The Cotton Club, Francis Ford Coppola (1984)

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Harlem. 1928.

Michael « Dixie » Dwyer (Richard Gere) sauve la vie de Dutch Schultz (James Remar), dit le Dutchman, un truand colérique et ambitieux qui tient tout le racket du quartier. Dixie est un musicien doué, le premier musicien blanc admis à jouer au Cotton Club, et Dutch le prend sous son aile, puis ne tarde pas à le payer pour qu’il s’occupe de sa très jeune maîtresse, Vera Cicero (Diane Lane). Évidemment, les deux jeunes gens couchent ensemble alors qu’ils sont conscients, l’un comme l’autre, d’appartenir à un truand psychopathe. Leur histoire ne peut que mal finir.

J’ai toujours beaucoup aimé ce film de Francis Ford Coppola qui connut un échec économique sanglant. Coppola, qu’on n’attendait pas forcément sur ce terrain en 1984, semble faire son Cabaret, en troquant le Berlin de 1931 par le Harlem de la période 1928-1930. Moitié film de gangsters, moitié comédie musicale, coupé en son mitan par la crise de 29, The Cotton Club se présente avant tout comme une galerie de personnages hallucinante, on y croise Lucky Luciano, Charlie Chaplin, Duke Ellington, Cab Calloway, etc. Le casting laisse pantois : Nicolas Cage (dans le rôle du frère de Dixie), Bob Hoskins (en patron du Cotton Club), Laurence Fishburne en chef de bande, Gregory Hines en danseur de claquettes évidemment. Si les numéros musicaux sont globalement très réussis, le film souffre d’un défaut qui paraîtra majeur à certains : il s’éparpille, son côté kaléidoscopique lui nuit. Et la dramaturgie du triangle amoureux Vera / Dixie / Dutch n’entre jamais vraiment en incandescence, même quand arrive la scène-clé vers laquelle évidemment tout le film converge. Étrangement, mais sans doute faut-il y voir une composante importante de son projet, Coppola développe des personnages très secondaires comme Sol Weinstein l’homme de main du Dutchman ou Frenchie, le consigliere du Cotton club (incarné par un Fred Gwynne absolument remarquable).

C’est un film très historique (il parlera davantage à ceux qui connaissent bien la période), une œuvre qui parle du racisme de façon claire, mais étonnamment subtile, c’est aussi un film qui parle de la domination masculine et notamment de la domination « financière » de façon brutale et en même temps adroite, précise. Deux personnages féminins soulignent le propos. Vera n’a pas vingt ans quand finit le film, ce qui veut sans doute dire qu’elle a commencé à fréquenter Dutch vers quinze ans. Elle précise à un moment qu’elle se débrouille toute seule depuis qu’elle a treize ans et que sa malédiction est d’être née en ayant l’air d’avoir dix-huit ans (derrière la boutade se dessine le fardeau d’être devenue une femme formée avant même d’avoir quitté l’enfance). La danseuse et chanteuse Lila, elle, est métisse, moitié noire moitié blanche, mais sa peau est si claire qu’elle en profite pour avoir une vie de blanche, ce que lui reproche son amant Noir qui ne peut pas entrer dans les mêmes établissements qu’elle. Pour réussir à Broadway, ou au Cotton Club, Lila ne voit pas d’autre solution que de refuser le mariage à l’homme qu’elle aime, car elle sait pertinemment que si elle ne semble plus « disponible » elle ne pourra plus monter aucun échelon. La marchandisation du corps féminin à Harlem en 1928 n’est pas un vain mot ; toutes celles qui s’en sortent, s’en sortent en se vendant d’une façon ou d’une autre.

The Cotton Club est un beau film, plein de morceaux de bravoure, au fil duquel s’alternent meurtres d’une violence époustouflante et numéros musicaux parfaitement orchestrés. Toutefois, force est de constater que Francis Ford Coppola n’a pas l’inventivité de Bob Fosse pour filmer lesdits numéros musicaux et que les scènes de violence marquent sans doute davantage, notamment celle du lustre (je ne spoile pas) qui a traumatisé bien des spectateurs.

Même s’il a le cul entre deux chaises, celle de la comédie musicale, celle du film de gangsters, The Cotton Club vaut qu’on lui donne sa chance, c’est un beau film intelligent, ample, auquel a manqué une colonne vertébrale plus solide. Il montre à la fois ce que l’homme a de pire en lui, mais aussi ce que l’homme a de plus beau en lui. Et en faisant gagner la plume contre l’épée, ou la musique contre la violence si vous préférez, Coppola ne manque pas de courage. La dernière scène, poétique, lumineuse, est à mon humble avis purement et simplement magnifique.

Lenny, Bob Fosse (1974)

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Il s’appelait Leonard Alfred Schneider. On se souvient de lui sous le nom de Lenny Bruce. A l’écran, il est incarné par un Dustin Hoffman au sommet de son art : comique, tragique, touchant, pathétique, odieux, ordurier, infidèle. Lenny Bruce était un comique de one-man-show, un provocateur, un homme qui a osé tendre un miroir à une Amérique trop hypocrite. Avant de devenir célèbre, il a présenté des numéros de striptease, il a donné des représentations bouche-trou absolument minables, qui ne faisaient rire personne. D’une certaine façon, il est né avec dix ans d’avance. Il a devancé la révolution sexuelle. D’une façon certaine, il est mort au moins six ans trop tôt : il aurait blagué pendant des jours et des jours sur le scandale du Watergate. On l’a arrêté de nombreuses fois, jugé pour « obscénité » et il est mort encore jeune, se trompant de priorité, comme tant d’autres.

Lenny est un film de Bob Fosse (Cabaret, All that’s jazz) tourné en noir et blanc. Le montagne non linéaire, qui saute sans cesse d’une époque à une autre mais pour toujours se rapprocher davantage de la chute de Lenny Bruce, est un modèle du genre. L’interprétation est fabuleuse, on pense à Dustin Hoffman, mais on oublie la « déesse goy » Valerie Perrine, prix d’interprétation féminine à Cannes en 1975.

 Lenny est un grand film. Aussi touchant qu’intelligent. Il semble annoncer deux films de Milos Forman : Man on the moon (1999), Larry Flint (1996).

On peut l’acheter en coffret Blu-ray (chez Wild Side), l’objet contient un ouvrage fort instructif de Samuel Blumenfeld : Seul en scène.