaté / Kung Fu avec Gregory Hines ;-). Mais rapidement le film à suspens, le film d’horreur classique (via la première scène près du vieux moulin hollandais, la scène dans un quartier du Bronx en pleine démolition) laisse la place à un film extrêmement politique et disons-le aussi « à message écologique ». Wolfen rejoint en cela Nomads de John McTiernan, un film certes imparfait, mais qui vaut largement plus que sa modeste réputation.

Par certains côtés, Wolfen a mal vieilli (c’est marrant, aussi, de voir des gens fumer le cigare au bureau), le procédé d’effets spéciaux censé nous montrer le monde comme les loups le voient a été nettement amélioré depuis, notamment pour le premier Predator (1987 – McTiernan encore). Et aujourd’hui avec le numérique, on fait à peu près ce qu’on veut si le budget suit. Cela dit, Wolfen reste impressionnant, les scènes d’investigation dans les ruines du Bronx sont à peine croyables, on dirait que ça été tournée dans une grande ville allemande ravagée par un bombardement de la Seconde guerre mondiale.

Le casting est très convancaint : Albert Finney en flic sur le fil (de l’alcoolisme), Diane Verona en psychologue (vue plus tard dans Heat),  Gregory Hines en légiste, Tom Noonan en vétérinaire New Age halluciné. Edward James Olmos en Indien lycanthrope (ou pas).

Wolfen n’est sans doute pas un grand film, mais son message politique / métaphorique n’a jamais été aussi pertinent : dans les villes humaines et inhumaines, les loups prospéreront.

 

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Si j’en crois ce site le blu-ray américain est toutes zones et contient des sous-titres anglais. Pour ma part, j’ai un vieux DVD américain qui passe parfaitement sur mon nouveau lecteur dézoné Samsung (« nouveau », car mon fils cadet a cassé le précédent alors qu’il était tout petit et j’ai mis cinq ou six ans à en racheter un autre, ce qui me permet de ressortir tous mes DVD zone 1 comme Bury my heart at wounded knee).