Serena, Susanne Bier (2014)


États-Unis, années 30, juste après la crise de 29.

George Pemberton (Bradley Cooper), qui a eu la bonne idée d’engrosser sa cuisinière, possède une exploitation forestière dans les Smoky Mountains de Caroline du nord, montagnes qu’il est bien décidé à « raser ». Il possède aussi des terres au Brésil pour lesquelles il s’est endetté. Durant un déplacement professionnel – il faut savoir calmer les banques – il rencontre Serena (Jennifer Lawrence), une jeune femme qui a grandi dans une immense exploitation forestière du Colorado et a tout perdu dans un incendie. Sans même la connaître, il la demande en mariage et elle accepte. Arrivée dans l’exploitation forestière de George, Serena reprend tout en main et fait venir un aigle pour se débarrasser des crotales qui tuent ou blessent les bûcherons.
Un projet de parc naturel va mettre le feu aux poudres.

Échec commercial cinglant (30 millions de budget, 5 millions de recettes mondiales – aouch) Serena déçoit. On ne cesse d’imaginer un autre film. Dirigé par Martin Scorsese (n’est-on pas près de son Killers of the flower moon ?) ou Paul Thomas Anderson (There Will be blood). Le couple de stars est un peu trop propre. Jennifer Lawrence joue Serena, mais n’est pas Serena. On imagine Jessica Chastain à la place. Ou (mieux ?) Andrea Riseborough. Le choix de l’excellent Rhys Ifans dans le rôle du trappeur est lui aussi étrange, il est un poil trop distingué / guindé. Tobie Jones en Sheriff, ça aussi c’est étrange, même si pas totalement dénué d’intérêt (après, je ne vois pas quel genre d’Américains des années 30 éliraient Tobie Jones comme Shériff). A aucun moment, Susanne Bier n’arrive à amener Serena, cette Lady Macbeth des Smoky Mountains, à son point d’incandescence. Tout le contraire de ce que Martin Scorsese avait réussi avec Lily Gladstone dans Killers of the flower moon bouleversante dans la dernière demi-heure du film.
Le plus décevant, c’est sans doute l’incapacité de la réalisatrice danoise (il ne faut pas l’oublier) à mettre en scène la nature, pourtant au centre du film (et de ses enjeux). Elle ne sait pas la valoriser, opposer sa sauvagerie à celle des hommes (et d’une femme).

On ne passe pas vraiment un mauvais moment, disons que c’est « tenu » de bout en bout, mais tout ça est trop sage, trop lisse, à l’image des deux stars (Cooper et Lawrence) qui font plus démonstration de leur statut que de leur talent.

Quelqu’un comme Jacques Audiard (The Sisters brothers) ou Alejandro González Iñárritu (The Revenant) aurait tout explosé avec un scénario de ce genre.

(Le roman de Ron Rash se trouve facilement d’occasion à un prix raisonnable.)

La Corde raide, Richard Tuggle (1984)

Wes Block (Clint Eastwood) est policier à la Nouvelle Orléans. Il enquête sur une série de viols suivis de meurtres. Le jour, Wes Block est un bon père de famille qui s’occupe de ses deux filles (dont l’une est incarnée par la fille de l’acteur, Allison Eastwood) et récupère tous les chiens errants du quartier. La nuit, Wes se perd dans le quartier rouge de la Nouvelle Orléans où il explore les coins les plus sombres de sa sexualité (domination, soumission, et peut-être même bisexualité, comme c’est suggéré dans la scène du bar gay). Au fur et à mesure que son enquête avance, les soupçons se concentrent un peu plus sur lui, d’autant qu’il a eu une liaison éphémère avec une des jeunes victimes.

Clint Eastwood, acteur, a toujours aimé les rôles ambigus, chez Don Siegel (L’Inspecteur Harry, Les Proies), dans ses propres réalisations (L’Homme des hautes-plaines, Impitoyable). Cette ambiguïté a souvent tourné autour des notions de violence légitime. Dans La Corde raide (tourné un an à peine après Le Retour de l’inspecteur Harry où il était aussi question de viols), il explore la sexualité déviante d’un père de famille, flirtant sans cesse avec les questions « qu’est-ce qui est légal ? » « qu’est-ce qui est moral ? ». Le film est très fort. Y compris dans l’idylle qui se dessine entre Wes (flic macho, par essence) et la défenseuse des droits des femmes Beryl Thibodeaux (Genevieve Bujold, magnifique). Comment ces deux-là peuvent-ils se rapprocher ? Peut-être parce que Wes, malgré ses apparences de flic insubmersible, est un homme perdu, ou du moins fragile qui, paradoxalement, a besoin de tendresse (il en est ouvertement question, au cours d’un dialogue). Peut-être parce que Beryl aime trop les hommes pour ne pas savoir comment se protéger de leurs plus sombres pulsions.

