A beautiful day – Lynne Ramsay (2017)

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Joe (Joaquin Phoenix) est un tueur. Son arme de prédilection est le marteau. Joe s’occupe de sa mère atteinte d’Alzheimer ou une saloperie du même genre. Joe n’est pas un bon fils. Il tente de se suicider, souvent, mais n’y arrive pas, pas vraiment. Joe est gras, Joe est moche. D’une certaine façon, il a quitté l’humanité. Et puis un jour, un sénateur lui demande de sauver sa gamine victime d’un réseau de pédophiles. Non : nuance. Un jour un sénateur lui demande de faire souffrir les gens qui ont prostitué sa gamine. Joe n’a pas grand chose à perdre, mais il fait face à des gens condamnés à gagner, ou à disparaître à jamais. Aucune demi-mesure ne sera possible. A ce jeu-là, il n’existe aucune règle.

Il y a des films qui sont hypnotisants tellement ils sont bien filmés, avec un sens aiguisé du rythme, du cadrage, de la mise en scène. Si maîtrisés sur le plan formel que vous les regardez sans vraiment réellement comprendre ce que vous regardez et, de temps en temps, vous sursautez, vous avez pris une image en pleine gueule, une scène vous a écrasé le cerveau comme si vous aviez été heurté par un 38 tonnes, une simple phrase vous a scotché à votre canapé.

Pour tout dire, j’ai vu ce film une première fois il y a un mois environ, il m’a laissé épuisé. J’ai trouvé que si on enlevait Joaquin Phoenix plus rien ne tenait, que l’histoire était idiote, qu’il y avait des problèmes dans le scénario, des faiblesses de construction, etc. Et, en même temps, putain, j’ai ressenti à peu près la même chose que la première fois que j’ai vu Only God forgives qui occupe une place de choix dans mon panthéon personnel. J’ai revu hier le film, et j’ai été bluffé, de nouveau, différemment : je connaissais l’histoire, chacun de ses points faibles, chacun de ses point forts et malgré cela BLAM ! une série d’uppercuts dans la gueule.

D’habitude les films ancrés dans une recherche formelle primaire ont tendance à me fatiguer. Là non. D’une histoire simple (et qui, à mon humble avis, ne résiste à aucune analyse sérieuse – donc c’est un conte de fées, datant de l’époque où les contes de fées était d’une cruauté suffocante) Lynne Ramsay tire un film d’une brutalité bluffante. Je n’aime pas le cinéma de Gaspard Noé (je ne l’ai jamais compris), je pense qu’on pourrait facilement comparer ce A beautiful day au cinéma de Gaspard Noé, mais Ramsay me semble plus fine et abat un atout que Gaspard Noé n’a jamais eu : un Joaquin Phoenix stratosphérique. Stupéfiant de la première à la dernière minute.

C’est l’histoire d’un ogre qui va sauver le petit chaperon rouge des grands méchants loups. Va-t-il réussir, échouer ? Et si l’enjeu n’était pas là ? Ne l’avait jamais été ?

Miss Sloane, John Madden (2016)

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Elizabeth Sloane (Jessica Chastain) est une lobbyiste. Elle est payée pour faire changer les sénateurs d’opinion sur les lois qu’ils vont voter. Elle peut très bien défendre les intérêts de l’Indonésie (le commerce de l’huile de palme) comme ceux du peuple américain. Contactée par le puissant lobby des armes à feu pour féminiser le mouvement et faire de l’américaine moyenne une acheteuse d’arme potentielle qui prend sa sécurité en mains (armées), Sloane refuse et claque la porte de la puissante firme pour laquelle elle travaille. Engagée par la concurrence, Sloane se jette corps et âme (vous savez ce truc sans valeur qu’on vend parfois au Diable) pour défendre un projet de loi sur le contrôle des armes, une loi que tout le monde pense perdue d’avance.

Dire que Jessica Chastain est impressionnante dans le rôle d’Elizabeth Sloane est un peu court. Sa prestation vaudrait amplement une tirade aussi roborative que la tirade du nez de Cyrano. Donc, elle est splendide, renversante, parfois terrifiante dans son manque d’empathie. Elle sait sentir à quel point son personnage est pathétique, quand il requiert la compagnie de prostitués du genre « 100 kilos de barbaque montés sur burnes en acier ».

Le film est bluffant de bout en bout, notamment dans l’intelligence de ses choix (il était bien plus facile de faire de Sloane la « méchante » à la solde du lobby des armes que d’en faire la « méchante » partisane d’un meilleur contrôle de la vente d’armes à feu sur le sol américain). Sloane est une vraie hyène et le paye au prix fort, addiction aux excitants, insomnies, sexe tarifé, aucune vie de famille, rien qui ressemble à un ami homosexuel ou à une copine-shopping. Elle bosse, elle manipule, elle ment, elle dort très peu, elle complote, elle met les mains, et volontiers les bras, dans les poubelles de la concurrence, et elle utilise des méthodes franchement illégales que découvre son patron (Mark Strong, excellent lui aussi), pour le moins effaré. Et si ça ne suffit pas, elle vous écrase, vous sacrifie, vous exploite. Pour gagner. Car elle a un rapport pathologique à la victoire.

Miss Sloane est construit comme un tour de magie.

 » Chaque tour de magie comporte trois parties ou actes. Le premier s’appelle la promesse. Le magicien vous présente quelque chose d’ordinaire : un jeu de cartes, un oiseau ou un homme. Il vous le présente. Peut-être même vous invite-t-il à l’examiner afin que vous constatiez qu’il est en effet réel, oui, intact, normal. Mais il est bien entendu loin de l’être.
Le deuxième acte s’appelle le tour. Le magicien utilise cette chose ordinaire pour lui faire accomplir quelque chose d’extraordinaire. Alors vous cherchez le secret. Mais vous ne le trouvez pas parce que bien entendu vous ne regardez pas attentivement. Vous n’avez pas vraiment envie de savoir. Vous avez envie d’être dupé.
Mais vous ne pouvez vous résoudre à applaudir parce que faire disparaître quelque chose est insuffisant encore faut-il le faire revenir.
C’est pourquoi pour chaque tour de magie, il existe un troisième acte. Le plus difficile. Celui que l’on nomme : le prestige. « 

La magicienne c’est Sloane, la chose ordinaire c’est une loi dont le vote est perdu d’avance, la chose extraordinaire, c’est que l’opinion publique bascule (ce qui est déjà perçu comme une victoire en soi), mais le basculement de l’opinion n’implique pas une victoire au sénat. Ça ne suffit pas à Sloane. Reste le troisième acte, le plus difficile…

Miss Sloane a été un désastre au box-office américain : 3,4 millions de dollars de recettes pour 15 millions de dollars de budget estimé. C’est évidemment consternant. Ce film, qu’on peut rapprocher de Spotlight pour son ambition, la qualité de son interprétation et son intelligence globale, est plus que recommandable.

(C’est amusant à relever : le film contient un minuscule élément de science-fiction qui laisse supposer qu’il se déroule dans un futur très proche, visuellement indiscernable de notre présent.)