La Corde raide, Richard Tuggle (1984)

Wes Block (Clint Eastwood) est policier à la Nouvelle Orléans. Il enquête sur une série de viols suivis de meurtres. Le jour, Wes Block est un bon père de famille qui s’occupe de ses deux filles (dont l’une est incarnée par la fille de l’acteur, Allison Eastwood) et récupère tous les chiens errants du quartier. La nuit, Wes se perd dans le quartier rouge de la Nouvelle Orléans où il explore les coins les plus sombres de sa sexualité (domination, soumission, et peut-être même bisexualité, comme c’est suggéré dans la scène du bar gay). Au fur et à mesure que son enquête avance, les soupçons se concentrent un peu plus sur lui, d’autant qu’il a eu une liaison éphémère avec une des jeunes victimes.

Clint Eastwood, acteur, a toujours aimé les rôles ambigus, chez Don Siegel (L’Inspecteur Harry, Les Proies), dans ses propres réalisations (L’Homme des hautes-plaines, Impitoyable). Cette ambiguïté a souvent tourné autour des notions de violence légitime. Dans La Corde raide (tourné un an à peine après Le Retour de l’inspecteur Harry où il était aussi question de viols), il explore la sexualité déviante d’un père de famille, flirtant sans cesse avec les questions « qu’est-ce qui est légal ? » « qu’est-ce qui est moral ? ». Le film est très fort. Y compris dans l’idylle qui se dessine entre Wes (flic macho, par essence) et la défenseuse des droits des femmes Beryl Thibodeaux (Genevieve Bujold, magnifique). Comment ces deux-là peuvent-ils se rapprocher ? Peut-être parce que Wes, malgré ses apparences de flic insubmersible, est un homme perdu, ou du moins fragile qui, paradoxalement, a besoin de tendresse (il en est ouvertement question, au cours d’un dialogue). Peut-être parce que Beryl aime trop les hommes pour ne pas savoir comment se protéger de leurs plus sombres pulsions.

41 ans après sa sortie, La Corde raide reste un excellent polar, bien moite, presque perturbant. Évidemment, la Nouvelle Orléans n’a pas été choisie au hasard.

Sierra Torride, Don Siegel (1970)


Hogan (Clint Eastwood) a été engagé par les rebelles mexicains pour faire tomber la garnison française de Chihuahua. En chemin, il porte secours à une femme (Shirley MacLaine) sur le point d’être violée par trois bandits mexicains. Quand elle se rhabille, Hogan découvre médusé qu’il s’agit d’une soeur catholique. Poursuivie par l’armée française, car elle aide aussi les rebelles mexicains, Hogan se met en tête de protéger cette foutue bonne femme têtue comme une pioche. Évidemment, lui qui ne dit s’intéresser qu’à l’argent, ne va pas tarder à en tomber amoureux.

Méconnu dans la filmographie de Clint Eastwood, Two mules for sister Sara (je préfère le titre américain) est une comédie d’aventure à l’ancienne qui a le cul entre deux chaises : entre le western classique et le western Spaghetti/western ultraviolent de Sam Peckinpah. Une impression très forte qu’accentue la musique d’un Ennio Morricone moins inspiré qu’à son habitude, il faut le reconnaître. Les scènes de comédie sont là et elles sont nombreuses, le duo fonctionne à merveille. Les scènes de violence sont là, presque incongrues dans ce film souvent léger, souvent grivois. Shirley MacLaine est la star du film, d’ailleurs son nom apparaît en premier au générique et elle est épatante dans sa façon d’utiliser ses charmes, n’en faisant ni trop ni pas assez.

Le film se penche sur un épisode assez méconnu de l’histoire française et notamment les crimes que l’armée française commit au Mexique.

Pur divertissement où ces cochons de Français en prennent pour leur grade, Two Mules for sister sara est tout à fait recommandable, ne serait-ce que pour voir Shirley MacLaine traverser les somptueux paysages mexicains à dos d’âne, minuscule comparée à un Eastwood impérial, juché sur son poney. La fin qui ressemble à un Happy End est sans doute beaucoup plus amère que sa docile apparence ne le laisse supposer.

La Sanction, Clint Eastwood (1975)


Jonathan Hemlock (Clint Eastwood) est professeur d’histoire de l’art, collectionneur de tableaux de maître, tous entrés illégalement sur le sol américain, et assassin professionnel pour une officine secrète qui évoque une micro-CIA. Un jour, on lui demande d’assassiner deux hommes à Zurich qui ont récupéré un micro-film sur lequel on trouve la formule d’une arme bactériologique américaine. Une fois le contrat honoré, on lui annonce qu’un troisième homme est impliqué, qu’il va tenter l’ascension du mont Eiger par la face nord. Une ascension que Hemlock a déjà tenté deux fois, sans succès.