41 ans après sa sortie, La Corde raide reste un excellent polar, bien moite, presque perturbant. Évidemment, la Nouvelle Orléans n’a pas été choisie au hasard.

The Ghost Writer, Roman Polanski (2010)


L’ancien premier ministre britannique Adam Lang (Pierce Brosnan) a écrit ses mémoires avec l’aide d’un de ses fidèles collaborateurs. Mais voilà que l’homme est retrouvé mort sur une plage et qu’il doit être remplacé de toute urgence. La maison d’édition qui a acheté à prix d’or les mémoires d’Adam Lang fait appel à un nègre (Ewan McGregor, parfait). En villégiature sur une île des USA, Adam Lang se trouve mis en examen par la cours pénale internationale pour des faits de crimes de guerre (pour rappel, les USA ne reconnaissent pas la CPI). C’est dans cette ambiance que le nègre commence son travail et fait la connaissance de Ruth (Olivia Williams, impressionnante), la femme d’Adam. Alors que l’ancien premier ministre a l’air d’un parfait idiot dont on ne comprend pas bien comment il a pu accéder à autant de responsabilités, Ruth semble au contraire une femme remarquable, d’une intelligence aussi aiguisée qu’un scalpel.

Chaque fois que je vois ce film, je suis impressionné, et je l’ai vu plusieurs fois dans ma vie. C’est un des rares films (à ma connaissance), avec Misery, à bien parler d’écriture… qu’est-ce qu’écrire ? A quoi ça sert ? Au-delà de cette problématique, qui m’intéresse pour des raisons évidentes, Roman Polanski dresse un portrait au vitriol du passage de Tony Blair au 10 Downing Street. La partie écriture est intéressante, la partie politique est passionnante. Roman Polanski sait mieux que quiconque installer une atmosphère angoissante (le film nous rappelle indirectement que Polanski réalisa Rosemary’s Baby en 1968). Passée la première heure du film, The Ghost Writer verse dans le thriller de haut-vol et ne faiblit jamais, malgré ses deux heures bien tassées.

Je conseille.

Earthdivers : « A mort, Christophe Colomb », Stephen Graham Jones (scénario) | David Gianfelice (dessin) | Joana Lafuente (couleurs)


[Résumé éditeur :]

Et si la seule solution pour stopper l’apocalypse était de retourner dans le passé pour tuer Christophe Colomb ? 

Nous sommes en 2112, et c’est l’apocalypse exactement comme prévu : les rivières reculent, les océans montent, la civilisation s’effondre.
L’humanité a perdu tout espoir, à l’exception d’un groupe de survivants indigènes exclus qui ont découvert un portail de voyage dans le temps dans une grotte au milieu du désert et réalisé où le monde a pris un tournant brutal vers le pire : l’Amérique.
Convaincus que la seule façon de sauver le monde est de réécrire son passé, ils renvoient l’un des leurs en aller simple sans retour possible en 1492 pour tuer Christophe Colomb avant qu’il n’atteigne le soi-disant Nouveau Monde. Mais se débarrasser d’une icône n’est pas chose facile, et les actes du voyageur pourraient s’avérer dévastateurs pour ses amis à l’avenir.

[/Résumé éditeur]

J’étais plutôt enthousiaste à l’idée de lire ce comics Black River : les Indiens d’Amérique, la catastrophe climatique, 2112 (année symbolique). Franchement les ingrédients m’attiraient, sans parler de Stephen Graham Jones au scénario, que je ne connais pas personnellement, mais dont j’ai lu plusieurs ouvrages en VO, dans le cadre de mon travail d’éditeur chez Albin Michel.

Sans être une catastrophe industrielle, Earthdivers m’a déçu. Pour faire simple, je trouve que rien ne fonctionne. La partie en 1492 est d’un manque de crédibilité insurmontable. La partie en 2112 est pataude dans son écriture et peine à passionner le lecteur (elle fait remplissage, alors qu’elle contient peut être l’idée la plus révoltante, la plus forte, de l’ensemble). Et quand le scénario part en sucette, on est vraiment dans la sortie de route incontrôlée, toutes les ratiches plantées dans un mur en béton armé.

Croire que tuer Christophe Colomb pourrait empêcher le génocide des Indiens d’Amérique est un peu naïf, pour ne pas dire ridicule. Déjà le point de départ est « faible ».

