Misanthrope, Damián Szifron (2023)


Le soir du nouvel an, à Baltimore, un tireur abat 29 personnes avec un vieux fusil de sniper, sans rater un seul tir, puis fait exploser l’appartement où il se trouvait. Eleanore (Shailene Woodley), simple agent de police, se rue sur les lieux de l’explosion, commence à filmer les gens qui sortent de l’immeuble et ordonne à un autre policier de faire de même. Puis, alors que les pompiers interviennent, elle monte sans masque les 17 étages jusqu’à l’appartement d’où sont provenus les tirs. Arrivée sur place, elle perd connaissance, avant d’être prise en charge par les pompiers. Quand elle revient à elle, peu de temps après, toujours dans l’appartement dévasté, un agent du FBI est là. D’un coup de tête, elle lui montre les toilettes et il comprend aussitôt que le tueur les a peut-être utilisées. Quelque chose se passe alors entre le vieux agent du FBI au bord de la retraite (Ben Mendelsohn) et cette jeune femme, un peu chien fou, qui a beaucoup de choses à cacher ou du moins à oublier. Elle suppose tout naturellement qu’il veut la sauter, mais pour une fois elle est à côté de la plaque : il a vu en elle quelque chose qui va lui permettre d’attraper l’as du fusil à lunettes.

Pas exempt de défauts (il y a des failles scénaristiques sur la fin, je ne spoile pas), Misanthrope (titre français idiot de To catch a killer) propose par ailleurs quelque chose de vraiment convaincant : le portrait d’un tueur qui (contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord) n’agit pas sans raisons. C’est la grande force du film, on remonte à contre-courant le parcours d’un homme jusqu’aux événements qui, les uns après les autres, l’ont brisé et forgé. Une fois brisé, rejeté par tous ou presque, il n’a pas eu d’autre choix que de se mettre en marge de la société. Le personnage d’Eleanore est quelque part son double policier : elle vit seule avec son chat, ne prend plus la peine de fermer la porte des toilettes quand elle y va, etc. Les mécanismes du film rappellent Dragon rouge/Le Sixième sens. D’ailleurs, davantage le film de Michael Mann que son remake de 2002. Tout comme Will Graham, Eleanore sait à quel point il est dangereux de rentrer dans la tête du tueur qu’on pourchasse. Il y a aussi un côté Les Dents de la mer, assumé car cité, le politique met des bâtons dans les roues de l’enquête pour des raisons « politiques ».

Au final, un très bon film à thèse qui surprend à plusieurs reprises et ne va pas du tout dans la direction que laisse entrevoir sa spectaculaire et très hollywoodienne scène d’ouverture. Comme beaucoup de films à thèse, le scénario se plie un peu aux entournures pour que le fond reste bien en vue, bien lisible. La fin aurait pu être plus forte. Plus dramatique et moins américaine. Il est probable que si ce film avait été tourné dans un pays scandinave, mis en scène par un réalisateur du cru, il aurait gagné en puissance psychologique ce qu’il aurait sans doute perdu en muscle américain. Shaleine Woodley livre une performance honnête, qui ne m’a pas mis à genoux (on est loin de Jodie Foster dans le sous-estimé, et largement incompris en ce qui me concerne, A vif de Neil Jordan). Ben Mendelsohn qui a le rôle ingrat du vieil agent de l’état fédéral écrasé par la charge qu’on lui a mises sur les épaules est lui extrêmement fort, à la fois odieux, touchant, fragile, capable de se fier à son instinct, pour le meilleur comme pour le pire. Dommage que les producteurs n’aient pas compris que la partie « humaniste » de ce film était plus intéressante que sa composante spectaculaire.

Je note le nom du réalisateur.