Three billboards outside Ebbing, Missouri

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Une femme (Frances McDormand, plus mieux que d’habitude, trouvé-je, alors qu’elle est d’habitude excellente), Mildred Hayes de son nom complet, loue trois panneaux à la sortie de la ville et y faire inscrire 1/ Violée pendant qu’elle agonisait 2/ Et toujours aucune arrestation ? 3/ Comment est-ce possible, chef Willoughby ? Le shérif se meurt d’un cancer du pancréas, ce qui ne facilite pas son enquête. Et son adjoint Dixon est aussi abruti que raciste, ce qui non plus n’est pas commode. De son côté, Mildred se fait draguer par le nain du patelin, assiste excédée à l’idylle de son ex avec une jolie idiote de 19 ans. Et son fils aîné ne comprend pas pourquoi les panneaux, pourquoi accabler le shérif, pourquoi ne pas faire son deuil ? Il y a des choses qu’une mère ne peut accepter, notamment son intolérable sentiment de culpabilité.

J’ai beaucoup aimé ce film, même si je lui trouve un énorme défaut : Sam Rockwell dans le rôle de Dixon en fait des tonnes, des kilotonnes et probablement quelques mégatonnes. Tous les curseurs sont dans le rouge, et je dirais même que quelques ampoules ont pété dans un flash d’hydrogène sulfuré : il est odieux, immonde, raciste, alcoolique, con comme un boulon, et incapable d’accepter sa potentielle propre bonté qu’il considère sans doute comme de la faiblesse.

Martin McDonagh et moi, ça n’a jamais été une grande histoire d’amour. J’ai trouvé son Bons baisers de Bruges sympa sans plus, quand bon nombre de mes petite camarades avaient atteint l’orgasme lors du visionnage. 7 psychopathes était plutôt crétin et plutôt raté. Peut-être parce que la bêtise humaine est son fonds de commerce (et que je ne m’y retrouve pas en tant que spectateur), je ne suis jamais pleinement satisfait par ses films. Mais dans celui-là, il y a Woody Harrelson dans un de ses meilleurs rôles, Woody Harrelson qui fait tout le contraire de Stockwell, avance vers la mort avec force, laissant derrière lui un puissant sillage de subtilité et d’humanité.

Frances McDormand et Woody Harrelson valent vraiment la peine de supporter un Sam Rockwell qu’on a connu plus convaincant.

Häxan, Benjamin Christensen (1922)

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Sous-titré « La sorcellerie à travers les âges », tourné la même année que le Nosferatu de Murnau, Häxan est un des films les plus étranges que j’ai vus au cours de ma vie.

C’est un documentaire de 1922, en sept parties, sur l’histoire de la sorcellerie où les « actes » sont rejoués par des acteurs professionnels (re-enacment), procédé révolutionnaire pour l’époque.

Le coffret Potemkine en ma possession contient trois versions du film (toutes tirées d’un nouveau master restauré) :

  • La version de 87 mn, sur une musique de Bardi Johannsson, interprétée par le Bulgarian Chamber Orchestra.
  • Le version de 76 minutes, narrée par William S. Burroughs, sur une bande-son de Jean-Luc Ponty.
  • La version de 104 minutes, accompagnée d’une nouvelle bande-son de Mattie Bye.

J’ai visionné la version de 87 minutes, tout simplement car c’est celle qui est disponible « par défaut », dans le DVD1. Häxan est étonnant de bout en bout ; j’ignorais que c’était un « film à thèse » et celle-ci colle aux connaissances psychiatriques de l’époque (1922). En pleins remous weinsteiniens, le film acquiert un drôle de sous-texte involontaire / back to the future, nous parlant d’une époque où « il ne fallait pas être vieille et laide… ou jeune et belle ». Les violences faites aux femmes sont aussi anciennes que l’humanité.

Sans doute un peu léger sur les racines de la sorcellerie et sur la méfiance « naturelle » que la femme a toujours suscité au sein de la chrétienté, daté en termes de connaissances médicales, Häxan n’en demeure pas moins un film hallucinant. Bien qu’il soit muet, bien qu’il y ait des intertitres en suédois sous-titrés en français, on oublie sans cesse avoir affaire à un film de 1922. A tel point que je n’ai eu de cesse de penser au canular de Costa Botes et Peter Jackson : Forgotten silver.

La version de 87 minutes ne donne aucune référence à l’affaire des démons de Loudun. Mais on ne peut s’empêcher d’y penser. Un film à ranger avec Les Diables de Ken Russell, chef d’oeuvre baroque et un poil too much (du Ken Russell, quoi) dont on attend toujours une version DVD ou Blu-Ray digne de ce nom.

 

Brimstone, Martin Koolhoven (2016)

Brimstone

Dans une petite communauté américaine, Liz (Dakota Fanning), muette mais pas sourde, officie en tant que sage-femme avec l’aide de sa fille. Elle est terrifiée par le révérend (Guy Pearce) ; à raison, ces deux-là ont un passé commun particulièrement tourmenté. Un jour, à la fin d’un office, Liz est confrontée à un accouchement qui se présente très mal. Et la voilà plongée très vite dans un terrible dilemme : elle doit choisir entre la mère et l’enfant. Une fois son choix fait, le pasteur se rapproche d’elle pour lui faire comprendre qu’elle s’est substituée à Dieu et qu’il y aura par conséquent un châtiment. Liz le sait depuis longtemps (depuis une époque où elle s’appellait Joanna)  : il y a des choses pires que la mort…

Sous des guenilles de western crépusculaire à la Unforgiven (qui date déjà de 25 ans), Brimstone est un film d’horreur, époustouflant, avec des scènes frontales d’une brutalité assumée (éviscération, mutilation, viol). Au delà de sa radicalité étouffante, presque mécanique, Brimstone est un film étrange ; je ne pense pas que son scénario (un poil too much), partiellement construit à rebours, fonctionne totalement… une fois les pièces du puzzle remises en place dans le bon ordre (il y a trop de coïncidences « malheureuses »), mais le tour de magie fait toutefois son effet, car le réalisateur/scénariste vous prend à la gorge tout de suite et ne desserre pas son effort pendant près de 2H30. Brimstone est une inexorable descente aux enfers, métaphorique en diable, à la fois viscérale et intellectuelle, via laquelle Martin Koolhoven explore inlassablement la nature du mal. Ici, c’est la concupiscence qui est au centre de l’intrigue, la concupiscence et l’inceste (justifié par un passage de la Bible, tant qu’à faire). Sur ce plan, Brimstone est terrible, obsessionnel, sans pitié aucune, c’est un couteau qui racle un os, encore et encore, tant qu’il reste de la chair dessus. Le réalisateur place sous une menace terrible, d’une injustice révoltante, pas moins de trois générations de femmes, de mère en mère en fille. La réussite de l’entreprise, son impact assuré, tient à Guy Pearce, qui incarne un des pires « méchants » de l’histoire du cinéma ; le fantastique n’est pas très loin. On peut voir en lui une imparfaite incarnation du diable, ce que semble nous souffler le titre original, Brimstone signifiant soufre.

Le feu, la boue, le sang, les viscères, les violences faites aux femmes sont les motifs récurrents de ce voyage au bout de l’enfer.