Trop proche de son sujet, l’injustice du génocide des Amérindiens, Stephen Graham Jones offre une œuvre sincère mais maladroite, bancale, qui avance à cloche-pied jusqu’à sa conclusion insatisfaisante, pour le moins.

Je m’épargnerai le tome 2. Non sans regret.

Dead Zone, David Cronenberg (1983)


Johnny Smith (monsieur tout le monde, donc) professeur de littérature a un malaise en faisant des montagnes russes avec sa petite-amie. Quand elle lui propose de passer la nuit ensemble, il refuse, préférant « attendre » et reprend la route sous une pluie battante. Un terrible accident de voiture le plonge alors dans le coma. Quand il se réveille cinq ans plus tard, il a tout perdu : son travail, sa petite amie – mariée, père d’un petit garçon. Mais Johnny a gagné un don : celui de voir des éléments traumatiques, passés, présents, futurs… en touchant la main de la personne impliquée.

Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas revu et ce film reste absolument formidable. Admirable, même. Le scénario (beaucoup de choses ont été retranchées du roman de Stephen King) tient plus que la route. Les personnages sont très incarnés. Et que dire de la prestation de Christopher Walken, qui décroche là un de ses meilleurs rôles.

Alors que Trump retourne à la Maison Blanche (ça y est, c’est fait au moment où j’écris ces lignes), le film devient encore plus angoissant. Les similitudes sont nombreuses et le candidat à la présidence Greg Stillson (interprété par un Martin Sheen halluciné) rappelle beaucoup Xavier Milei et d’autres populistes du même tonneau.

Angoissant, mais tellement bien. C’est le moment parfait pour le revoir.

(Âmes sensibles s’abstenir, il y a une scène qui reste, même quarante ans après, vraiment choquante. Le film existe en plusieurs montages, plus ou moins censurés. La version intégrale est de loin la plus forte, n’en déplaise aux censeurs.)

PS : Une édition Blu ray restaurée ne serait pas du luxe.

Toutes les morts de Laïla Starr, Ram V – Filipe Andrade


Parce qu’un bébé est sur le point de naître et que ce bébé, plus tard, va trouver le secret de l’immortalité, la Mort est mise au chômage par les autres dieux. Après avoir possédé le corps d’une jeune femme qui vient de mourir (accident, suicide ?), la Mort devient Laïla Starr et décide de mettre fin à la vie du bébé, Darius Shah, qui sans le vouloir l’a privée de son travail. Mais la tâche va se révéler plus ardue que prévu. D’autant plus ardue que Laïla Starr a la fâcheuse habitude de mourir dans des circonstances souvent incongrues.

Voilà une BD qui commence comme une nouvelle de Neil Gaiman (a.k.a l’Antéchrist). Puis continue comme une espèce de balade poétique autour de la mort. Le cadre indien ajoute une touche d’originalité, mais la banalité du propos fait que l’ensemble ne décolle jamais. C’est une lecture d’automne, un peu maussade, un peu onirique, un peu mélancolique. Les Portugais parleraient sans doute de saudade.

J’ai bloqué dès le début sur un détail pourtant très secondaire. Pourquoi mettre la Mort au chômage tant que l’immortalité n’a pas été découverte ? Pour une raison – idiote ? – j’ai imaginé que ça pouvait être l’intrigue principale ou une sous-intrigue de la BD. Au final, ce point de détail (visiblement insignifiant aux yeux du scénariste) a pris (à mes yeux) les proportions d’une immense faille scénaristique.

Ce n’est pas une mauvaise BD, loin de là, juste je m’attendais à plus d’imaginaire et moins de « quotidien » indien.

Après These Savage Shores, c’est mon second RDV raté avec Ram V.

Chevauchée avec le diable, Ang Lee (1999)


Jake Roedel (Tobey Maguire, parfait) est né en Allemagne et a suivi sa famille aux USA. Alors que la guerre de Sécession éclate, il décide de se rallier aux rebelles sudistes avec son ami d’enfance Jack Bull Chiles (Skeet Ulrich, dans son meilleur rôle ?). Les deux amis vont vite découvrir les horreurs d’une guerre fratricide. Jake qui a un a priori négatif sur les nègres va pourtant apprendre à connaître Holt (Jeffrey Wright, incroyable), ancien esclave libre, qui se bat du côté des sudistes par fidélité envers l’homme qui lui a donné sa liberté. Et si les deux hommes s’étaient trompés de camp ?

