La féline, Paul Shrader (1982)

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Quand on s’intéresse un tant soit peu au cinéma fantastique, La Féline de Jacques Tourneur (1942) apparaît comme un film incontournable. Dans ce classique, une immigrée serbe récemment arrivée à New York, Irina, interprétée par Simone Simone, craint de se transformer en panthère si elle a une relation charnelle avec un homme. Son mariage avec un ingénieur va immanquablement mener à une tragédie.

En 1982 sort La Féline de Paul Shrader, une sorte de remake très malin, où une ancienne enfant de la balle, Irina (Nastassja Kinski, fille de), arrive à La Nouvelle-Orléans pour retrouver son frère Paul Gallier (Malcom McDowell) qu’elle n’a pas vu depuis l’âge de quatre ans.

Tout dans la conception du film a été fait pour choquer le public de l’époque et l’auréoler d’un parfum de scandale avant même sa sortie, tout jusqu’au casting. Nastassja Kinski avait défrayé la chronique à cause de sa relation avec Roman Polanski entre 1976 et 1979, entamée alors qu’elle n’avait que quinze ans, et que Polanski restait accusé de viol sur une mineure de treize ans par la justice californienne. (Plus tard, la réalité rattrapa l’oeuvre de fiction, quand Pola Kinski accusa son père Klaus Kinski de viols répétés et Nastassja ajouta aux révélations de sa sœur qu’il avait aussi tenté de la violer.) En 1982, personne n’avait oublié que Malcom McDowell avait, trois ans plus tôt, interprété Caligula dans le scandaleux film éponyme. Côté scénario la barre aussi a été placée assez haute avec une longue scène de prostitution, plusieurs scènes de nu (Nastassja à plusieurs reprises en full frontal – difficilement imaginable de nos jours dans un film américain, Malcom McDowell nu lui aussi), une scène de mutilation particulièrement brutale.

Les dialogues ne sont pas en reste :

Paul Gallier: You want to fuck him, don’t you? You dream about fucking him! Your whole body burns, it burns all along your nerves, in your mouth, your breasts… you go wet between your legs.
Irena Gallier: Stop it!
Paul Gallier: Every time it happens… you tell yourself it’s love. But it isn’t. It’s blood. And death. You can’t escape your nightmare without me, and I can’t escape my nightmare without you. I’ve waited a long time for you.

Le cocktail ne serait pas complet si le sujet du film n’était pas l’inceste, un sujet qui intéressait déjà Paul Shrader en 1976, avec son scénario pour le classique de Brian de Palma Obsession. Car seul l’inceste pourrait permettre à Irina et Paul de faire l’amour sans se transformer. Intéressant renversement des valeurs où le péché mène à l’amour et à la « normalité ».

Trente six ans plus tard, le film a certes perdu un peu de sa superbe, les effets spéciaux des scènes de début, en Afrique, ont mal vieilli, mais les visions de Shrader restent marquantes. Pour tout dire, sacrilège ultime, je le préfère au classique de Jacques Tourneur. Il y a beaucoup plus d’humour noir dans l’écriture, la Nouvelle-Orléans cadre plus avec l’histoire que New York, et la fin me semble magnifique par sa symbolique et sa cruauté frontale.

https://www.youtube.com/watch?v=VpdHMaccjw4

 

A Cure for Wellness / A Cure for Life

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Un jeune col blanc de Wall Street (Dane DeHaan, parfait dans le rôle) est envoyé dans un sanatorium de Suisse pour récupérer M. Pembroke, le patron de sa firme qui doit signer d’importants papiers avant que l’action ne s’écroule définitivement. Dressé au sommet d’une colline, comme le château de Frankenstein, comme le château du comte Dracula, avec un village à ses pieds, le sanatorium est dirigé par le docteur Volmer (Jason Isaacs, fidèle à lui-même – donc impeccable d’une certaine façon). Alors que Pembroke n’est pas décidé à rentrer à New York, Lockhart (le jeune col blanc) découvre un endroit de plus en plus inquiétant. Un terrible accident de voiture, sur le chemin du village, l’oblige à rester malgré lui au sanatorium. Ce n’est pas très important, lui dit-on : personne n’a jamais voulu en partir. Car ici tout le monde est heureux.