La Sanction (The Eiger Sanction) est la quatrième réalisation de Clint Eastwood après Un frisson dans la nuit, L’Homme des hautes plaines et Breezy. Après trois films très différents, Eastwood change de nouveau de registre avec ce film d’espionnage (puis d’alpinisme) qui pourrait passer pour un pastiche de James Bond. Adapté d’un roman de Trevanian, on trouve en Hemlock un héros purement trévanien, c’est à dire une sorte de surhomme qui a de nombreux talents : l’art, la séduction, l’alpinisme et la mise à mort. Beaucoup ont reproché au scénario son manque de plausibilité. En fait, oui, tout est un peu ridicule dans ce film si on gratte trop le verni, mais au-delà de ce manque de crédibilité se déploie une sorte de thriller de haut-vol qui culmine dans des scènes d’alpinisme à couper le souffle.

C’est daté, très années soixante-dix, le scénario ne tient pas la route une seconde, mais on prend quand même plaisir à suivre les aventures de cet incroyable Jonathan Hemlock. Disons que le panache l’emporte sur la raison.

The Little things, John Lee Hancock (2021)

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Joe « Deke » Deacon (Denzel Washington), adjoint du shériff dans le comté de Kern, dans le nord de la Californie, est envoyé à Los Angeles pour récupérer des preuves (une paire de bottes tachées de sang) – une sorte de punition. Là, il fait la connaissance du capitaine Baxter (Rami Malek), jeune prodige de la police criminelle, embarqué dans une affaire embarrassante : quatre jeunes femmes ont été tuées de la même manière, une cinquième a disparu. Cette affaire de meurtres en série en rappelle une autre à Deke, celle qui lui a coûté sa carrière à LA, sa famille et même sa santé. Contre toute attente, les deux hommes sympathisent. C’est l’union de deux mondes, la surface de contact de deux méthodes, la trêve entre les modernes et les anciens. Grace à Deke, l’enquête jusque là au point mort fait une percée spectaculaire et un suspect entre en scène : Albert Sparma (Jared Leto, le cheveux gras et qui, par certains côtés, rappelle Charles Manson ; d’ailleurs l’ouvrage Helter Skelter trône en bonne place dans sa bibliothèque).

Mais que peuvent deux policiers, aussi doués soient-ils, contre un homme qui n’a peur de rien ? Où trouver des preuves quand elles n’existent pas ?

The Little things a une grande qualité comme film policier : il surprend. Rien ne se déroule vraiment comme prévu. Et d’ailleurs c’est sans doute ce qui pousse les deux policiers à commettre autant d’erreurs flagrantes, à prendre autant de décisions idiotes. Simples hommes qui essayent de faire le bien, ils se fracassent volontiers contre toutes les difficultés, notamment bureaucratiques, que ça implique. Difficile de ne pas penser à Seven de David Fincher, mais en nettement plus aride et réaliste. Difficile, aussi, de ne pas penser à Prisoners de Denis Villeneuve (il y a quelques points communs intéressants qu’il serait dommage de préciser). Mais le fond de The Little things diffère des deux thrillers sus-cités. D’ailleurs le réalisateur ne livre pas un thriller, mais un drame. Il s’intéresse à la faute, aux fantômes du passé, au prix que l’on paye ses erreurs, surtout si le sang a coulé. Il reprend (avec moins de talent et moins d’ambiance) la formule esthétique de Dans la brume électrique, confrontant Denzel Washington à des fantômes qui interagissent avec lui. John Lee Hancock rappelle à quel point la tâche du policier est lourde, comme Clint Eastwood, il met sur la sellette certains rouages de la justice américaine (notamment, via les allusions aux Droits Miranda). Et, dans un troisième mouvement, il laisse entrevoir l’idée désagréable, révoltante même, que toutes les vies ne se valent pas. Que la vie d’un bon policier père de famille vaut plus que celle d’un suspect, peut-être innocent.

C’est sans doute le sale goût qu’il laisse dans la bouche, son ambiguïté morale, qui empêche The Little things de n’être qu’un film policier de plus. John Lee Hancock a toujours été le fils (ou disciple) raté de Clint Eastwood, incapable de se mettre au niveau du maître. Il le prouve une nouvelle fois, mais livre néanmoins un film vraiment intéressant doté de scènes très fortes, peut-être son meilleur à ce jour.