C’est en faisant du rangement dans mes DVDs que j’ai retrouvé ce film que je n’avais jamais visionné (il était encore sous cellophane). Pourquoi ? Sans doute parce que je me méfiais d’un film sur la guerre de Sécession réalisé par Ang Lee (réalisateur taïwanais). J’aime bien Ang Lee, notamment pour Tigre et Dragon tourné un an plus tard, mais il est d’une irrégularité un peu déconcertante. Pour en revenir à Chevauchée avec le diable, quelle erreur ! C’est vraiment un excellent film. On ne s’ennuie pas une minute. Aucun personnage n’est monolithique. Les scènes terribles sont suivies de scènes « de respiration » bienvenues, voire de scènes de comédie. Et il y a tant de choses à se mettre sous la dent. Tant de thèmes. C’est un film riche, bien écrit, bien réalisé, qui provoque de fortes émotions et, en même temps, montre toute la complexité des conflits, sans jamais verser dans la naïveté ou l’idéalisme. Le casting est impeccable (depuis 1999, certains des seconds rôles du film sont devenus des stars, comme Mark Ruffalo) et Jeffrey Wright, une fois de plus, déchire tout.

Je conseille sans réserve.

Sierra Torride, Don Siegel (1970)


Hogan (Clint Eastwood) a été engagé par les rebelles mexicains pour faire tomber la garnison française de Chihuahua. En chemin, il porte secours à une femme (Shirley MacLaine) sur le point d’être violée par trois bandits mexicains. Quand elle se rhabille, Hogan découvre médusé qu’il s’agit d’une soeur catholique. Poursuivie par l’armée française, car elle aide aussi les rebelles mexicains, Hogan se met en tête de protéger cette foutue bonne femme têtue comme une pioche. Évidemment, lui qui ne dit s’intéresser qu’à l’argent, ne va pas tarder à en tomber amoureux.

Méconnu dans la filmographie de Clint Eastwood, Two mules for sister Sara (je préfère le titre américain) est une comédie d’aventure à l’ancienne qui a le cul entre deux chaises : entre le western classique et le western Spaghetti/western ultraviolent de Sam Peckinpah. Une impression très forte qu’accentue la musique d’un Ennio Morricone moins inspiré qu’à son habitude, il faut le reconnaître. Les scènes de comédie sont là et elles sont nombreuses, le duo fonctionne à merveille. Les scènes de violence sont là, presque incongrues dans ce film souvent léger, souvent grivois. Shirley MacLaine est la star du film, d’ailleurs son nom apparaît en premier au générique et elle est épatante dans sa façon d’utiliser ses charmes, n’en faisant ni trop ni pas assez.

Le film se penche sur un épisode assez méconnu de l’histoire française et notamment les crimes que l’armée française commit au Mexique.

Pur divertissement où ces cochons de Français en prennent pour leur grade, Two Mules for sister sara est tout à fait recommandable, ne serait-ce que pour voir Shirley MacLaine traverser les somptueux paysages mexicains à dos d’âne, minuscule comparée à un Eastwood impérial, juché sur son poney. La fin qui ressemble à un Happy End est sans doute beaucoup plus amère que sa docile apparence ne le laisse supposer.

Chinatown, Roman Polanski (1974)


J.J. Gittes (Jack Nicholson, parfait), détective privé spécialisé en affaires d’adultère est engagé par madame Mulwray pour espionner son mari, car elle est convaincue qu’il a une affaire. Gittes suit l’homme qui dirige le département des eaux de Los Angeles (récemment devenu un service public) et finit par le surprendre avec une très jeune fille. Des photos sont prises, un scandale éclate et plus tard la vraie madame Mulwray (Faye Dunaway, sublime) le contacte. L’affaire s’annonce nettement plus compliquée que prévu. Ce que confirme la mort apparemment accidentelle d’Hollis Mulwray.

Bon, sans oublier la batterie de casseroles que Roman Polanski se trimballe depuis les années soixante-dix, on peut se pencher sur son cinéma remarquable. Chinatown a tout du classique instantané. L’interprétation est parfaite. Le méchant (incarné par John Huston !) est incroyablement abject. Les non-dit sont nombreux. Le film est d’une beauté renversante. Et cette affaire de corruption autour de l’eau potable à L.A a quelque chose d’absolument visionnaire. Le film enchaîne les scènes cultes dont le repas entre Noah Cross et J.J. Gittes, est peut-être la plus mémorable, après la fameuse scène de la gifle qui malheureusement spoile toute l’intrigue, donc : je n’y reviendrai pas.

Polanski est devenu infréquentable, mais son cinéma reste admirable.

(Si on ne fréquentait que les œuvres de gens absolument remarquables et parfaits, on se ferait bien chier… à mon avis).