The Fisher King, Terry Gilliam (1991)


Jack Lucas (Jeff Bridges) est un animateur de radio vedette qui n’hésite pas à malmener les auditeurs qu’il prend en direct à l’antenne. Un soir, alors qu’il discute avec Edwin, un habitué, il l’exhorte d’une certaine façon à se venger des yuppies, de ces new-yorkais qui ont du succès, quand ce pauvre Edwin, incel comme il se doit, n’en a aucun. Edwin le prend au mot : se rend dans un bar branché et tue plusieurs personnes au fusil à pompe avant de se suicider.

Trois ans plus tard, Jack est au fond du trou, il fait semblant de travailler dans le vidéo-club de sa compagne (belle italienne au look eighties un tantinet pute sur les bords – le pantalon imprimé léopard, ça tue). Jack se noie dans le Jack Daniels et arrive à la conclusion qu’il a tout raté, à commencer par sa vie.

Alors qu’il va se jeter dans le fleuve, un parpaing au mollet, Jack est agressé par deux tueurs de clochards. Avant d’être sauvé de justesse par un chevalier moderne, Parry (Robin Williams), un clodo qui parle aux fées, tutoie Dieu, et sait que le Graal se trouve à New-York.

De tous les films réalisés par Terry Gilliam, mon préféré n’est certainement pas Brazil, comme on pourrait s’y attendre, mais The Fisher king, souvent présenté comme une romance de fantasy (une romantasy !?!) et c’est vrai qu’il y a une romance inoubliable entre Robin Williams et Amanda Plummer, mais c’est surtout une sorte de film définitif sur la rédemption. Tragique, comique, abordant des thèmes très sombres comme la dépression, la folie, la psychose, le célibat involontaire, la faute professionnelle. Le casting est incroyable :Jeff Bridges dans un de ses meilleurs rôles (tour à tour, odieux, admirable, minable, plein d’empathie, hautain à vomir), Robin Williams qui livre une prestation extraordinaire (cet acteur était vraiment génial), Amanda Plummer touchante en femme maladroite et solitaire (l’employée qui lisait des romans d’amour), Mercedes Ruelh épatante en patronne de vidéo-club vulgaire et en même temps d’une immense bonté intérieure.

Quel beau film ! Quel grand film !

Comancheria, David Mackenzie (2016)

comancheria

(Avis avec spoilers.)

Un père divorcé au casier vierge (Chris Pine) et son frère sorti de prison depuis un an (Ben Foster) braquent les succursales de la même compagnie banquière : la Texas Midland Bank. Ils ne prennent que l’argent des caisses et ont prévu de récupérer une somme bien précise pour lever définitivement l’hypothèque du ranch familial, dans lequel leur mère vient de mourir après trois mois d’agonie.

Un vieux Texas Rangers à la blague raciste facile (Jeff Bridges) organise la chasse à l’homme. Il ne lui reste que trois semaines avant la retraite. (Cette partie du film est très cliché, mais est sauvée par la prestation de Jeff Bridges.)

Comancheria / Hell or high water est un bon film. Il pose de bonnes questions sur la justice ou plutôt le sentiment d’injustice. Sous des dehors de comédie policière, de comédie dramatique décalée (un peu façon Coen Brothers, mais en plus social, plus près de l’os), c’est un film qui vous sort très vite de votre zone de confort, car les deux personnages principaux sont indéfendables. Sous des airs de Robin des bois modernes, aux motivations « compréhensibles », ce sont avant tout deux inconscients, particulièrement dangereux, qui prennent énormément de risques pour eux-mêmes et autrui. Et quand le drame survient, on voit bien que Toby (le frère au casier vierge) fait très facilement passer le bonheur (matériel) de ses fils devant la valeur de vies humaines innocentes. Les plateaux de la balance de sa justice sont pipés. A un système capitaliste vicié, il oppose une démarche criminelle et inconsciente, qu’il juge sans doute légitime, parce qu’il s’est fixé un certain nombre de règles. Des règles qui, comme paille au vent, seront balayées par les aléas inhérents à tout parcours criminel et la psychologie défaillante, pourtant connue, de son complice. A priori sympathique, Toby est en fait d’une grande lâcheté morale : en s’associant à son psychopathe de frère, il ne peut ignorer que sa vendetta bancaire a davantage de chances de mal finir que de bien finir. Son déni est soit une preuve d’arrogance soit une preuve d’imbécillité, ou peut-être un mélange des deux. En tout cas c’est un marqueur fort d' »humanité ».

Dans ce film, le crime paie, pas la justice. Parti-pris extrêmement audacieux dans le cinéma américain d’aujourd’hui (parti-pris qui rappelle le bon cinéma américain des années 60-70).

Comancheria / Hell or high water est un bon film ; j’ai aimé ses parti-pris esthétiques, son ambiguïté, son portrait réaliste d’une humanité hypocrite dans sa soif de justice, au final volontiers mesquine et égoïste. C’est un film qui parle de cette injustice de plus en plus ressentie par le quidam confronté aux puissances déshumanisées et vertigineuses de l’argent. Aussi sympathique soit Toby, aussi juste puisse sembler son combat, il se trompe dès le départ d’armes pour le mener. C’est un bon père qui devient criminel, pas un criminel qui enfin assume les charges (morales) de la paternité. En voulant protéger ses enfants, leur tracer un avenir matériel doré sur tranche, il annihile tout ce qui était défendable dans son échec en tant que père.

Ce qu’il gagne d’un côté, une donation matérielle père-fils indue (en tout cas sur le plan moral), ne remplacera jamais ce qu’il a perdu dans sa quête…