A Cure for Wellness est une étrange salade composée de Frankenstein, du Cauchemar d’Innsmouth et de certains ressorts narratifs chers à l’écrivain Ira Levin. Le tout placé dans une Suisse ensoleillée où Rammstein entre en collision avec une médecine steampunk, très XIXe siècle parallèle. Rajoutez à cela une durée inconcevable de 2H26 et, a priori, vous avez tous les ingrédients pour un pot-pourri… plus pourri qu’autre chose. Eh ben, non, ce n’est pas si simple. D’abord A Cure for Wellness est un film d’horreur, un vrai, et donne parfois l’impression d’être le film d’horreur le plus cher de l’histoire du cinéma. Dire que les décors sont réussis est un euphémisme. Tout y est baroque, grandiloquent, mais aussi steampunkisant. Souvent étonnant, sur le simple plan esthétique (il y a des idées à la Terry Gilliam dedans, le Terry Gilliam de Brazil / L’Armée des douze singes). C’est aussi un film « pour adultes », avec des thèmes extrêmement ambigus voire perturbants : inceste, expérimentations scientifiques (avec d’inévitables réminiscences nazies), exploitation du mal-être. Et des scènes à l’avenant : masturbation, nudité (principalement de personnes âgées), menstrues et j’en passe (je ne veux pas spoilier les deux scènes à la limite du soutenable) . J’avoue que je ne m’y attendais pas, pas dans un film à quarante millions de dollars de budget. Effet de surprise garanti. La mise en scène est volontiers impressionnante – on pense au Shining de Kubrick, excusez du peu. Et le film est traversé par un humour tordu, érudit. Tout ça est plein de clins d’œil, de portes dérobées, de petits coups de coude littéraires dans les côtes, etc.

Le résultat final est certes trop long (2h26 ! Sérieux ?), mais la richesse de l’ensemble compense en grande partie sa longueur. Et si le réalisateur cède à certaines facilités (Jason Isaacs dans le rôle du « méchant » de service), il rend hommage à un cinéma américain « adulte » qu’on croyait perdu corps et âme. Et à un cinéma Hammer&co qui n’a jamais eu autant de moyens financiers.

Une dernière chose m’a frappé, les meilleurs films « lovecraftiens » sont presque toujours ceux qui abordent l’univers de Lovecraft d’une façon oblique ou détachée, comme L’antre de la folie de John Carpenter (un des rares scénarios du producteur Michael de Luca). Même s’il est situé en Suisse et ne contient aucun Grand Ancien (en dehors du Capital), A Cure for Wellness devrait plaire aux fans de Lovecraft.

Brimstone, Martin Koolhoven (2016)

Brimstone

Dans une petite communauté américaine, Liz (Dakota Fanning), muette mais pas sourde, officie en tant que sage-femme avec l’aide de sa fille. Elle est terrifiée par le révérend (Guy Pearce) ; à raison, ces deux-là ont un passé commun particulièrement tourmenté. Un jour, à la fin d’un office, Liz est confrontée à un accouchement qui se présente très mal. Et la voilà plongée très vite dans un terrible dilemme : elle doit choisir entre la mère et l’enfant. Une fois son choix fait, le pasteur se rapproche d’elle pour lui faire comprendre qu’elle s’est substituée à Dieu et qu’il y aura par conséquent un châtiment. Liz le sait depuis longtemps (depuis une époque où elle s’appellait Joanna)  : il y a des choses pires que la mort…

Sous des guenilles de western crépusculaire à la Unforgiven (qui date déjà de 25 ans), Brimstone est un film d’horreur, époustouflant, avec des scènes frontales d’une brutalité assumée (éviscération, mutilation, viol). Au delà de sa radicalité étouffante, presque mécanique, Brimstone est un film étrange ; je ne pense pas que son scénario (un poil too much), partiellement construit à rebours, fonctionne totalement… une fois les pièces du puzzle remises en place dans le bon ordre (il y a trop de coïncidences « malheureuses »), mais le tour de magie fait toutefois son effet, car le réalisateur/scénariste vous prend à la gorge tout de suite et ne desserre pas son effort pendant près de 2H30. Brimstone est une inexorable descente aux enfers, métaphorique en diable, à la fois viscérale et intellectuelle, via laquelle Martin Koolhoven explore inlassablement la nature du mal. Ici, c’est la concupiscence qui est au centre de l’intrigue, la concupiscence et l’inceste (justifié par un passage de la Bible, tant qu’à faire). Sur ce plan, Brimstone est terrible, obsessionnel, sans pitié aucune, c’est un couteau qui racle un os, encore et encore, tant qu’il reste de la chair dessus. Le réalisateur place sous une menace terrible, d’une injustice révoltante, pas moins de trois générations de femmes, de mère en mère en fille. La réussite de l’entreprise, son impact assuré, tient à Guy Pearce, qui incarne un des pires « méchants » de l’histoire du cinéma ; le fantastique n’est pas très loin. On peut voir en lui une imparfaite incarnation du diable, ce que semble nous souffler le titre original, Brimstone signifiant soufre.

Le feu, la boue, le sang, les viscères, les violences faites aux femmes sont les motifs récurrents de ce voyage au bout de l’enfer.