Brimstone, Martin Koolhoven (2016)

Brimstone

Dans une petite communauté américaine, Liz (Dakota Fanning), muette mais pas sourde, officie en tant que sage-femme avec l’aide de sa fille. Elle est terrifiée par le révérend (Guy Pearce) ; à raison, ces deux-là ont un passé commun particulièrement tourmenté. Un jour, à la fin d’un office, Liz est confrontée à un accouchement qui se présente très mal. Et la voilà plongée très vite dans un terrible dilemme : elle doit choisir entre la mère et l’enfant. Une fois son choix fait, le pasteur se rapproche d’elle pour lui faire comprendre qu’elle s’est substituée à Dieu et qu’il y aura par conséquent un châtiment. Liz le sait depuis longtemps (depuis une époque où elle s’appellait Joanna)  : il y a des choses pires que la mort…

Sous des guenilles de western crépusculaire à la Unforgiven (qui date déjà de 25 ans), Brimstone est un film d’horreur, époustouflant, avec des scènes frontales d’une brutalité assumée (éviscération, mutilation, viol). Au delà de sa radicalité étouffante, presque mécanique, Brimstone est un film étrange ; je ne pense pas que son scénario (un poil too much), partiellement construit à rebours, fonctionne totalement… une fois les pièces du puzzle remises en place dans le bon ordre (il y a trop de coïncidences « malheureuses »), mais le tour de magie fait toutefois son effet, car le réalisateur/scénariste vous prend à la gorge tout de suite et ne desserre pas son effort pendant près de 2H30. Brimstone est une inexorable descente aux enfers, métaphorique en diable, à la fois viscérale et intellectuelle, via laquelle Martin Koolhoven explore inlassablement la nature du mal. Ici, c’est la concupiscence qui est au centre de l’intrigue, la concupiscence et l’inceste (justifié par un passage de la Bible, tant qu’à faire). Sur ce plan, Brimstone est terrible, obsessionnel, sans pitié aucune, c’est un couteau qui racle un os, encore et encore, tant qu’il reste de la chair dessus. Le réalisateur place sous une menace terrible, d’une injustice révoltante, pas moins de trois générations de femmes, de mère en mère en fille. La réussite de l’entreprise, son impact assuré, tient à Guy Pearce, qui incarne un des pires « méchants » de l’histoire du cinéma ; le fantastique n’est pas très loin. On peut voir en lui une imparfaite incarnation du diable, ce que semble nous souffler le titre original, Brimstone signifiant soufre.

Le feu, la boue, le sang, les viscères, les violences faites aux femmes sont les motifs récurrents de ce voyage au bout de l’enfer.

 

Comancheria, David Mackenzie (2016)

comancheria

(Avis avec spoilers.)

Un père divorcé au casier vierge (Chris Pine) et son frère sorti de prison depuis un an (Ben Foster) braquent les succursales de la même compagnie banquière : la Texas Midland Bank. Ils ne prennent que l’argent des caisses et ont prévu de récupérer une somme bien précise pour lever définitivement l’hypothèque du ranch familial, dans lequel leur mère vient de mourir après trois mois d’agonie.

Un vieux Texas Rangers à la blague raciste facile (Jeff Bridges) organise la chasse à l’homme. Il ne lui reste que trois semaines avant la retraite. (Cette partie du film est très cliché, mais est sauvée par la prestation de Jeff Bridges.)

Comancheria / Hell or high water est un bon film. Il pose de bonnes questions sur la justice ou plutôt le sentiment d’injustice. Sous des dehors de comédie policière, de comédie dramatique décalée (un peu façon Coen Brothers, mais en plus social, plus près de l’os), c’est un film qui vous sort très vite de votre zone de confort, car les deux personnages principaux sont indéfendables. Sous des airs de Robin des bois modernes, aux motivations « compréhensibles », ce sont avant tout deux inconscients, particulièrement dangereux, qui prennent énormément de risques pour eux-mêmes et autrui. Et quand le drame survient, on voit bien que Toby (le frère au casier vierge) fait très facilement passer le bonheur (matériel) de ses fils devant la valeur de vies humaines innocentes. Les plateaux de la balance de sa justice sont pipés. A un système capitaliste vicié, il oppose une démarche criminelle et inconsciente, qu’il juge sans doute légitime, parce qu’il s’est fixé un certain nombre de règles. Des règles qui, comme paille au vent, seront balayées par les aléas inhérents à tout parcours criminel et la psychologie défaillante, pourtant connue, de son complice. A priori sympathique, Toby est en fait d’une grande lâcheté morale : en s’associant à son psychopathe de frère, il ne peut ignorer que sa vendetta bancaire a davantage de chances de mal finir que de bien finir. Son déni est soit une preuve d’arrogance soit une preuve d’imbécillité, ou peut-être un mélange des deux. En tout cas c’est un marqueur fort d' »humanité ».

Dans ce film, le crime paie, pas la justice. Parti-pris extrêmement audacieux dans le cinéma américain d’aujourd’hui (parti-pris qui rappelle le bon cinéma américain des années 60-70).

Comancheria / Hell or high water est un bon film ; j’ai aimé ses parti-pris esthétiques, son ambiguïté, son portrait réaliste d’une humanité hypocrite dans sa soif de justice, au final volontiers mesquine et égoïste. C’est un film qui parle de cette injustice de plus en plus ressentie par le quidam confronté aux puissances déshumanisées et vertigineuses de l’argent. Aussi sympathique soit Toby, aussi juste puisse sembler son combat, il se trompe dès le départ d’armes pour le mener. C’est un bon père qui devient criminel, pas un criminel qui enfin assume les charges (morales) de la paternité. En voulant protéger ses enfants, leur tracer un avenir matériel doré sur tranche, il annihile tout ce qui était défendable dans son échec en tant que père.

Ce qu’il gagne d’un côté, une donation matérielle père-fils indue (en tout cas sur le plan moral), ne remplacera jamais ce qu’il a perdu dans sa quête…