Too old to die young | Nicolas Winding Refn & Ed Brubaker

yaritza

« Va leur dire à tous que c’est la grande prêtresse de la mort qui t’a libérée ! »

 

Strong sexual content. Adult content. Graphic violence. Graphic language. Rape. Nudity.

[tentative de résumé]

Martin Jones (Miles Teller, étonnant) est policier. Un soir, son partenaire Larry (Lance Gross) est  assassiné par Jesus (Augusto Aguilera) sous les yeux de Martin. Auparavant, les deux flics (à Los Angeles) ont été impliqués dans le meurtre de Magdalena, la mère de Jesus, fortement liée à un Cartel mexicain. A Los Angeles, Martin va commencer à vivre une double vie : d’un côté policier, de l’autre tueur pour un gang opposé au cartel. Réfugié au Mexique, Jesus va faire la connaissance de Yaritza (Cristina Rodlo, éblouissante), la grande prêtresse de la mort, spectaculaire tueuse de violeurs, maquereaux et autres esclaves sexuels, pas effarouchée à l’idée de tuer les hommes de son propre cartel.

[\tentative de résumé]

Too old to die young est la meilleure série que j’ai vue depuis très longtemps. Les titres des épisodes (des lames de tarot) ne laissent pas  beaucoup planer de doute : Refn a de nouveau voulu rendre hommage à Alejandro Jodorowski. Par exemple le personnage de Yaritza est à la fois une lame de tarot : la grande prêtresse (qui éclaire ce qui est caché) et Nuestra Señora de la Santa Muerte (« Notre dame de la Sainte Mort »), ou Santísima Muerte, important personnage du folklore mexicain qui personnifie la mort, de manière similaire à la Grande faucheuse dans les folklores européens.

Too old to die young est lent, lancinant, très esthétique et en même temps d’une folle richesse. La photo de Darius Khondji (sur 7 épisodes) entre en résonance avec les ambiance musicales de Cliff Martinez. L’expérience très chargée d’ésotérisme est proprement hypnotique, et paradoxalement requiert une très grande attention malgré son rythme ample et délié. Avec Too old to die young, Refn continue via une série télé (qui casse absolument tous les codes des séries télés) son travail cinématographique sur les violences faites aux femmes. Le dixième épisode, la coda « Le monde », qui ne fait que trente minutes, alors que les autres épisodes durent plutôt une heure et demi, est un véritable « explication de texte » sur le sujet, ou révélation pour rester dans le schéma de la grande prêtresse. On pense beaucoup à David Lynch en regardant cette série, le grand David Lynch de Lost Highway.

Je ne me fais aucune illusion : ceux qui n’ont pas aimé Only god forgives (ouvertement dédié à Jodorowsky) n’aimeront pas davantage Too old to die young. Mais quelle audace, quelle folie que cette série. Quant au huitième épisode, il vous retourne littéralement la tête, il vous fait comprendre que vous avez pris la série dans le mauvais sens, que vous êtes passé à côté de son propos, que vous avez cru à tort que Martin était le personnage principal parce que c’est lui qui avait été introduit en premier.

Toute la série tourne autour des relations hommes-femmes (le premier dialogue entre Martin et Larry annonce absolument tout ce qui va suivre, comme une douloureuse prémonition), du pouvoir que les hommes ont sur les femmes et du pouvoir que certaines femmes ont sur les hommes. J’y ai vu (sans doute à tort) un commentaire particulièrement malin sur l’après #meetoo. Il est aussi beaucoup question de pédophilie et d’ascendance dans Too old to die young : Martin, trente ans, a pour petite amie une jeune femme très brillante qui n’avait que seize ans la première fois qu’ils ont couché ensemble. Comme le fait implicitement remarquer une policière à un moment, même si leur relation est sincère ce n’est pas pour autant qu’elle est légale. L’ascendant « de fait » que Martin a sur cette adolescente a facilité leur relation (d’autant plus qu’elle a été entamée en période de deuil, suite au suicide de la mère de la jeune femme), relation qui n’aurait jamais dû commencer. Inconsciemment (si on lui laisse le bénéfice du doute), Martin s’est comporté comme un prédateur.

