La Sanction, Clint Eastwood (1975)


Jonathan Hemlock (Clint Eastwood) est professeur d’histoire de l’art, collectionneur de tableaux de maître, tous entrés illégalement sur le sol américain, et assassin professionnel pour une officine secrète qui évoque une micro-CIA. Un jour, on lui demande d’assassiner deux hommes à Zurich qui ont récupéré un micro-film sur lequel on trouve la formule d’une arme bactériologique américaine. Une fois le contrat honoré, on lui annonce qu’un troisième homme est impliqué, qu’il va tenter l’ascension du mont Eiger par la face nord. Une ascension que Hemlock a déjà tenté deux fois, sans succès.

La Sanction (The Eiger Sanction) est la quatrième réalisation de Clint Eastwood après Un frisson dans la nuit, L’Homme des hautes plaines et Breezy. Après trois films très différents, Eastwood change de nouveau de registre avec ce film d’espionnage (puis d’alpinisme) qui pourrait passer pour un pastiche de James Bond. Adapté d’un roman de Trevanian, on trouve en Hemlock un héros purement trévanien, c’est à dire une sorte de surhomme qui a de nombreux talents : l’art, la séduction, l’alpinisme et la mise à mort. Beaucoup ont reproché au scénario son manque de plausibilité. En fait, oui, tout est un peu ridicule dans ce film si on gratte trop le verni, mais au-delà de ce manque de crédibilité se déploie une sorte de thriller de haut-vol qui culmine dans des scènes d’alpinisme à couper le souffle.

C’est daté, très années soixante-dix, le scénario ne tient pas la route une seconde, mais on prend quand même plaisir à suivre les aventures de cet incroyable Jonathan Hemlock. Disons que le panache l’emporte sur la raison.

The Little things, John Lee Hancock (2021)

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Joe « Deke » Deacon (Denzel Washington), adjoint du shériff dans le comté de Kern, dans le nord de la Californie, est envoyé à Los Angeles pour récupérer des preuves (une paire de bottes tachées de sang) – une sorte de punition. Là, il fait la connaissance du capitaine Baxter (Rami Malek), jeune prodige de la police criminelle, embarqué dans une affaire embarrassante : quatre jeunes femmes ont été tuées de la même manière, une cinquième a disparu. Cette affaire de meurtres en série en rappelle une autre à Deke, celle qui lui a coûté sa carrière à LA, sa famille et même sa santé. Contre toute attente, les deux hommes sympathisent. C’est l’union de deux mondes, la surface de contact de deux méthodes, la trêve entre les modernes et les anciens. Grace à Deke, l’enquête jusque là au point mort fait une percée spectaculaire et un suspect entre en scène : Albert Sparma (Jared Leto, le cheveux gras et qui, par certains côtés, rappelle Charles Manson ; d’ailleurs l’ouvrage Helter Skelter trône en bonne place dans sa bibliothèque).

Mais que peuvent deux policiers, aussi doués soient-ils, contre un homme qui n’a peur de rien ? Où trouver des preuves quand elles n’existent pas ?

The Little things a une grande qualité comme film policier : il surprend. Rien ne se déroule vraiment comme prévu. Et d’ailleurs c’est sans doute ce qui pousse les deux policiers à commettre autant d’erreurs flagrantes, à prendre autant de décisions idiotes. Simples hommes qui essayent de faire le bien, ils se fracassent volontiers contre toutes les difficultés, notamment bureaucratiques, que ça implique. Difficile de ne pas penser à Seven de David Fincher, mais en nettement plus aride et réaliste. Difficile, aussi, de ne pas penser à Prisoners de Denis Villeneuve (il y a quelques points communs intéressants qu’il serait dommage de préciser). Mais le fond de The Little things diffère des deux thrillers sus-cités. D’ailleurs le réalisateur ne livre pas un thriller, mais un drame. Il s’intéresse à la faute, aux fantômes du passé, au prix que l’on paye ses erreurs, surtout si le sang a coulé. Il reprend (avec moins de talent et moins d’ambiance) la formule esthétique de Dans la brume électrique, confrontant Denzel Washington à des fantômes qui interagissent avec lui. John Lee Hancock rappelle à quel point la tâche du policier est lourde, comme Clint Eastwood, il met sur la sellette certains rouages de la justice américaine (notamment, via les allusions aux Droits Miranda). Et, dans un troisième mouvement, il laisse entrevoir l’idée désagréable, révoltante même, que toutes les vies ne se valent pas. Que la vie d’un bon policier père de famille vaut plus que celle d’un suspect, peut-être innocent.

C’est sans doute le sale goût qu’il laisse dans la bouche, son ambiguïté morale, qui empêche The Little things de n’être qu’un film policier de plus. John Lee Hancock a toujours été le fils (ou disciple) raté de Clint Eastwood, incapable de se mettre au niveau du maître. Il le prouve une nouvelle fois, mais livre néanmoins un film vraiment intéressant doté de scènes très fortes, peut-être son meilleur à ce jour.