Rashōmon, Akira Kurosawa (1950)


Un bûcheron, un bonze et un manant attendent la fin de l’orage sous une porte en ruine. La Porte de la vie.

Le bûcheron ne comprend pas.

Le bonze ne comprend pas davantage.

Et le manant demande aux deux autres ce qu’ils ne comprennent pas.

Un homme est mort. Et chacune des parties impliquées (y compris le mort !) a une version différente ce qui s’est passé. Une chose est sûre : une femme a été violée par un brigand et, peu après, son mari est mort.

Immense classique du cinéma mondial, Rashōmon (羅生門), Lion d’or à Venise en 1951, Oscar d’honneur du meilleur film étranger en 1952, a permis à toute une génération de cinéphiles de découvrir un autre cinéma, celui du Japon. Assez théâtral (le début peut faire penser à En attendant Godot de Samuel Beckett, écrit en 1948… mais publié en 1952), le film est inspiré de deux nouvelles de Ryūnosuke Akutagawa (1892-1927), « Rashōmon » et « Dans le fourré » toutes deux disponibles dans le recueil Gallimard. Par une narration révolutionnaire pour l’époque, Akira Kurosawa nous fait revivre en flashbacks le point de vue de chacun des protagonistes. Une médium (chamane japonaise) donnera le point du mort au magistrat qui juge l’affaire. Par ailleurs, le film qui fait référence aux bombardements de Nagasaki et Hiroshima de façon plus que subtil, y gagne une force indéniable. Point de vue des vainqueurs/point de vue des vaincus. Point de vue des bourreaux/Point de vue des victimes, rien n’est simple dans la vie. Après l’enfer de la Seconde guerre mondiale, Kurosawa avait besoin d’avoir de nouveau foi en l’homme.

J’ai visionné le film dans sa version restaurée (Blu Ray chez MK2/Potemkine, bluffante édition remplie de bonus) et comparé à mon ancien DVD dont la vision relevait de la torture oculaire, il n’y a vraiment pas photo.

Merci à MK2 d’avoir donné à ce chef d’œuvre l’édition Blu-ray qu’il méritait.

Sa Majesté des mouches, Sir Peter Brook (1963)


Première adaptation du premier roman de William Golding (Lord of the flies, 1954), le film de Sir Peter Brook ne cache à aucun moment sa nature « métaphorique » (on est dans le même genre de métaphore puissante que La Ferme des animaux d’Orwell). Après un accident d’avion peut-être provoqué par une attaque nucléaire (c’est en tout cas ce que suggère le réalisateur en générique d’ouverture), des garçons (il n’y a aucune fille dans le lot) se retrouvent sur une île tropicale déserte. Ils sont de plusieurs âges différents. Aucun n’est blessé, aucun ne semble manquer à l’appel (d’où le statut métaphorique que j’impose d’emblée au film). Rapidement deux clans se forment : celui de Ralph le porteur de conque qui pense que des règles sont nécessaires et celui de Jack qui ne pense qu’à chasser le sanglier et vivre comme des sauvages (comme si les « sauvages » n’avaient pas de règles). Ces enfants perdus, effrayés pour la plupart, vont faire l’expérience de la mort.

Voilà un film pas tout neuf, tourné en décors naturels à Porto Rico (sur l’île de Vieques), qui n’a rien perdu de sa force. Certaines des scènes sont impressionnantes sur le plan cinématographique, mais aussi par la direction d’acteurs qu’elles sous-tendent. Par exemple : une dizaine de gamins qui exécutent une espèce de danse / transe avec des lances autour d’un feu.

Sa majesté des mouches est très court (pour les standards actuels), 92 minutes, une demi-heure supplémentaire ne m’aurait pas dérangé tant on est immergé dans cette histoire à la fois horrible et magnifique.

Un classique. Impossible de passer à côté.

PS : Il existe une nouvelle version, L’Île oublié, tournée à Hawaï, je l’ai en DVD. J’en garde un bon souvenir.

Jimmy P., psychothérapie d’un indien des plaines, Arnaud Desplechin (2013)


[3615 My life] J’achète des tonnes de blu-ray et de DVDs, à tel point que je ne sais plus où les mettre chez moi. Ça s’entasse en piles un peu partout. C’est un peu Beyrouth après une attaque israélienne. De temps en temps, j’exhume un titre acheté des années auparavant et que je n’ai pas encore visionné. C’est exactement ce qui est arrivé avec ce film, d’un réalisateur que j’apprécie pourtant. Sur un sujet qui m’intéressait. Je crois que ce qui m’a freiné toutes ces années c’est voir Benicio Del Toro, très bon acteur, là n’est pas la question, incarner un indien Blackfeet. Del Toro est né à Puerto Rico et non dans une réserve indienne et, d’une certaine façon, ça se voit. [/3615 My life]

Jimmy Picard (Benicio Del Toro), vétéran de la libération de la France, blessé à la tête, vit dans le ranch de sa sœur aîné où il s’occupe des vaches. Il a des problèmes de santé. Il n’arrive plus à distinguer les rêves de la réalité. Sa sœur l’emmène se faire soigner dans un hôpital militaire de Topeka (Kansas) où on le diagnostique schizophrène avec des traits autistiques. Un anthropologue français, le docteur Devereux (Mathieu Almaric), honteux de ses réelles origines, ne croit pas à ce diagnostic et va aider Jimmy à s’extraire de ses maux de tête et de ses crises d’alcoolisme.

Jimmy P. est vraiment un très beau film (avec de minuscules défauts sur lesquels on passera ; comme on essayera de se débarrasser du sentiment parfois de voir un remake de Will Hunting, car Desplechin n’y est pour rien). On oublie très vite que Del Toro n’est pas blackfoot. Mathieu Almaric est excellent. C’est vraiment un acteur virtuose. Le reste du casting est convaincant. Et personnellement, j’ai été submergé par l’émotion dans la dernière demie-heure.

Par sa pureté, la dernière scène est une leçon de cinéma.

Je conseille.