L’Impasse, Brian de Palma (1993)

°

Après plusieurs années passées en prison, Carlito Brigante (Al Pacino, au sommet de son art) est relâché. Son avocat, Kleinfeld (Sean Penn), a trouvé un vice de procédure qui annule le jugement. Carlito veut changer, il veut s’associer avec un ancien taulard qui vient de s’installer aux Bahamas pour y créer une entreprise de location de voitures. Carlito doit trouver 75 000 dollars pour quitter le Bronx. Il va vite s’apercevoir que le quartier de son enfance a bien changé. De nouveaux gangsters ont mis la main sur le trafic de drogues, des chiens fous comme Benny Blanco (John Leguizamo) qui ne respectent aucune règle, aucune personne. Carlito aimerait emmener Gail (Penelope Ann Miller, bouleversante) avec lui, une danseuse douée, mais qui n’arrive à gagner sa vie qu’en faisant du go-go dancing.

En 1993, dix ans après Scarface, Brian de palma retrouve Al Pacino et lui offre à nouveau un rôle d’anthologie. Mais il ne tourne pas un conte de fée, mais bien la chronique d’une mort annoncée, une tragédie grecque où tout est écrit à l’avance, où la fin est connue dès le début. Pacino, magnifique, avance vers sa mort, trahi de toutes parts, menacé par ceux qui se disent ses amis et même ceux qui furent vraiment ses amis. C’est Shakespeare dans le Bronx. Quatre ans après Outrages, Brian de Palma retrouve Sean Penn pour lui offrir un rôle absolument incroyable. Le cheveu frisé, aussi amical qu’un vendeur de voitures d’occasion, Sean Penn incarne le plus pourri des avocats new-yorkais, défoncé à la coke H24 et prêt à jeter son seul ami, Carlito, aux enfers, pour tenter d’échapper à la maffia italienne.

Le film contient de nombreux morceaux de bravoure : la partie de billard, l’évasion du vieux Taglialucci, la fusillade du métro (qui rappelle dans sa maestria celle des Incorruptibles). On ne voit pas passer ses 2h24.

Carlito a tué, à plusieurs reprises. Il est doué pour ça. Il s’est construit dans la violence, il s’est enrichi grâce à elle, et il n’échappera pas au retour de manivelle.

Sa rédemption vouée à l’échec dessine une fresque urbaine passionnante de bout en bout. Et on se surprend même à souhaiter qu’il arrive à concrétiser son rêve.

The Irishman, Martin Scorsese (2019)

irishman

//

The Irishman (l’irlandais) c’est Frank Sheeran (Robert De Niro), camionneur, voleur et tueur pour la mafia qui va prendre une importance considérable dans l’organisation syndicale de Jimmy Hoffa (Al Pacino). Protégé par Russel Bufalino (Joe Pesci), Frank va monter, monter, monter ; mais à quel prix ?

[AVIS AVEC SPOILERS – vous voilà prévenus]

The Irishman est, en matière de film sur le crime, l’exact opposé de Heat de Michael Mann qui en 1995 révolutionnait le polar en mettant face à face un flic totalement azimuté, vorace, interprété par Al Pacino et un voleur extrêmement organisé, interprété par De Niro. Pacino finissait par tuer De Niro. Avant ça le duel entre les deux avait acquis un aspect mythologique via une conversation, un face à face, qui restera dans les mémoires, sans doute beaucoup plus que leur fusillade finale, près de l’aéroport de Los Angeles. Heat construisait une mythologie avec des inconnus, The Irishman redescend des gens connus (Hoffa, le clan Kennedy, la mafia New Yorkaise à l’origine de la création de Las Vegas) à hauteur d’homme, en fait parfois de simples pions, montre des gangsters idiots, incultes, craspecs et pour tout dire foncièrement médiocres qui rappellent ceux de Gomorra. On est loin de la flamboyance de la trilogie du Parrain de Coppola.

Dans The Irishman, la conclusion est connue depuis le début : Frank va tuer Jimmy Hoffa. Pourquoi et comment forment les deux arrêtes centrales du film. Pourquoi, à cause des Casino, de Cuba, de JFK, de la collusion entre les politiques et la mafia italienne. Ça nous ramène à American Tabloid de l’infréquentable James Ellroy (plutôt un bon bouquin, cela dit). Comment, c’est par le biais d’un long voyage en voiture que Frank fait avec Russell et leurs deux épouses qui n’ont de cesse de faire arrêter le véhicule pour pouvoir cloper et papoter. Dans The Irishman, les mots tuent plus que les coups de revolver. Le mot est un art subtil, le revolver juste un outil vulgaire. L’acier bleui, Scorsese ne s’y attarde pas, il s’en débarrasse dans une rivière où les armes s’accumulent. Il se concentre sur le portrait d’un homme qui semble avoir tout réussi et a tout raté, notamment sa vie de famille. Un homme très entouré et pourtant très seul. Le film entretient un dialogue inévitable avec Heat mais aussi avec ce qui est sans doute le plus grand film de l’histoire du cinéma : Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, dans lequel jouaient déjà Robert de Niro et Joe Pesci.

The Irishman dans sa volonté réaliste, naturaliste ai-je presque envie d’écrire, est une grande fresque de la médiocrité et de l’échec, une sorte de tragédie morale russe, greffée sur le territoire américain. Joe Pesci y est formidable de bout en bout, un oscar ne serait pas volé. Le procédé de rajeunissement des visages a parfois tendance à figer les expressions, surtout chez Al Pacino, trouvé-je. C’est un procédé bluffant, la plupart du temps, mais qui dans certaines scènes est un peu trop voyant. Robert De Niro semble rejouer un rôle qu’il a déjà interprété plusieurs fois, notamment dans Casino. Il a échoué à m’impressionner ; ça fait longtemps que je me dis que cet acteur n’est plus le monstre qu’il a été. The Irishman est un lent requiem, un film sur la mort, la trahison. C’est aussi le film d’un vieil homme (Martin Scorsese a 78 ans). Ce n’est pas un mauvais film, loin de là, mais il a peiné à me surprendre et son faux-rythme m’a semblé au final assez fatigant.

Je suis déçu, mais je comprends qu’on puisse trouver ça génial.