Nicolas Winding Refn a une fois de plus tapé très fort. Ce n’est pas pour tout le monde, ça laissera sans doute 90% des spectateurs sur le carreau, mais pour les autres, ceux qui arriveront à y entrer, ce sera un vrai choc. Contrairement à The neon demon, Too old to die young n’est pas une magnifique coquille vide, bien au contraire, c’est si riche que j’ai regardé certains épisodes deux fois de suite, notamment le huitième qui m’a complètement retourné.

C’est comme certains livres, il faut s’accrocher au début, accepter les choix radicaux du réalisateur, mais une fois qu’on est dedans, on ne peut plus lâcher…

 

War dogs, Todd Philips (2016)

wardogs

A un enterrement, David Packouz (Miles Teller) revoit son copain d’enfance Efraim Diveroli (Jonah Hill). David essaye de fourguer des draps en coton égyptien à des maisons de retraite de Floride, sans trop de succès, pendant qu’Efraim vend des armes au Pentagone, utilisant un site d’appel d’offres où certains contrats (« les miettes ») n’intéressent pas grand monde, mais représentent quand même des milliers de dollars de commission. Les deux hommes s’associent. Leurs aventures prennent un tour particulier quand ils doivent se rendre en Jordanie récupérer un lot de Beretta bloqué en douanes.

 » La guerre est une économie, toute personne qui t’affirme le contraire est soit stupide soit impliquée « .

Evidemment basé sur une histoire vraie, War dogs n’est pas un film d’une originalité transcendante, les similarités avec Le loup de Wall Street (renforcées par la présence de Jonah Hill dans les deux films) sont tellement nombreuses qu’on a parfois l’impression de voir un remake situé dans le monde des marchands d’armes. Le film fait la part belle à la comédie, et ne possède pas toute la profondeur du Lord of war d’Andrew Niccol. War dogs dit toutefois quelque chose d’intéressant sur la fascination qu’exerce encore de nos jours le film de Brian de Palma Scarface. Comme toujours, ce qu’en retiennent les personnages c’est la montée en puissance d’un self-made-man avide de pouvoir et d’argent, qui n’a peur de rien, même quand on découpe son copain d’enfance à la tronçonneuse. Comme l’amour la fascination rend aveugle et tout le monde (ou presque) oublie la chute, quand Tony tue son meilleur ami, provoque la mort de la seule personne qu’il aime au monde (sa soeur) et suit de très près ses tripes (libérées par une décharge de chevrotines) dans une fontaine pleine de sang.

Si le film pêche par son manque d’originalité, War dogs a d’autres atouts : la réalisation est inventive, le rythme est soutenu, les acteurs sont épatants et le ton résolument adulte (on se drogue et on se fait sucer dès que possible, car l’argent y pourvoie). C’est une vraie boule puante (d’ailleurs le réalisateur ne s’embarrasse d’aucune pincettes politically correct en matière de clichés antisémites ; il offre à Jonah Hill (né Jonah Hill Feldstein) à peu près tout le catalogue, avec la légèreté d’un merkava lancé à 60 km/h). Efraim est un personnage odieux, absolument indéfendable, mais il devient inquiétant dans une des scènes a priori les plus anodines du film, quand il vire un de ses employés car celui-ci vient de lui expliquer que l’acronyme IBM a un sens, que derrière ces trois lettres se cache une ambition industrielle : International Business Machines. L’intelligence et la culture générale sont alors clairement désignés comme ennemis des bonnes affaires. Est dangereux celui qui pense trop. Les officiers supérieurs le savent que trop bien : un soldat ne doit pas penser, jamais ; il faut l’occuper, tout le temps.

War dogs est un solide divertissement pour adultes consentants. Si vous n’en attendez pas trop, il vous donnera sans doute beaucoup.

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